Lot n° 71

HUGO, Victor. Le Roi s'amuse. Paris, Eugène Renduel, 1832. In-8 de (4) ff., XXIII, 183 pp., (10) ff. de catalogue de l'éditeur : cartonnage de papier noir du XIXe siècle, dos en demi-toile verte moderne, non rogné. Édition originale. Elle est...

Estimation : 40000 / 60000
Adjudication : 38 000 €
Description
ornée en frontispice d'une vignette de Tony Johannot, gravée sur bois par Andrews
et tirée sur chine appliqué.
Exemplaire de première émission, sans mention fictive sur la page de titre.
Conformément aux habitudes des éditeurs romantiques, les deux mille exemplaires de l'édition
furent scindés en trois tranches dont les deux dernières portent des mentions fictives de deuxième,
puis de troisième édition.
Deux ans après qu'Hernani eut fait scandale, Le Roi s'amuse fut représenté pour la première fois le
22 décembre 1832 : la pièce fut aussitôt interdite sur ordre ministériel pour outrage aux bonnes
moeurs. Dans un article paru dans Le Constitutionnel, Hugo appela la jeunesse à ne pas manifester
contre cette suspension, préférant utiliser les voies légales et judiciaires. Depuis le massacre de
l'église Saint-Merry où, en juin 1832, 800 manifestants furent tués ou blessés, le gouvernement
au pouvoir après la révolution de Juillet 1830 montrait sa véritable nature, qui le distinguait peu
du précédent : Le Roi s'amuse, comme Lucrèce Borgia l'année suivante, peuvent ainsi être lus comme
autant d'attaques contre la monarchie et contre les restrictions imposées à la liberté.
Victor Hugo intenta donc un procès au Théâtre-Français et rédigea une préface afin de se défendre :
le texte fut imprimé en tête de l'édition originale, publiée dix jours après la première – et pour
longtemps unique – représentation. Ce texte a des allures de manifeste littéraire : Hugo y dénonce
la trahison de la Charte de 1830 et de l'esprit de la révolution de Juillet – une position pleinement
partagée par son contemporain Gérard de Nerval, qui avait dédié son poème Les Doctrinaires à
l'auteur d'Hernani.
Exceptionnel exemplaire offert par Victor Hugo à Gérard de Nerval.
L'envoi autographe signé à l'encre noire sur le premier feuillet porte :
A M. Gérard Labrunie
Son ami
V ictor H
L'illustre dédicataire est désigné ici sous son nom véritable : le fait est d'autant plus remarquable
que, réticent à utiliser le nom de son père, le poète signa ses premiers livres de son seul prénom,
Gérard. Ce n'est qu'en 1836 que Nerval choisit définitivement son pseudonyme (cf. n° 76 de ce
catalogue).
Victor Hugo fit la connaissance du jeune poète, de six ans son cadet, en 1829 : ce dernier venait de
publier une adaptation théâtrale de Han d'Islande (jamais jouée).
Nerval ne fut pas seulement un admirateur fervent et fidèle de celui qui s'était s'imposé comme le
chef de file de toute une génération : il devint aussi un familier du cercle hugolien, et le qualificatif
d'“ami” employé par Hugo n'est pas usurpé. Plusieurs passions rapprochaient les deux hommes,
à commencer par le théâtre : Nerval cite fréquemment son aîné dans ses feuilletons dramatiques.
En pointe lors de la bataille d'Hernani – dont il recruta la claque –, il assista également à la
première du Roi s'amuse.
Les deux écrivains étaient également liés par un intérêt commun pour la culture allemande, et
Nerval, traducteur de Faust, dédia à Victor Hugo sa traduction de Lénore de Bürger mise en musique
par Hippolyte Monpou. Hugo parraina Nerval à plusieurs reprises : en 1831 auprès du Théâtre-
Français, par l'entremise du baron Taylor, et en 1838 auprès de la Société des gens de lettres. En
1845, il lui envoya un exemplaire de la deuxième édition du Rhin dont l'exemplaire est aujourd'hui
perdu. Gérard le remercia par un sonnet, dans lequel il reconnaissait une dette littéraire.
On ne connait qu'une poignée de livres dédicacés à Gérard de Nerval et celui-ci,
adressé par Victor Hugo, est sans conteste le plus important.
Reliure modeste et très usée ; le dos a été refait au XXe siècle avec une toile verte de registre.
Quelques rousseurs ; l'envoi est un peu passé.
Pichois & Brix, Dictionnaire Nerval, pp. 241-242.
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