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voir nos figures que nous les leurs, ils ont bien de la peine à deviner ce que c’est qu’un grand instrument que nous
allons toujours portant avec nous, auquel nous bâtissons des temples sur les montagnes, où quelqu’un de nous
veille toujours auprès de lui chaque nuit, auquel nous n’osons presque toucher et duquel nous n’approchons qu’en
tremblant et souvent à genoux ; tout ce que pensent sur cela les plus sensez, c’est que c’est quelque divinité que
nous adorons, mais pour les esprits forts ils nous croient des foux et nous avons rapporté ici ce dernier voyage
encore cette divinité qui est notre secteur, nous l’avons reporté sur Kittis dans un observatoire que nous y bâtimes
l’automne passé : c’est sur le sommet d’un mont glacé dans la cabane la plus mal fermée que nous passons des nuits
dans la glace et dans la neige dont le recit feroit trembler à Paris pendant que nos voisins nous regardent comme les
gens les plus voluptueux et qui cherchent le plus leurs commoditez »… Les Lapons ne font guère plus de cas de la
musique des Français que de leur astronomie, et la guitare de Maupertuis n’a point réussi avec eux ; la musique des
Lapons lui a paru étrange, et si l’auteur de la chanson qu’ils chantent à toute heure « a voulu exprimer le jappement
d’un chien leur musique est plus expressive que tous les recitatifs de Lully et de Destouches ». Les Lapons entrent
partout sans se faire annoncer, « une autre fois nous examinerons si vous voulez, lesquels d’eux ou de nous, sont
les plus raisonnables ; mais il faut que j’y pense auparavant, car je n’en sçais encor rien »… Puisque la marquise a
attaqué sa sincérité, il ne lui raconte que des choses communes et non les « mille choses incroyables à ceux mêmes
qui les ont vües ». Il lui adresse des vers (un dixain) : « J’avois perdu Christine dans la neige »… Il termine en
chargeant son amie de salutations pour leurs amis M. de Saint-Hyacinthe et Madame (« j’ai pour elle presque
autant d’aversion que pour vous »), le comte de Vertillac, « M. notre Gouverneur » [Du Châtelet, gouverneur de
Semur-en-Auxois], et M. de Burigny, « pour qui j’ai bien de l’estime et de l’amitié »…