Lot n° 213

DE GRAVE, Eugène & Léonce.- Lettre des frères "Rorique" à leur frère Auguste.-- "Copie d'un mémoire envoyé de Brest" par les frères "Rorique" à leur avocat à Tahiti.

Estimation : 400 / 500
Adjudication : 650 €
Description
1894. - Lettre : Brest, 16 janvier 1894, 6 pp. GRAND IN-F°, signée "Votre malheureux frère Eugène" avec un addendum signé par "Votre frère bien-aimé Léonce" (pliée en 4, qqs taches, qqs déchirures aux plis, dernier f. coupé au pli).
- Manuscrit : "Prison maritime de Brest le 2 mars 1894", 28 pp. gr. in-12°, "(signés Alexandre Rorique / Eugène Rorique", avec une note à leur frère "Auguste" signée "Léonce" et "Eugène". (1). Les faits : en décembre 1891 une goélette royale tahitienne quitte Papeete avec de riches marchandises et 8 hommes à bord dont Joseph Rorique, commerçant, rejoint peu après par son frère Alexandre. Quelques semaines plus tard, la goélette ne donne plus de nouvelles mais un homme, le cuisinier du navire, rapporte aux autorités navales philippines espagnoles, à 7.000 km de Tahiti, le meurtre de l'équipage, le vol et le maquillage de la goélette en bateau rarotongien (îles Cook) appartenant, sous des faux noms, aux frères Rorique. Arrêtés, ceux-ci démentent. Le litige est soumis au Consul de France qui écoute leur version (disparition de l'équipage pour cause de désertion et d'accident) et celle du cuisinier (équipage assassiné par balle et poison). Comme un début d'enquête révèle que les Rorique traînent une mauvaise réputation, le Consul envoie les trois hommes à Brest pour être jugés par un tribunal militaire maritime. Les frères sont condamnés à mort en décembre 1893 mais une lettre parvient aux autorités, révélant qu'ils s'appellent en réalité Eugène et Léonce De Grave, qu'ils appartiennent à une vieille famille belge honorable et ont été décorés par le Roi Léopold II pour divers sauvetages en mer. Pour ne pas déshonorer leur nom et leur mère, ils n'auraient rien dit de leur identité. La Belgique confirme ces déclarations mais précise que Léonce a un casier judiciaire. Sans élément neuf quant à la disparition de l'équipage et condamnés pour vol de navire, leur peine est commuée en travaux forcés à perpétuité. Mais y a-t-il erreur judiciaire ? Pourquoi cette métamorphose de commerçants en pirates ? Le cuisiner, qui a déjà tâté de la prison, a-t-il menti ? Pourquoi serait-il le seul rescapé d'un massacre ? Et pourquoi de part et d'autres tant de mensonges, de zones d'ombre et d'omissions ? Des témoignages invérifiables arrivent ainsi que des demandes de grâce, des comités sont formés, l'opinion publique s'emballe. En 1895, les frères sont envoyés en Guyane où Léonce meurt. Eugène est gracié en 1899. De retour à Anvers, il est assez bien accueilli mais les milieux maritimes ne veulent l'engager. Il écrit ses souvenirs en 1901 et continue une vie d'aventurier jusqu'à son assassinat dans une prison colombienne en 1929.
"Marins malchanceux ou impitoyables assassins" ainsi que le résume J. Bayle (# infra), cette histoire qui passionna leurs contemporains en poussèrent certains à faire un parallèle avec l'affaire Dreyfus : "tout pourtant distingue les deux affaires, sauf l'éventualité d'une erreur judiciaire - avérée pour Dreyfus, douteuse pour les frères Degrave" (op.cit.). Jules Verne s'en serait inspiré pour "Les Frères Kipp", bien que le fond de son roman d'aventures soit différent, et plusieurs romanciers se l'approprièrent pour écrire des biographies plus ou moins romancées.
(2). Les documents autographes : (2a). Longue lettre d'Eugène, en français, 16 janvier 1894 : les De Grave, détenus depuis de longs mois, espèrent une grâce, se disent grugés par leurs avocats qui les ont mal conseillés et n'ont repris, dans le témoignage du cuisinier, aucune des contradictions, absurdités et faussetés scrupuleusement relevées et commentées par Eugène. A le lire, on le sent révolté et impuissant devant le manque de perspicacité des juges et des avocats, sa demande de 87 témoins à décharge laissée sans suite, etc., mais l'affaire s'est passée aux antipodes, l'administration est en désordre et les preuves, témoignages, certifications, traduction demandées sont difficiles à obtenir... "Laissez nous nous expliquer librement devant des juges non influencés et je vous assure qu'il en résultera un acquittement pur et simple !".-- (2b). Copie d'un long mémoire envoyé de la prison de Brest à Maître Texier, avocat à Tahiti, 2 mars 1894, encre noire et rouge (soulignant les points importants), "signée" par "Alexandre Rorique" (?, sic) et "Eugène "Rorique" (?) : Texier est chargé de retrouver et enregistrer les témoins à décharge pour les frères, de traduire correctement des documents et de prouver quelques faits pouvant casser le témoignage du cuisinier et donc le jugement (attestation du handicap d'un matelot au pied estropié, sobriété absolue d'un autre matelot à qui les frères auraient fait boire du rhum empoisonné, récusations de l'achat de matériel de navigation), liste des gens à contacter et, enfin, le long, détaillé et assez convaincant "récit exact de toute cette triste affaire" (pp. 8-28). En note, Léonce ajoute pour Auguste : "Je vous jure que les moindres détails sont l'exacte vérité. Ce sera une consolation pour maman & la famille que de savoir comment les choses se sont réellement passées & vous y puiserez l'espoir & l'assurance qu'un jour, la Justice, étant éclairée, vos malheureux frères seront rendus à la famille [...]".
(3). Les documents imprimés : (3a). [BONDROIT, Gustave].- Mémoire sur les frères De Grave. Brux., Gust. Deprez, 1894, in-12° pleine percaline rouge (défraîchie). Exposé des faits tragiques et du "chantage" opéré par le cuisinier, des voyages et aventures autour du monde des Rorique-De Grave depuis leur jeunesse, des raisons de leurs décorations, de l'explication de leur casier judiciaire, etc., destiné à les innocenter et écrit par Gustave Bondroit, "Secrétaire du Comité de défense des frères De Grave" (cfr mention sur le plat sup. de la rel.).-- (3b). DEGRAVE, Eug..- Le Bagne. 4e éd. P., Stock, 1901, in-12°. ENVOI AUTOGRAPHE de l'auteur "A Monsieur Bondroit. Gage d'amitié et de reconnaissance à mon cher ami et protecteur". Récit de son histoire et de ses années de bagne.
# http://jacbayle.perso.neuf.fr; # https://documentation.outre-mer.gouv.fr/Record.htm?idlist=1&record=808212462649
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