Description
pointillés avec fers d’angle, dos lisse orné de frises
et de compartiments enserrant fleurons, filets au pointillé et petites étoiles, titre doré portant
“Rondeaux du 15.me siècle” [sic], dentelle intérieure, tranches dorées (reliure de la fin du XVIII e siècle).
Superbe manuscrit poétique rédigé à la Cour du roi François Ier.
Remarquablement calligraphié et ornementé avec goût, l’ouvrage rassemble 156 pièces non signées,
soit : 99 rondeaux, 12 chansons, 2 épitaphes, 11 épîtres en vers, 16 lettres en prose et 16 compositions
diverses en vers ou en prose (poésies religieuses, traductions, ballades, etc.).
La plupart de ces pièces – près de 150 – ont été composées à la cour de François Ier par le roi
lui-même et les dames de sa cour : elles témoignent de la renaissance de la versification française
dans le premier quart du XVIe siècle, sous les influences conjuguées de Jean Marot, de son fils
Clément – le poète préféré et le modèle du roi – et de Mellin de Saint-Gelais.
L’ornementation est exquise : deux grandes initiales prolongées par des branchages et peintes à l’or
sur fond de triangles noirs et blancs répétés en miroir ; plusieurs lettrines ornées de branchages sur
fond de bandes obliques noires et blanches alternées ; très nombreuses lettrines et têtes de chapitres
en blanc sur fond noir (ou vice versa), avec rehauts d’or.
Le renouveau de la poésie de cour entre Charles d’Orléans et la Pléiade.
En 1847, à l’heure de la redécouverte de Marot et de ses épigones, Aimé Champollion-Figeac se
hasarda le premier à publier un volume de Poésies du roi François Ier, de Louise de Savoie, duchesse d’Angoulême,
de Marguerite, reine de Navarre , d’après trois manuscrits conservés à la Bibliothèque royale, dont deux
peut-être rédigés avec la participation de Clément Marot et de Mellin de Saint-Gelais. Il révéla ainsi
un aspect alors méconnu de la vie quotidienne à la cour de François Ier : le goût de la poésie et la
pratique de la versification, individuelle et collective.
Le présent manuscrit ne comporte pas les quelques vers qui furent insérés plus tard dans les recueils
de Marot ou de ses pairs, à l’exception de l’Épitaphe d’Agnès Sorel (f. 65 v) dont Champollion-Figeac
signale une variante attribuée à Mellin de Saint-Gelais.
En revanche, il contient l’essentiel de l’oeuvre poétique du roi François Ier, y compris les pièces
italianisantes qui témoignent de l’engouement italien à la cour : une version d’après Pétrarque et un
Parangon traduit par le roi, que l’on ne trouve pas dans l’édition Champollion-Figeac.
Plusieurs rondeaux, une vingtaine environ, ne figurent pas non plus dans l’édition de 1847 – elle en
compte soixante-dix-neuf – sans que l’on puisse déterminer avec certitude s’ils appartiennent ou non
au corpus royal, dont le contenu varie sensiblement d’un manuscrit à l’autre. En outre, Champollion-
Figeac, qui a établi son texte d’après trois manuscrits différents, reproduit des pièces courtes
(quatrains, sizains, huitains et dixains), six compositions à sujet et une Correspondance intime du roi qui
ne se trouvent pas dans ce manuscrit.
Dans son édition des OEuvres poétiques de François 1er, parue en 1984, J.E. Kane attribue avec certitude
au souverain 54 rondeaux, 17 chansons, 10 poèmes écrits de prison, 8 épitaphes, 97 ballades ou pièces
courtes et 20 épitres, soit 206 compositions en vers.
La guerre, la prison, la vie, l’amour : canzoniere d’un roi.
Dans les rondeaux, comme dans les épîtres en vers et les chansons, l’influence de Clément Marot est
indéniable : le langage de François Ier “y est aussi poli et aussi gracieux ; le naturel s’y montre aussi
souvent que le bon goût”, souligne Champollion-Figeac. Surtout, ces compositions “expriment les vifs
sentiments dont l’âme du roi était remplie”.
L’amour est partout, bien sûr, tendrement ou rudement exposé, selon l’humeur : on pétrarquise, on
souffre, on change de maîtresse, on supplie, on récrimine… Autre “vif sentiment” non moins présent,
celui de la guerre, qui donne lieu à cette longue et belle épître sur la campagne d’Italie de 1524-1525
(Tu te pourroys ores esmerveiller , f. 108r-120r) d’où s’élève la plainte du soldat harassé regrettant les bras de
l’aimée.
Deux poèmes composés par François Ier en prison, après la défaite de Pavie, sont remarquables.
