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HORTENSE DE BEAUHARNAIS
. L.A.S. « Hortense », Rome 8 avril 1824 ; 2 pages et demie petit in-8 (deuil).
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Mort de son frère Eugène (à Munich le 21 février). « Chère Eglé, encore un affreux malheur ! Et il faut le supporter avec résignation.
Que mon cœur est déchiré ! Hélas, j’ai tout perdu ! Et sans mes enfants je crois que je dirois, c’est trop longtems vivre, pour voir mourir
tout ce qu’on aime et avant la vieillesse se trouver dans un isolement complet, ce coup a été bien rude, et j’étois si loin de lui, que je n’ai
pu le soigner, quand moi seule j’aurois deviné sa maladie ! Ah ma chère Eglé, que de douleur dans la vie. Cependant j’ai du courage, je
me répète que la volonté de Dieu soit faite il m’a mise à de terribles épreuves. Je m’y soumets mais quand je pense que je ne reverrai plus
l’ami de mon enfance, ce frère si tendre et si parfait, mon cœur se serre, et si je pouvois pleurer, alors je serois peut-être soulagée. Ma santé
est bonne, ne sois pas inquiette de moi, ma tête seulement me fait quelquefois souffrir, mais c’est une ancienne habitude. Ici je trouve les
seuls moyens de distraire de la douleur. Il y a des églises toujours ouvertes, où les malheureux vont, il y règne un grand recueillement, cela
s’appelle les prières des 40 heures. C’est là où je vais souvent, on ne se voit entourée que de ceux qui souffrent et qui espèrent une meil-
leure vie, cela fait du bien, le seul bien qu’on puisse attendre, celui d’élever son âme au-dessus de ses propres souffrances. Ensuite je pense
à mes enfants : je ne veux pas trop attrister leur jeunesse et je prends beaucoup sur moi ». Elle repartira en mai, et ira voir sa « pauvre sœur
[Auguste, la veuve d’Eugène], si je n’y allais pas à présent, je n’aurois peut-être pas la force d’y retourner jamais car c’est là où j’aurai la
conviction de mon malheur. Je reviendrai ensuite dans ce pays, toujours comme voyage. Mon fls aîné est dans un âge où mes conseils et
ma tendresse doivent lui être nécessaire, je ne m’en éloigne ici donc jamais si longtems »…
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HORTENSE DE BEAUHARNAIS
. L.A.S. « H. », [Arenenberg] 1
er
août 1824 ; 2 pages et demie in-8.
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Il ne faut pas s’inquiéter de ses « embarras de fortune […] j’ai si peu connu la valeur de l’argent que par habitude j’en ai toujours donné
trop, et je dirai que par habitude aussi on ne cesse jamais de m’en demander. Enfn pour ne pas toujours manger sur le fond et payer
des frais extraordinaires, tels que mon voyage et le mausolée de ma mère, il faut que je reste à la campagne, […] dans un an ou 18 mois
comme je mets enfn ma galerie en loterie, tout sera dans l’ordre ». Elle ne craint pas l’hiver avec des poêles : « quelques mois sont
bientôt passés. Louis n’est pas dérangé ni son gouverneur ce qui est essentiel. Nous sommes comme au collège, toutes les heures sont
employées »… Elle espère que son homme d’affaires Devaux va en fnir avec Ouvrard et « cette affaire qui est réellement désagréable
depuis que j’ai quitté la France. Conçoit-on que ce millionnaire ne veuille pas me payer la terre qu’il m’a achetée. Aussi je vais envoyer
quelqu’un pour lui faire un procès malgré les temporisations de Mr Devaux »… Elle parle des enfants d’Églé, et espère ne pas recevoir
une visite : « je n’aime pas les fats et il m’est revenu quelque chose qui prouveroit qu’il en est dans ce monde, tant que les ennemis ont
parlé j’y ai fait peu d’attention ; mais j’aime assez à découvrir les caractères et s’il y a de la médiocrité je me détourne. L’esprit dans un
salon me plait comme à tout le monde, cela fait du bruit et distrait ; dans les temps de douleur on n’a besoin que de ses amis et ne l’est
pas qui veut […] Je ne tiens qu’à l’amitié, à l’estime de mes vieux amis et j’espère l’avoir. J’ai perdu le plus ancien, le plus nécessaire, je
ne saurai plus à qui confer mes moindres pensées, et pourtant il faut se résigner à cet isolement complet ». Elle espère voir bientôt la
Grande Duchesse (Stéphanie de Bade) : « Son caractère s’est bien formé, nous nous entendons très bien et quoiqu’éloignées souvent,
au moins on se retrouve ». Elle voudrait « faire faire la vie de mon frère, ce sera une grande occupation, et c’est celui qui devait s’en
charger qui ne me convient plus beaucoup, à cause des prétentions dont je t’ai parlé, mais dans ce pays-ci les talents sont rares et le
mien ne suffroit pas ».
