Lot n° 169

Jean COCTEAU (18891963). 12 L.A.S., 19251936, à Gaëtan Fouquet ; 15 pages la plupart in-4, 2 enveloppes autographes.

Estimation : 1500 / 2000
Adjudication : 3 800 €
Description
Très belle correspondance à l'ami de Jean Bourgoint (qui inspirera, avec sa sreur, Les Enfants terribles). Elle débute alors que Cocteau suit une cure de désintoxication à la Clinique des Thermes urbains en mars-avril 1925. 16 mars 1925. Il tient à le rassurer quant à ses rapports avec Jean Bourgoint : « Le bel amour laisse tout à sa place. Il n'y a que les ravisseurs qui volent. Moi je me propose d'augmenter, si possible, cette amitié de Jean pour vous. L'amour c'est la multiplication du creur. [...] Soyez calme et aimez moi comme je vous aime à travers Jean »... 4 avril. Il le remercie pour son bouquet de fleurs, « une merveille pour l'reil et pour le creur : mon grand-père qui avait un chic prodigieux portait à la campagne un costume de tussor rose, un chapeau de paille noir, une lavallière à pois, une ombrelle doublée de soie verte et toujours des primevères à la boutonnière ou à la main. Il les cueillait sur notre pelouse. Les pâquerettes doubles me ramènent au Pré-Catelan ; on me louait un “tricycle”, à 4 h. on buvait du lait tiède au milieu d'un charivari de cacatoès. Mais vous êtes fou. Je blâme les cadeaux. Vous m'avez donné votre amitié qui contient toutes les primevères et toutes les pâquerettes. [...] Surveillez bien mon ours [Jean Bourgoint], que les abeilles ne le piquent pas, qu'il ne monte pas sur les branches trop hautes »... - « Ne croyez pas utile de répondre à réponse [...] Je vous écris par pur plaisir et à 7 h. du matin comme Balzac (non Balzac c'était la nuit et avec du café) - comme Buffon ». Jean ne lui raconte rien et se contente de lui tirer les cheveux. Il est intrigué par « le jeu de Rossinante » ; quand ils seront à Villefranche, « vous danserez avec les marins américains qui ont des jolis lacets sur les fesses. Je m'embête à périr. Représentez vous pauvre ange sans ailes en pyjama rouge seul devant un azalée de Poulenc. Et quand j'interroge les docteurs ils refusent de me répondre. “J'élimine” disent-ils. Peut-être en 1916 m'eussiez-vous aimé : j'étais en marin avec un beau col bleu et un pompon rouge. Très fier »... Ils iront à Meaux pendant sa convalescence : « Il y a un passage de Thomas l’imposteur qui s'y déroule »... 16 avril 1925. « Votre écriture “sage” n'était pas une injure. Je grondais Jean dont l'écriture est une vitre cassée par une pierre ». Les lettres de Fouquet lui apportent beaucoup de plaisir et de réconfort, « car sans elles je n'aurais pas Jean depuis sa source. Jean me taquine beaucoup mais il est mon seul remède et du jour où on l'a laissé entrer j'ai regagné des forces. Mon Dieu qu'il a du vous taquiner au collège ! ». La Clinique des Thermes va être démolie, et on le chasse : il cherche un hotel aux environs de Paris, où il espère sa visite avec Minerve [il ira en convalescence à Versailles jusqu'à la fin mai]. « Jean aime la beauté grecque -alors je me cache sous les meubles. Imaginez que je ne me rase pas et que Jean l'accepte - c'est un ange du ciel. Je cache mes dents de chien-loup - il cache ses pattes d'ours. Nous sommes très droles. Les cachotteries de Watteau ne sont rien à coté de nos prouesses et de nos ruses. Jean vous a-t-il raconté mes projets d'avenir ? - Je gagne des millions, j'achète un bateau, et nous partons, Minerve, Jean, vous et moi [...] scandale parisien »... 