Le temps d’une ballade, Triste penser en prison trop obscure (f. 107r-120r) et d’un rondeau, Triste penser en
quel lieu ie tadresse (f. 120v), le roi captif, marchant dans les pas de son grand-oncle Charles d’Orléans, se
montre sinon l’égal, du moins le digne élève de Marot.
Ce ne sont que quelques exemples tirés de cette riche chronique en vers et en prose où sont consignés
les grands et les petits événements – guerres, captivités, retours ou guérisons – et les “intermittences du
coeur” de l’une des plus célèbres cours de la Renaissance.
Enigmes, pérégrinations et métamorphoses d’un manuscrit.
Au recto du premier feuillet blanc se trouve une note manuscrite du libraire Chardin datée de 1818 et,
au feuillet 106, qui, dans l’esprit du scripteur, était destiné à ouvrir le volume, on a peint, sans doute
dans le premier tiers du XIXe siècle, le blason couronné des Mailly (d’or à trois maillets de sinople ) en vert et
brun sur fond or.
Si l’on se fie au millésime inscrit au recto du premier feuillet, le libraire Chardin aurait acquis l’ouvrage
en 1818. Le volume avait été relié quelques années plus tôt, à la fin du XVIIIe siècle, par un amateur qui
ignorait visiblement l’attribution royale des pièces contenues dans le manuscrit, qu’il datait d’ailleurs –
comme le prouve le titre frappé sur le dos – d’une période antérieure. Il classa donc les feuillets d’une
façon apparemment “rationnelle“ et rassembla rondeaux, chansons et ballades, rejetant à la fin les
morceaux en prose et les pièces religieuses. Il fit ensuite richement relier le tout, prouvant ainsi la valeur
qu’il accordait à cette anthologie de l’ancienne poésie française.
La présence du blason de Mailly peint au milieu du manuscrit – dont il marque le véritable incipit –,
ainsi que la morphologie tardive de cette petite peinture héraldique, suggèrent que le volume pourrait
avoir été cédé à Adrien de Mailly-Raineval (1792-1878) – aide de camp du duc de Berry et pair de
France, fils du maréchal de France Augustin-Joseph de Mailly (1708-1794) – après que Chardin eut
réussi à identifier le milieu où furent composées ces pièces en vers et en prose (dont la première édition
imprimée ne verra le jour qu’en 1847). Chardin avait sans doute trouvé dans le comte de Mailly, qui
comptait parmi ses ancêtres un conseiller et un soldat de François Ier, un collectionneur, soucieux de
renforcer, sous la Restauration, le prestige de son illustre famille.
Originaires de Picardie (1050), les Mailly furent toujours proches du pouvoir royal, notamment
Antoine de Mailly, conseiller de François Ier et chevalier de son ordre, mais surtout son fils René,
qui combattit dans les armées du roi. François Ier, qui estimait René, lui remit les droits seigneuriaux
sur sa terre de Mailly par une lettre du 28 septembre 1535 dans laquelle il le qualifie de “son cousin”
en raison de sa parenté avec la reine Claude, fille du roi Louis XII. Le blason des Mailly est peint en pied de la première page d’un texte merveilleux, une “lettre missive”
du roi François Ier, selon la terminologie de Champollion-Figeac, qui débute ainsi :
Ayant perdu toute occasion de plaisante escripture et acquis obliance de tout contentement nest demeure rie ns
vivant en ma memoire que la souvenance de vostre heureuse bonne grace qui en moy a la seulle puissance de
tenir vif le reste de mon ingrate fortune. Et pour ce que loccasion le lieu le temps et commodite me sont r udes
par triste prison vous plaira excuser le fruict qua meury mon esperit en ce penible lieu et entendre que en
quelque peine torment garde que puisse estre le corps la voulente ne changera que la doulce occasion de fai re
chose qui vous puisse donner congnoissance que ce qui est demeure en luy libre et non mort nest desdye qua
vous faire service. P ar quoy cest indigne present de vostre honneste veue sera si vous plaist recueilly non
comme son imperfection merite mais comme tribut de ma pensee. (...)
Exemplaire parfaitement conservé et ravissant.
Provenance : Entourage du roi François Ier.- Amateur anonyme de la fin du XVIIIe siècle,
commanditaire de la reliure en maroquin décoré dans le goût de Bradel et de Derome le Jeune.-
Chardin, libraire, avec note autographe signée, datée de 1818.- Famille de Mailly, sans doute Adrien de
Mailly-Raineval (1792-1878), avec armes peintes au milieu du volume.
Champollion-Figeac, Poésies du roi François Ier, de Louise de Savoie, duchesse d’Angoulême, de Marguerite, reine de Navarre,
et correspondance intime du roi avec Diane de Poitiers et plusieurs autres dames de la cour, Paris, 1847.- Girot (dir.), La Poésie à la
cour de François Ier, Paris, 2012.- François 1er, OEuvres poétiques, édition critique par J.E. Kane, Genève, 1984.