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HORTENSE DE BEAUHARNAIS
. L.A.S. « Hortense », [Arenenberg] 15 janvier 1825 ; 3 pages in-8.
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Au sujet d’un libelle : « j’ai toujours tenu à connoître tout ce qui étoit contre moi, et je suis habituée à me mettre au-dessus de ces injures
et de ces indignités. Jeune je suis entrée dans le monde le cœur rempli de l’amour de mes semblables. Déjà le sort m’avoit placée dans la
position de leur être utile. J’en fesois un devoir, tandis que c’étoit un besoin. J’attendois en retour de l’affection, de la justice. La première
fois que je me suis apperçue que je m’étois trompée, quel désappointement ! Je me souviens encore m’être écriée avec douleur, à la vue de la
première méchanceté écrite sur moi :
Ah je veux quitter ce vilain monde, je veux me faire ermite
. Hélas il a bien fallu depuis m’y accoutumer. Je
me suis dit, les rangs élevés inspirent la jalousie, on vous en veut d’avoir besoin de vous, et l’on vous frappe encore plus fort, quand on vous a
ôté les moyens d’être utile. Au contraire, accabler votre malheur est peut-être une source de fortune, on en use sans restriction, c’est dans la
nature des choses humaines, il faut donc se résigner. […] Je me souviens encore de ta pauvre tante [Mme Campan] venant me voir dans un
de mes moments de découragement quoiqu’
assis sur un trône
. Ne vous laissez pas mourir me disait-elle. Vivez, vous avez besoin de vivre pour
qu’on vous connaisse et qu’on vous rende justice. […] Pauvre et excellente femme, elle ne se doutoit pas que je n’étois encore qu’au début
des calomnies. Au reste plus elles sont monstrueuses et plus on s’élève au-dessus d’elles. Les morts seuls ont le droit d’attendre des défenseurs
de ceux qui vivent. Ainsi ma mère [Joséphine] en trouvera puisque depuis quelque tems elle est devenue aussi le but de la méchanceté.
Ceci m’a touchée je l’avoue, et ce ne sont pas les libelles mais celui qui a été leur source :
le mémorial
de Mr de Las Cases. Je n’ai pu encore
deviner la raison de tant de faussetés sur ma mère et elles m’ont révoltée ». Elle réagit à un ouvrage sur Madame Campan [
Journal anecdotique
de Madame Campan, ou Conversation recueillies dans ses entretiens
, 1825] : « Comment veut-on rendre une conversation ? Il faudrait se faire
tachygraphe, et encore le ton, la physionomie donnent aux paroles souvent une expression différente. Les faits même se dénaturent par un
mot. Aussi celui qui écrit donne-t-il du sien et c’est lui qu’il faut juger plutôt que celle qu’il veut représenter. Mais il ne faut pas confondre
avec l’ouvrage les lettres qui sont à la fn. Elles sont charmantes. Je n’ai qu’un regret c’est qu’il n’y en ait pas davantage. […] On critique tout
mais on se classe parmi les personnes célèbres. Par cette morale si bien exprimée, cette raison si soutenue, ce cœur si tendre, toutes les mères
voudroient donner de tels conseils à leur fls et si j’étois de sa famille j’aurois réuni tout ce que j’aurois pu trouver de conseils à ses élèves pour
les faire connoître. Ce qui peut être utile aux autres ne peut jamais être blâmable et tant pis pour celui qui blâme ». Elle a reçu des nouvelles
de Suède : « Tes enfants y ont beaucoup de succès la reine m’écrit même d’Aloïs tourne la tête de toutes les belles dames de la cour. Je suis
heureuse de penser pour toi qu’ils sont dans une position qui leur convient »... Elle fera bien attention à ne pas mettre « le feu dans notre
petit château de bois […] Je n’habite pas ma chambre en mousseline à cause de la cheminée, ce seroit trop froid. J’ai pris celle en face, enfn
je t’assure que nous sommes bien. J’étois bien autrement mal les deux hivers qui ont suivi mon départ de la France. À présent je suis chez
moi, tout m’y intéresse, le pays est même beau avec la neige, mon fls travaille, est content, je n’en veux pas davantage »...
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