Lot n° 175

George SAND. L.A.S., Nohant 18 février 1867, à Charles Marchal ; 6 pages in-8, enveloppe.

Estimation : 1 200 / 1 500
Adjudication : 1 600 €
Description
Longue et très belle lettre à son ami peintre. « Oui, je suis en retard avec toi, mon petit lapin bleu, et pourtant, après plus d’une rechute, je me porte depuis huit jours, comme un turc. L’état de marasme et de maigreur disparaît à vue d’œil, et je travaille comme trois nègres pour réparer le temps perdu. Il fait beau. Nohant est un tapis de violettes, de pervenches et de narcisses. Mon petit monde va bien. Aurore ne dit pas encore à Chaillot, mais elle dit aïe donc, aïe donc, d’un ton prétentieux à mourir de rire. On met un décor au théâtre », et elle écrit une pièce [Le Chevalier de Tintignac] : « 3 actes en 3 jours. On jouera dans une quinzaine, Lina, Maurice et Marie, avec mon neveu qui est très cabot, et deux autres gamins fils de nos amis. Ils sont très gentils et iront bien. Nous voulons monter quelques pièces de localité, c’est-à-dire du répertoire inédit et sans prétention de publicité, pour les jouer au pied levé à La Châtre », au bénéfice de l’actrice Marguerite Thuillier, « qui récolterait 500 f. par soirée. 3 représentations de cette force-là, dans l’année lui constitueraient une aisance réelle avec sa pension. – On compte sur toi pour l’essai que nous allons faire sur les planches de Nohant. Tu nous donneras bien trois jours sans trop faire de tort à ton travail, et tu me laisseras te payer le voyage. […] Dis oui, et tu seras le plus beau lapin qui ait jamais existé. On t’appelle ici pour rouvrir le temple des jeux et des ris après les deuils et les larmes. On voudrait revenir à la vie, avec toi, au milieu de nous ». Puis elle parle des projets de tableaux de Marchal, approuvant son idée : « J’avais peur que le public si changeant aujourd’hui ne se lassât de l’Alsace et de ces costumes rigides qui entraînent la répétition des mêmes types. Les journalistes ont-ils dit assez de bêtises sur la prétendue école alsacienne ! Et puis, on se serait mis à te copier bêtement, et ça dégoûte les yeux d’un sujet, comme les orgues de barbarie dégoûtent les oreilles des plus beaux motifs en musique. Il me semble que ton talent délicat et recherché doit être à l’aise dans la soie et le velours et comme tu as du goût, tu vas faire ce qui sera à la fois au goût de tout le monde et au goût des vrais artistes. Va donc de l’avant. Tes deux sujets me semblent bien choisis et je ne blâme que ta toile très longue et très étroite. Prends garde à la gêne toute physique, mais très réelle qu’on éprouve à voir une figure serrée dans le cadre sans air et sans espace autour. J’ai été frappée de ça dans la réalité en voyant le pape donner la bénédiction de Pâques à St Pierre. Cette chose si solennellement annoncée, cette figure isolée au-dessus d’une foule, dans un si bel espace ne m’a fait aucun effet, et en cherchant pourquoi, j’ai senti que cette fenêtre, très grande pourtant, était trop petite de moitié pour contenir un homme qui voulait représenter une idée. Tes deux types ont la même destination. Quoi que tu fasses, ils auront plus d’importance que ton baby alsacien, on y voudra voir deux destinées bien distinctes. À la rêverie, il faut de l’espace. – Sur ce, cher gros, je t’embrasse de tout cœur »… Correspondance, XX, 13046.
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