1929. [Cocteau est en cure de désintoxication à l'hopital de Saint-Cloud]. « ... Il fait grand froid et j’ai tué six loups. Voilà presque l'intérêt du genre de nouvelles que je peux écrire. Je sors de souffrances atroces et on ne me laisse voir personne (j'ai vu Bébé [Bérard], avant la mauvaise période, par surprise 5 minutes) ». Fouquet, qui projette une édition complète des Fantomas, propose à Cocteau de l'illustrer : « Il serait plus simple d'illustrer Homère ! C'est un monde, un monde dont chacun se forme une représentation. [...] même une préface me ferait peur ». La meilleure façon d'illustrer serait par des photographies, notamment « des coins de Paris par ce vieux photographe mort qui était le Rousseau de la photographie [Atget] ». Il développe son idée, et dresse une liste de titres à publier : « Confier le livre à “des” illustrateurs serait criminel - (Max [Jacob], peut-être, le seul !) - Bébé ferait un F. sublime -ou cet extraordinaire Léopold Chauveau [...] qui m'émerveille. Renoncez d'avance au genre surréaliste, démodé. Quel problème ! Si j'illustre de face, je rapetisse. Si j'illustre de biais je serai prétentieux ». Il promet pourtant d'essayer... - 1929. Ce serait une grave faute commerciale « de publier certains tomes de Fantömas. Cela donnerait à la chose un air “moderne” - Vogue etc... que vous détestez autant que moi. Il faudrait publier peu à peu toute la suite [...] et je ferais un dessin par volume (en tête). Omettre la mort de la Mse de Langrune serait publier du Proust sans faire apparaïtre Me de Guermantes. Le dröle est qu'une maison nouvelle médite un F. complet et me demande la préface. Me croirait-on Juve ? »... -« Dans le genre de crise que je traverse, les amitiés peuvent beaucoup plus que les médecins. Aidez moi et dites à Sauguet que je pense à lui et que je voudrais lui soumettre une sorte de problème musical »... - « Cette histoire Bourgoint est atroce. Voyez Jean, empêchez le de glisser sur la pente, de se faire exprès “voluptueusement” de plus en plus lourd » [allusion à la tentative de suicide de Jean Bourgoint et son accoutumance à l'opium]. Il remercie Fouquet de ses conseils en littérature policière, avec les livres de la collection du Masque : « les livres de cet ordre sont les seuls possibles avec 5 ou 6 vrais livres parce que leur vitesse idiote ressemble à leur vitesse géniale et qu'on ne peut plus s'attarder aux lenteurs des “livres remarquables”. Ils me sauvent. [...] Si vous découvrez une collection passionnante ou un livre inévitable -mettez le à mon compte et envoyez le moi, vous m'aiderez plus que la médecine ». Sauguet semble être le seul à pouvoir répondre à son problème musical : « Les autres dorment enroulés sur place comme une clef de sol »... 1930. « Comment pouvez-vous croire à des “potins” - entre nous il ne peut y avoir que du bruit ou du silence - des choses réelles et qui concernent le creur. Non seulement votre amitié me touche et vous pouvez être sur de la mienne - mais le souvenir de Versailles, des Thermes, etc., met entre nous un charme unique »... - Maurice Sachs aurait besoin d'un pastel qui se trouve chez Fouquet, et passera le prendre... -Il engage Fouquet d'aller soigner ses « misères » chez un guérisseur à Aulnay-sous-Bois : « il soigne 90 personnes par jour [...] faites scrupuleusement ce qu'il vous ordonnera, aussi étrange cela vous paraisse-t-il »... Oct. 1936. Il est à Fourques [chez Jean Hugo]. « Jean Bourgoint est avec nous et se plaint de votre silence »... On joint 16 photographies : 8 photographies d'amateur (formats divers) de Cocteau, probablement lors de sa convalescence dans le Midi, et 8 par Sacha Masour pendant le tournage du Sang d’un poète ; plus des coupures de presse.
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