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LIVRES & MANUSCRITS
32.
Gaston CHAISSAC (1910-1964). 2 lettres autographes signées à Pierre Boujut, la première de 4 pages in-4 sur papier d’écolier
quadrillé, la seconde de 2 pp. in-4
illustrée d’un grand dessin original au crayon d’une page
, daté de novembre 59.
La première sur son arrivée à Paris et ses éditeurs : «
On voudrait nous faire croire que Paris est une réalité
et c’est sans doute à cet effet que
dans les gares on met à la disposition des voyageurs des billets pour s’y rendre ». Dans les
Lettres françaises
on parle de lui comme d’un cordonnier du
bocage : « Comme si moi libre citoyen de la bonne ville d’Avallon avait quelque chose à voir avec les cordonniers du bocage ». Puis il parle de son
séjour à Paris : « Ce fut ma première nuit passée dans un hôtel de la rue de Lyon dans lequel se voyait une vraie débauche de linoleum ». Il se plaint
aussi du bruit dans l’endroit : « où le bruit de l’eau dans les chasses où les conduites m’avaient empêché́ de roupiller ». Il parle aussi des Tuileries en
fleurs : « J’avais surtout été ébloui par l’avenue d’Italie et j’y ai même fait emplette de ma première montre dans une modeste horlogerie tenue par
un métèque […]. Avant d’être orphelin j’ai aussi logé chez une dame qui a soixante dix ans s’habillait comme une jeune ». Il allait dans les cinémas
: « où je reluquais volontiers les ouvreuses […].
Tout ça c’était avant que je fasse de la peinture pour faire partie d’un clan d’une confrérie
[…].
Mais le Paris artistique me reste complètement inconnu n’étant allé qu’à deux vernissages et en tout […] ».
Dans la seconde, il le remercie pour les numéros reçus et surtout
celui consacré à Artaud
. « J’ai l’impression d’avoir jeté un pavé dans la marre
aux crapauds avec la fin de mon petit texte. Mais ce qui est certain c’est qu’il n’y aura pas eu que des bouseux pour se payer ma tête.
Quand je
pense que Guégen parle de magma au sujet de mes dessins à la plume
. Si encore ces dires m’avait conduit au succès de vente j’accepterais ces
plaisanteries […] qu’on poussa jusqu’à faire figurer le Christ couronné avec ma photo dans fêtes et saisons. Et malgré ma situation si lamentable
ce qui rend les choses encore plus lamentable. Les gens sont d’une inconscience et d’une impudeur ». Le grand dessin représente un personnage
et une tête d’homme barbu, figurant probablement le Christ.
1500 / 2000 €
33.
Gaston CHAISSAC (1910-1964). 3 L.A.S. à Raymond Cogniat, du journal Arts. 1948-1949. 7 pp. in-4 et 1 p. ½
grand in-folio (37 x 27 cm). Avec une linogravure originale.
Magnifique correspondance sur son œuvre et son art. «
Ma gouache à 32 ronds du 22.11.48 me fait penser que Dubuffet m’avait parlé d’airs
arabes sur une seule note. Elle a quelque chose des colliers et des chapelets
. Voilà quelque temps j’en étais aux crucifixions et ma femme trouve
mon décapité crucifié fort tragique.
Ce qui est curieux c’est que j’ai fait ce décapité sans le vouloir. C’est deux cercles l’un dans l’autre que j’ai
fait sans motif qui le rende ainsi
. Et à la place de la tête il y a comme l’image d’une tête ». Il pense faire une exposition dans quelques mois : «
rétrospective de mes tableaux sans attaches terrestres et certains seront peut-être assez étonnés que je fais des choses comme ça depuis 1938.
