Lot n° 113

Louis ARAGON. 2 manuscrits autographes (un signé), Issoire, [1961] ; 3 pages in-4 et 3 pages et demie in-4. Très belle évocation de l’église Saint-Paul d’Issoire, publiée dans le premier numéro d’Art de France, revue annuelle de...

Estimation : 1200 / 1500
Adjudication : 3 200 €
Description
l’art ancien et moderne, en 1961. Le brouillon de premier jet, très raturé et surchargé de corrections, est suivi de la mise au net, présentant encore quelques corrections, et signée ; tous deux sont écrits à l’encre bleue. « Comme si, à cette dernière étape au cœur de la Limagne, avant de se mésallier avec l’Allier, l’eau volcanique du lac Pavin avait déposé la lave noire de ses origines, une sorte de merveille sombre y surgit, prise dans une ville plate et pavée et qui ne semble par rien d’autre se souvenir d’un passé terrible et sanglant : c’est Saint-Paul d’Issoire qu’on appelle aussi Saint-Austremoine »… Aragon rappelle la forme de cette église romane d’Auvergne, « assurément celle dont le plan a le plus d’audace et d’ampleur ». Reconnaissant les altérations dues à l’architecte Malley, tant décrié pour la façade et le clocher qu’il fit bâtir en 1841, il clame son admiration pour l’entrée : « je lui trouve cette beauté mâle d’une poitrine de géant, de lanceur de javelot, qu’on s’étonne de ne pas voir soulevée par une respiration puissante, par le feu profond de la terre dans ses schistes sont à jamais noircis, et qu’est-ce pour eux que sept ou huit siècles de plus ou de moins ? »... Le « gros œuvre diabolique » le prend à la gorge, tel « un théâtre volcanique encore léché de flammes récentes. [...] Je m’arrête dans le narthex comme un homme excommunié, je regarde cet acheminement devant moi vers le chœur, sous cette voûte de cécité, ce pavement d’arkose à tomber à genoux, et le flèchement du jour entre les piliers, qui semble destiné au sol seul, à cet impitoyable porphyre obscur. Et je comprends enfin ce qui procure à tout cela cet air de tragédie, ce silence criard » : le badigeon dû à un certain Dauvergne en 1862, qui indispose les « amateurs éclairés » aujourd’hui. On sait bien pourtant « qu’en ce fameux douzième siècle français où tout a été inventé de la poésie et de l’amour, il devait y avoir ici du haut en bas des pierres un coloriage qui ne tenait nul compte de leur ascétisme des yeux. Plus sauvage sans doute que ce qu’imagina ce peintre, l’année de l’expédition du Mexique, et tout encore comme cet art d’Auvergne inspiré par les flammes d’un enfer terrestre, en ce pays d’invasions et de reflux d’armées »... Il défie tout ce monde de préférer le « vaisseau démâté » du XVIIIe siècle ; Malley et Dauvergne n’ont pas restauré Saint-Austremoine, ils l’ont achevé. Déjà « n’admirons-nous pas des églises gothiques, qui furent faites du massacre d’une architecture gothique, ne trouvons-nous pas naturelles à Chartres les parties Renaissance surajoutées, déjà ces dernières années nous avons cessé de nous indigner de l’immixtion du baroque jésuite dans les cathédrales flamboyantes »... Un jour on admirera le XIXe siècle d’avoir amené le rêve à maturité : « là-haut, dans les chapiteaux, centaures, oiseaux d’Orient, arums, racontent des histoires dont le sens est perdu, mais les [...] crimes contre Dieu dont ils témoignent se marient aux péchés modernes, et les draperies peintes retombent à la fois sur les paradis Napoléon III et les luxures de la Terre promise, sur les bosquets d’Armide et les jardins d’hiver de Nana... »
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