Surprenante provenance que celle de l'écrivain Ludwig Thoma (1867-1921), célèbre pour ses récits
humoristiques du folklore bavarois. Il dirigea l'hebdomadaire satirique
Simplicissimus
à partir de
1900 où il se fit connaître par ses critiques acerbes de la société, de l'Église et de l'État. À partir
de 1916, il sombra dans un antisémitisme radical et s'opposa avec virulence à la République de
Weimar. Comme Trakl, il servit dans les services sanitaires sur le front de l'Est.
Les envois de Georg Trakl sont d'une rareté proverbiale. Aucun autre exemplaire n'a paru sur le
marché et ne paraît répertorié.
L'exemplaire porte par ailleurs, sur le feuillet préliminaire, une mention manuscrite au crayon :
“
Maidi 29.10.42
”. Elle renvoie à
Maidi Liebermann von Wahlendorf
(1883-1971) qui fut la maîtresse
de Ludwig Thoma à partir de 1918 et sa principale héritière. Ex-libris gravé de
Hans Windisch
.
Cet exemplaire unique des
Gedichte
est accompagné d’un poème autographe signé,
en partie inédit : il s'agit du seul manuscrit connu du poème
Psalm
, une des compositions
clés du poète autrichien.
Il a échappé aux auteurs de l'édition critique de 1995.
Par la suite, Trakl devait ajouter une quatrième strophe de 9 vers, remanier intégralement la
dernière strophe ainsi que le vers 16 (
Es sind Gärten mit Rosenstöcken und blauen Glaskugeln
) et le vers
final. Les versions publiées présentent également des différences dans la disposition typographique
et la ponctuation. Seule la troisième strophe de cette version a été reprise en 1949 dans les œuvres
complètes de Trakl.
Psalm
parut dans la revue
Der Brenner
en octobre 1912, puis dans le recueil
Gedichte
en 1913, avec une
dédicace à son ami Karl Kraus, l'écrivain viennois, dont Trakl avait fait la connaissance durant l'été
1912. Le manuscrit autographe ne porte pas de dédicace, ayant à l'évidence été rédigé avant cette
rencontre décisive.
Es ist ein Licht, das der Wind ausgelöscht hat.
Es ist ein Heidekrug, der am Nachmittag ein Betrunkener verläßt.
Es ist ein Weinberg, verbrannt und schwarz, mit Löchern voll Spinnen.
Es ist ein Raum, den sie mit Milch getüncht haben.
(...)
Fortement influencé par Rimbaud,
Psalm
marque un tournant dans l'œuvre de Trakl : libérée
des contraintes du vers régulier, sa poésie se disloque, se fragmente, tout en demeurant
extraordinairement musicale, comme le souligne Alfred Doppler. Ce dernier accorde à “
Psalm
”
une place à part dans la littérature apocalyptique de l'époque (Alfred Doppler,
Die Lyrik Georg Trakls
,
Salzburg, 2001).
Le poème apporta également à Trakl, pour la première fois, la reconnaissance des lettrés. Sa force
d'évocation a marqué les lecteurs du
Brenner
. Karl Kraus répondit à la dédicace par un article dans
son journal
Die Fackel
qui jouissait alors d'une large audience.
Les autographes de Trakl sont de la plus grande rareté, les archives du poète ayant été
acquises par l'État autrichien auprès de Ludwig von Ficker qui les avait conservées.
On ne connaît, en mains privées, que deux poèmes autographes,
Nachtergebung
et
Der Heilige
,
le brouillon du poème
Entlang
, deux lettres et un dactylogramme.
La Grande Guerre des écrivains d'Apollinaire à Zweig
, textes choisis et présentés par Antoine Compagnon, folio, 2014, pp. 148-150.
80 000 / 120 000 €
1 9
1 3
“C'est
une lumière
que le vent
a éteinte”