J’ai sauvé des milliers de manuscrits de la folie destructrice de Daech
Au printemps dernier, lorsque Daech avance ses pions dans la région de Mossoul, dans l’ouest de l’Irak, le Père Najeeb appartient encore au couvent de cette ville. Et il comprend que la culture de son pays est menacée. Avec l’aide d’autres prêtres, il fait le tour des bibliothèques des Eglises et des monastères de la région pour rassembler le maximum d’ouvrages.
Le 6 août, lorsque les djihadistes entrent dans le village de Qaraqosh, où il s’était réfugié dans la plaine de Ninive, l’ecclésiastique a tout prévu. Des centaines de manuscrits sont rangés dans des caisses, prêts à être transportés. « Dans l’urgence, chacun prenait les choses les plus importantes à ses yeux. Moi, j’ai voulu sauver les manuscrits. Il fallait se sauver, certes, mais aussi sauver notre mémoire. » Durant toute la nuit, le Père Najeeb charge un camion et plusieurs voitures. « Sur le chemin, on a croisé des adultes et des enfants qui courraient sans savoir où aller. Ils ont grimpé dans les voitures, se sont assis sur les manuscrits et nous avons pris la direction d’Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil. »
« Un peuple sans culture, c’est un peuple mort »
Au total, ce sauvetage rocambolesque a permis de préserver 3000 à 3500 ouvrages, dont certains datent du XIIIème siècle. Des livres de théologie mais aussi de science, d’histoire, d’astrologie, souvent imprimés à Mossoul, ville qui voit naître au milieu du XIXème siècle l’une des toutes premières imprimeries lithographiques. « Un peuple sans culture, c’est un peuple mort. Ce qu’essaye de faire aujourd’hui Daech, c’est de ramener le monde au VIIème siècle », s’offusque, sans jamais lever la voix, cette figure de l’Eglise irakienne.
Les ouvrages qu’il a laissés à Mossoul ? « Ils sont très probablement détruits aujourd’hui. Il y a un mois environ, les forces de Daech sont entrées dans cinq des plus grandes bibliothèques de la ville. Ils ont sorti les livres et les ont brûlés devant tout le monde. » Des images d’autodafé, diffusées sur Internet au début de février, et filmées notamment devant la Bibliothèque centrale de la ville.
Aujourd’hui, le père Najeeb poursuit à Erbil un travail titanesque de numérisation entamé il y a vingt-cinq ans. « Au départ, nous cherchions à protéger les manuscrits des méfaits du temps, l’humidité notamment. Aujourd’hui, la menace principale, ce sont les islamistes. Al-Qaeda, il y a quelques années, et maintenant Daech. »
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