J’ai
d’ailleurs exposé au salon des réalités nouvelles. Albert Gleizes qui connait mon existence depuis 1938 m’y avait fait inviter
. Sur feuille de
papier de verre je n’ai peint que mon « Croisé » ça use beaucoup les pinceaux de peindre sur des feuilles de papier de verre ». Un journaliste de
province l’avait alors baptisé «
Le Picasso en sabots
». «
A mon exposition à l’arc-en-ciel j’avais surtout des choses exécutées en tenant compte
des conseils de Monsieur André Lhote et j’avais dû très mal comprendre ses explications
. J’aime surtout les produits de l’artisanat,
les œuvres
d’artistes me laissent assez indifférent même les chefs d’œuvre
». Puis il parle longuement de Maurice Charrieau, un jeune paysan : « J’en suis
donc à ma gouache à 32 ronds et il en a coulé de l’eau sous le pont depuis qu’apprenti bourrelier de 14 ans mon patron m’apprenait à peindre les
attelles de colliers de chevaux ». Il pense aussi à : «
tenter de décorer des statuettes genre Saint Sulpice pour voir ce que la transformation serait
au juste
. Et je trouve que des artistes devraient tenter de décorer des statuettes mal foutues, caricaturales, en s’efforçant de les arranger avec de la
couleur, ceci à l’exemple des femmes laides qui usent d’artifices ». Il participe aussi au concours de père Noël : «
mon père Noël est peint sur une
pierre plate et il est expédié d’hier au foyer de l’Art Brut
». Il l’entretient ensuite, pour finir, des tableaux de Mlle Bochereau qui : « ont été vus
par un Mr Bernard dentiste à Juan-les-Pins et grand ami de Picasso ». L’oncle de cette femme sculpteur animalier avait : « construit une cathédrale
magnifique dans une bonbonne de verre et la montrait dans les foires ». Puis, dans sa deuxième lettre : «
Je suis content car ce que je viens de
peindre tombe dans l’artisanat me semble-t-il. Il n’y a que des ronds assemblés et ça figure un personnage qui semble être en perles
. Il a un peu
l’expression de Bécassine mais celui qui penserait que j’ai voulu m’inspirer de cette héroïne me croirait bien plus habile que je suis ». Il se propose
de lui adresser quelques dessins de ce type. Il a vu un tableau de Magnelli accompagné d’un article défavorable. « Comme vocation j’avais plutôt
celle du travail que celle d’une profession particulière mais j’aurai toutefois assez été attiré par le bâtiment.
Je pense aux sculptures en graisse
de phoque des esquimaux
et je me dis que certains paysans n’auraient pas été poursuivis pour vente de beurre au-dessus de la taxe s’ils l’avaient
présenté sous la forme de statuettes pétries de leurs mains ». Et il suggère alors toutes formes d’œuvres de la sorte. Il regrette que les fraudeurs
n’aient pas d’imagination. « Ne pourriez-vous pas me présenter comme un mystificateur de 1ère classe, ça pourrait me valoir la protection des gens
qui encouragent les mystifications […] peut-être en existe-t-il et peut-être qu’avec leur argent je pourrai créer une brillante entreprise d’artisanat
». Dans une troisième lettre, très grande et graphique, il s’exprime de nouveau sur son art : «
Vers 27 ans, je me suis mis à mettre de la couleur
à mes graffitis d’adultes incultes
. Ce n’était pas sans précédent une chose comme ça mais
je dois être un cas à peu près unique du fait que j’ai
poussé l’expérience en peignant des milliers de tableaux sans prendre aucune leçon si bien qu’on peut voir à ma production ce que ça donne
en partant de graffitis d’adultes incultes et persistant. Je me considère aujourd’hui comme un semi-inculte
. Libre à votre journal de prendre
partit contre ma peinture, mais je trouve que vous devriez me présenter comme un cas […]. Je n’ai pas été sans être étonné qu’on ne prenait pas
en considération que j’étais un cordonnier sans travail et qu’on aura dû avoir scrupules à me faire tort […]. Et un pauvre diable de critique d’art
est sans doute assez proche d’un cordonnier sans travail.
Mes premiers essais de coloriage eurent lieu surtout à la maison départementale de
Nanterre où j’étais alors hébergé et l’élément artistique y était représenté par un vieux qui faisait des portraits au fusain d’après des photos et
aussi par un homme qui avait été en prison et qui pour 4 francs faisait à la peinture à l’eau des paysages d’après des photos d’une géographie
qui ne le quittait pas
[…] ».
3 000 / 4 000 €
34.
Gaston CHAISSAC (1910-1964). Lettre autographe signée. Vix (Vendée), 1961. 4 pp. in-4 (dont 3 occupées par 3
dessins originaux).
Belle lettre illustrée de 3 dessins
. « Me revoilà sur le tapis, faisant couler de l’encre et user de la salive. Ce qui m’est à la fois très simple et
compliqué. La difficulté m’est surtout de rester dans les conditions adéquates en étant sous l’influence de gens restés comme les bédouins par
exemple très près de la nature et partageant leur vie. Et en disposant de matériaux inattendus, qui tombent du ciel à l’improviste. Il me faut
veiller à ce que la bonne influence reste bien dosée et ne soit pas détruite.
C’est en quelque sorte une vie d’abnégation en fin de compte et
que mon bavardage masque plus qu’il ne dévoile. J’ai encore une gouache sur carton orné aussi d’écorces de Normandie et qui en 1939
déroutait Breteaux. Elle est en mauvais état mais le mieux je crois est que je ne la restaure pas
». Les trois dessins, réalisés au stylo à bille,
représentent de curieux personnages plus ou moins formés, typiques de son art.
1 000 / 1 500 €