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Henry de Monfreid : aventures et manuscrits

RTCURIAL

14 juin 2016 14h. Paris

«Je crois bien être le dernier survivant de ceux qui connurent Ménélik, et cet honneur ne

me rajeunit pas. C’était en effet vers 1909, alors que, trop écœuré par la vie du troupeau,

ma nostalgie d’autre chose me poussait vers les pays “sauvages”, comme on disait en ce

temps-là.

Depuis mon enfance je traînais cet état d’esprit sans en comprendre les causes.

Aujourd’hui je me rends compte que je le devais à l’impression profonde que me fit

Paul Gauguin. Je le vis plusieurs fois dans l’atelier de mon père à Montrouge, rue du

Moulin-de-Beurre. J’avais dix ans et je l’écoutais, émerveillé, parler des Antilles et de

ses projets de départ définitif pour les îles du Pacifique. Il arrivait de Bretagne où il

avait été blessé au pied dans une rixe à quatre contre un, et sa haine du civilisé s’en était

accrue. Il voulait rompre en visière avec un monde aveugle, partagé entre le snobisme

et les séculaires routines, mais surtout il devait fuir la misère meurtrière qui guette le

rebelle, l’indépendant, le novateur, fuir l’incompréhension haineuse et destructive, fuir ce

qui doit se disputer au prix de secrètes lâchetés et de cyniques infamies, fuir… mais non,

envisageons le problème à rebours et disons simplement qu’il se fuyait lui-même.»

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