Lot n° 203
Sélection Bibliorare

Jean-Paul SARTRE (1905-1980). 2 manuscrits autographes pour Les Mots ; sur 9 et 18 feuillets in-4 de papier quadrillé écrits au recto à l’encre bleu foncé. Deux importants fragments pour Les Mots, qui se rattachent à la deuxième partie,...

Estimation : 5000 / 6000
Adjudication : 6 500 €
Description
« écrire », mais qui n’ont pas été retenus dans le livre (Gallimard, 1964). Sartre, le plus souvent, n’a pas rempli les pages ; il a tiré un trait après les lignes retenues (de 2 à 26), biffant la suite qui ne le satisfaisait pas et passant à une autre page pour rédiger une nouvelle suite ; le texte de chacun de ces deux fragments est continu, et présente des phrases et des paragraphes entiers biffés. « J’avais longtemps cherché ma raison d’être dans des songeries qui s’effilochaient et que je mettais sur le papier pour les affermir : était-ce écrire ? Non : mais rêver par écrit. Derrière mes yeux, un tyrannique sujet décidait des mots et des destins mais je ne me souciais pas de lui : moi, j’étais à l’autre bout de mon regard, héros sans peur, toujours en avant. Or, un jour que les grandes personnes avaient voulu me surprendre, il n’y avait à mon pupitre ni gamin débile ni chevalier errant : elles s’étaient trouvées en présence d’un inconnu dont personne n’avait entendu parler : l’écrivain que j’étais »... À huit ans, Sartre ne pouvait remettre en doute l’autorité de Mme Picard et de son grand-père sur sa vocation d’écrivain... « Je jalousais les détenus célèbres qui ont écrit dans l’ombre d’un cachot [...], sans espoir d’être publiés ni jamais lus : ils avaient eu des vies exemplaires. Injustement punis puis oubliés par leurs contemporains, la génération nouvelle ignorait jusqu’à leur nom et cette parfaite solitude leur donnait l’indépendance morale et matérielle : ils avaient le loisir de peindre les normes sans l’obligation de les fréquenter. Je me désolais : nul tyran ne s’offenserait de mes vertus, les Droits de l’Homme m’ôtaient ma dernière chance de puiser mon génie dans la réclusion »... Dans le second fragment, plus long, Sartre parle de lui-même comme l’Autre. « Cet Autre était un objet puisqu’il n’apparaissait qu’aux Autres, un mort puisqu’il n’y a pas d’écrivain vivant : feu Jean-Paul Sartre tel qu’il serait révélé aux universitaires du XXIme siècle, par ses œuvres, sa correspondance et le témoignage de ses contemporains. Mais ce fantôme futur était si loin de me faire peur que je lui livrai les clés de ma maison [...] Jean-Paul Sartre, pour faire descendre en moi l’inertie des choses, les inconsolables douleurs, les haines irrespirables, les éternelles amours qui n’appartiennent qu’aux âmes défuntes ; toutes ces obstinations finiraient bien par me donner un caractère »... Il s’imaginait indépendant de M. Simonnot, égal à Charles Schweizer, comblé par l’Être : « à chacune de mes œuvres, une pierre se poserait en moi sur d’autres pierres ; à la fin je serais muraille »... Sartre a barré presque trois quarts de page consacrés à la contrainte et l’élan sous-jacents à son écriture, et à l’époque où il s’éloigna de ses songes en faveur des incidents de la vie quotidienne. « Si je m’ennuyais, une petite chorale d’amateurs chantait : “l’écrivain s’ennuie” et cela suffisait à me rendre l’ennui supportable : ce n’était qu’un accident infime et provisoire dans la vie d’un grand homme ; l’Autre était là et ailleurs en même temps, en 1930, en train d’écrire mon œuvre [...] écrivain de naissance, je n’avais qu’à suivre ma pente »... Il fit cependant des efforts pour se ressembler à ses modèles : « le génie se distingue par des passions et des manies, par des gestes singuliers ; à moi de produire les marques de mon originalité. Le résultat de cette double postulation c’est que je fis mon caprice par devoir [...] ; la spontanéité se fondit avec la discipline et je retrouve aujourd’hui dans mes sentiments les plus vrais l’indissoluble alliage du devoir et de l’inclination »...
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