Lot n° 36

[BLESSEBOIS, Pierre Corneille]. Le Zombi du Grand Perou : ou la Comtesse de Cocagne. Sans lieu [Rouen?], nouvelement [sic] imprimé le quinze février 1697. In-12 de (2) ff., 6 pp., 145 pp. : maroquin brun à grain long, dos lisse orné en long,...

Estimation : /
Adjudication : 40 000 €
Description
double
encadrement de filets dorés sur les plats avec fleurons dans les angles et grand fleuron central doré
à petit fer, coupes et bordures intérieures décorées, tranches dorées (Thouvenin).
Précieuse édition originale.
Ce récit “obscène” et fantastique, exhumé par Charles Nodier, est “un des livres les plus curieux
qu’un bibliophile puisse ranger sur ses tablettes” (Louis Loviot).
Faux titre, titre et premier feuillet de dédicace imprimés en rouge et noir.
On a longtemps cru, à la suite de Charles Nodier, que le Zombi du Grand Pérou avait été imprimé
aux Antilles où vivait l’auteur ; le papier d’Auvergne et le matériel typographique témoignent
en réalité de la probable origine rouennaise de l’impression, “bien qu’il reste impossible de préciser
cette localisation par un nom d’atelier typographique” (Jean-Marc Chatelain).
La page de titre du présent exemplaire offre la même particularité que celui de la Bibliothèque
nationale : le “quinze” est imparfaitement imprimé.
Une curiosité littéraire découverte par Charles Nodier.
Le premier, Charles Nodier mit en valeur l’introuvable Zombi, lui consacrant en 1829 une longue
notice de ses Mélanges tirés d’une petite bibliothèque d’après le présent exemplaire. Le bibliophile eut
la bonne fortune, par la suite, d’en acquérir un autre exemplaire.
Maurice Lever loue l’écriture “sèche, efficace, étonnamment moderne, entremêlée de locutions
créoles” du roman, soulignant que les “renseignements qu’il fournit sur les moeurs des colonies
au XVIIe siècle sont de toute première main. On ne saurait nier, enfin, qu’un charme insolite
se dégage de ce mélange de sensualité et de magie qui compose le climat si particulier de cette oeuvre”
(Romanciers du XVIIe siècle, p. 200).
Le mot “zombi” (mort-vivant) est imprimé ici pour la première fois.
Le Casanova du XVIIe siècle, auteur du premier roman exotique français.
Tour à tour aventurier, écrivain, pamphlétaire, assassin, séducteur, soldat puis déserteur,
esclave enfin, Pierre Corneille Blessebois (1646-1700) fut une des figures les plus hautes en couleur
de la littérature du Grand Siècle.
“Aujourd’hui mieux connue qu’à l’époque de Nodier, la vie débauchée de Blessebois, petit poète
licencieux d’origine normande, fut une succession d’emprisonnements, de bannissements ou
d’exils volontaires, de courtes périodes de liberté et de nombreuses affaires de justice, jusqu’à ce
qu’en 1681, âgé d’environ trente-cinq ans, il fût condamné aux galères à perpétuité pour désertion.
Devenu assez vite inapte au service des galères, il fut déporté en 1686 à la Guadeloupe, vendu
comme esclave à un colon. C’est ainsi qu’il aboutit au domaine du Grand Pérou, dans la partie
méridionale de l’île. Il y puisa le décor et l’action du Zombi, roman à clé où, sous couleur de marquis
du Grand Pérou et de comtesse de Cocagne, il met en scène les tracas amoureux de son maître et de la
maîtresse d’un domaine voisin, pimentés d’une histoire de fantôme, ou zombi en créole. Ce faisant,
Blessebois offrait à la littérature française son premier roman exotique” (Jean-Marc Chatelain).
Au terme d’une vie pour le moins tumultueuse, l’ex-galérien parvint à rentrer en France, où il devait
mourir peu après. Ce retour clandestin expliquerait comment le manuscrit a pu être édité à Rouen en
février 1697. Blessebois en a-t-il été lui-même l’éditeur ou doit-on l’impression à un de ses amis ?
On ne le saura sans doute jamais.
Les exemplaires connus se comptent sur les doigts des mains.
On ne trouve en effet trace avec certitude que de sept autres exemplaires, dont quatre sont
conservés dans des collections publiques françaises et un est incomplet du faux titre.
Très bel exemplaire, finement relié par Thouvenin pour Charles Nodier.
L’exemplaire, très grand de marges – 143 mm de hauteur, soit 11 mm de plus que l’exemplaire
Pixerécourt –, contient une petite note autographe signée de Nodier inscrite à l’encre brune sur
un feuillet monté en tête : “Libelle obscène de la plus grande rareté . Il a été certainement écrit et très
probablement imprimé dans une de nos colonies. Zombi est le nom du Diable dans le patois créole.
Le grand Pérou est une habitation. Ce volume n’est cité par aucun bibliographe, et il n’en est fait
mention dans aucun catalogue que je connaisse.” La reliure a été habilement restaurée.
Provenance : Charles Nodier, avec note autographe signée montée en tête (catalogue II, 1829, nº 623).-
Victor Masséna, prince d’Essling (catalogue 1839, nº 647).- Willems (catalogue 1914, nº 404).- Louis Loviot
(catalogue 1919, nº 105).- Édouard Moura, avec ex-libris (catalogue 1923, nº 663 : “Livre des plus
curieux et des plus rares”).
Charles Nodier, Mélanges tirés d’une petite bibliothèque, 1829, pp. 366-370 : cet exemplaire.- Bibliothèque nationale de France,
Des livres rares, 1998, nº 158 : notice de Jean-Marc Chatelain.- Bibliothèque Mazarine, De la découverte à l’émancipation, 1998-1999,
nº 55, pour l’exemplaire du docteur Chatillon : “Il s’agit là de ce que Pierre Louÿs a justement appelé le premier roman colonial.”-
Lachèvre, Pierre-Corneille Blessebois, 1927, p. 52.- L. Loviot, Revue des livres anciens, 1917, pp. 283-310. Pour l’anecdote, c’est
Pierre Louÿs qui découvrit les clefs du roman, mais Loviot eut l’indélicatesse de publier en premier le résultat des recherches que Louÿs
lui avait communiquées. Cette publication, dans une revue qu’ils avaient pourtant fondée ensemble, fut à l’origine de la brouille entre
les deux érudits (cf. Dictionnaire encyclopédique du livre, II, pp. 812-813).- M. Lever, Romanciers du Grand Siècle, 1996, p. 200.
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