68. COCTEAU (Jean). – [STRAVINSKY]. M
ES SOUVENIRS
1924-1927. M
ÉMOIRE SUR LA NAISSANCE
D
'Œ
DIPUS
-R
EX
.
Manuscrit autographe, s.d., 27 pages in-folio sur papier pelure, dont 26 montées sur
onglets et un feuillet volant, certaines très corrigées, reliées en 1 volume maroquin noir, plats
entièrement décorés d'une composition régulière de grands monogrammes classiques :
I. S.
[Igor
Stravinsky] mosaïqués vert foncé et disposés sur trois rangs — entre le 1
er
et le 2
e
rang le titre,
Oedipus Rex
en lettres capitales à froid — jetés sur le tout, d'autres monogrammes
J. C.
[Jean
Cocteau] d'un même graphisme mais de différentes grandeurs, sont mosaïqués, le J en petites bandes
horizontales de veau blanc et jaune, le C en divers tons de rose et de rouge, l'étoile de Cocteau en
filets dorés et disséminée sur l'ensemble, doublure avec encadrement de veau vert clair, gardes de
papier, chemise demi-maroquin noir, étui (
Paul Bonet, 1946
).
30 000 / 40 000
€
T
RÈS CURIEUX ET TRÈS BEAU MANUSCRIT INÉDIT
.
Fruit de la collaboration de Cocteau et de Stravinsky,
Œdipus-Rex
fut représenté le 30 mai 1927 au Théâtre
Sarah-Bernhardt. La genèse en fut assez houleuse, Cocteau s'étant d'abord brouillé avec le musicien, puis
réconcilié début 1926. Ils travaillèrent alors de concert, Stravinsky achevant sa partition le 10 mai 1927.
A l'évidence, ce manuscrit constitue un règlement de comptes, Cocteau vidant son sac, naturellement à son
avantage. Le ton est donné dès la note liminaire :
J'ai promis à Igor Stravinsky de garder le silence sur les
rouages secrets d'Œdipus Rex. Je tiendrai ma promesse. Mais je n'ai pas promis de me taire sur les
circonstances qui entourent sa genèse et sa représentation…
Sans doute ce texte appartenait-il, dans la pensée
de son auteur, à un projet plus large, indiqué par le sous-titre :
Mes souvenirs 1924-1927.
(Il est piquant de
remarquer qu'en 1957, Cocteau écrira un long et vibrant poème intitulé
Hommage à Igor Stravinsky
.)
Dans ce vigoureux plaidoyer
pro domo
, Cocteau va rejeter tous les torts sur son ex-ami, avec une insistance
qui ressemble fort à de l'acharnement. Très vivant et écrit avec un certain brio, ce texte, où Stravinsky est
littéralement criblé de flèches, constitue une chronique détaillée, et d'un vif intérêt, de toute la genèse de
l'opéra. Après avoir protesté :
J'ai toujours adoré, admiré Stravinsky, et sans réserves,
Cocteau rappelle qu'il
s'était brouillé avec le musicien en 1916 à cause de Diaghilew et du
Coq et l'Arlequin
. La raison ?
Une sorte
de folie religieuse où il venait de se jeter,… qui le poussait à se méfier des Thomistes, à s'ériger en tribunal, à
trouver tièdes les prêtres et frivoles les fidèles, à reconnaître le diable partout, à ne dévorer que la vie des
Saints et des Saintes, à ne plus recevoir personne que le pape
[sic]
et à communier chaque semaine, ce qu'il
menait de front avec un double ménage sous le regard émerveillé des siens.
Ils renouèrent en 1923 :
Je venais
de publier Plain-Chant. Ce poème l'avait frappé. Il n'entend pas grand'chose à la poésie, mais il le trouvait
classique…Avec mille silences et détours il me parla d'une collaboration possible…
Evocation d'un voyage en
train :
Il prenait toujours un sleeping pour lui seul et il m'offrait la place vide. J'appris plus tard, de son propre
aveu, qu'il obtenait le demi-tarif et que, par conséquent, ma place remboursait le voyage.
Lors d'un séjour à
Villefranche, ils décident de collaborer :
… il me parla de son désir de faire un opéra et que j'en écrivisse les
paroles. Il les souhaitait en latin pour établir une œuvre phonétiquement définitive. C'était l'Eglise qui le
hantait, mais avec son goût infaillible, il voulait éviter les sujets religieux…
Des problèmes ne tardent pas à
surgir :
Je travaillais sans trêve. Dans le train qui nous ramenait encore en ville, je lui lus mon texte. C'est
superbe, me dit-il, trop superbe hélas ! … Il avait raison. Je m'étais laissé prendre. J'avais écrit une pièce, je
n'avais pas écrit un livret. Le coup était dur. La figure dans les mains, Stravinsky se taisait, se mordait les
lèvres, relevait la tête…
Il se remet au travail :
Nous vivions Stravinsky et moi dans l'intimité la plus étroite.
Igor avait acheté une voiture neuve et m'avait emmené de Paris à Nice, où il conduisait sa maîtresse pour
l'avoir davantage sous la main. Il était fou d'amour et s'en ouvrait à Catherine. Catherine et Mme X se jettent
dans les bras l'une de l'autre et pleurent des larmes russes. Igor se confessait, communiait et recommençait et
recommençait.
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