Lot n° 107

Jean VILAR (1912-1971) acteur et metteur en scène, créateur du Festival d’Avignon et du T.N.P. 2 L.A.S. « Jean L.V. » et « Jean V. », [Nice] Hôpital Pasteur 5 et 7 décembre 1939, à son ami Jean Darquet ; 2 pages in-4 chaque à...

Estimation : 600 / 800
Adjudication : 650 €
Description
l’encre bleue (infime manque marginal à la 2e lettre sans toucher le texte). Très belles lettres à un ami de jeunesse, alors qu’il est hospitalisé à Nice (il a été opéré d’un ulcère à l’estomac, dont il souffrira toute sa vie). 5 décembre. « Je t’écrirai bien à l’imitation de Pascal quelque traité saint sur l’utilité des maladies pour le bon gouvernement de nos passions, si, malgré l’état d’alité où je suis encore, un restant fort alcoolisé de bonne humeur gaillarde ne m’empêchait de m’adonner à pareille méditation ». Il est hors de danger, mais alité à l’hôpital, et au régime monotone « bouillon, purée, compote », chaque repas, chaque jour, dont on pourrait faire « un espèce de poème au ton sacerdotal, genre rites ecclésiastiques, sur les “monotones répétitions de ce monde” », dont il donne les premiers vers. « On pourrait y comparer la trahison de Herr Stalin à celle des socials-traitres de 14 (Albert Thomas et autres), comparer le camarad Adolf Hitler au Seigneur Guillaume, Léon Blum à Jules Guesde, le blocus 39 au Bloc’kus 17, la Hollande à la Belgique, et Jean Vilar à Jean Dupont d’avant l’autre ou à Ducon […] ou à quelque autre opéré de l’estomac que les Vatels militaires ont dès pendant l’autre guerre déjà crevé »... Et il reprend 8 vers du poème, qui ne sont qu’une ébauche, « une façon de dégourdir la plume. Ma convalescence, si Dieu m’y mène, fera fleurir tout cela. Ma convalescence, que je souhaiterai fort se transformer en réforme. […] je te jure que j’en ai à dire sur la vie, la vie saine, de grande tradition éternelle et cosmique, la vie libre, forte, courageuse, ivre et lucide, bacchique ! ma plume en tremble. Cette bonne plume. Cette bonne fille trempée à toutes les sauces. Et qui claquera avec moi ». Il espère vivre encore 20 ans, « le temps d’écrire encore 3 pièces passables et 4 chefs d’œuvres. Mais que la guerre finisse vite, bon dieu... sinon je perdrai confiance ». Il signe : « Ton cher vieux plaisantin recousu de fil blanc Jean L. V. » 7 décembre. On lui a enlevé les points de suture et il espère être debout dimanche. Il est devenu superstitieux : « Ce qu’on peut être femelle quand on passe près de la mort, c’est inimaginable »... Il raconte ses fièvres et ses rêves, et sa soif : « Une soif à faire crever Falstaff lui-même. Une soif à faire avaler une mer par un ivrogne ». Et lorsque l’infirmière humectait son front d’un linge frais et humide : « Une joie sensuelle, comme le coït »... Puis sur « cette putain de guerre. Cette guerre dont on ne sait pas ce qu’elle durera. Peut-être tout ce qui nous reste encore de jeunesse. Triste »... Cela fait déjà six mois qu’il n’a pas fait de « travail sérieux et de longue haleine, genre Antigone de fin 38. [...]. Putain, connerie de guerre »... Il regrette « le temps d’avant 1792, cette terrible révolution qui nous a valu le service obligatoire ». Qu’on ne lui parle pas du principe d’égalité, qui est faux : pas d’égalité dans la nature, sauf la naissance et la mort pour chacun. « Quant au reste, débrouille-toi. Égaux, Hitler et le 4e cuisinier de ma section ? Le terrible, chez nous et ailleurs, c’est qu’on a voulu rendre égaux tous ces gens, qui, par nature, par instinct, par structure intellectuelle et physique, ne le sont pas »... Etc. On joint une L.A.S. « Jean L. Vilar », Nice 14 décembre 1939, félicitant « Nonotte » (Simone Roederer, demi-sœur de Darquet) de son mariage et lui envoyant ses vœux de bonheur...
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