Lot n° 69

FLAUBERT Gustave (1821-1880). L.A.S. « ton G. », Dimanche soir [« 18 décembre 1853 » de la …

Estimation : 3 000 - 4 000 EUR
Adjudication : 3 295 €
Description
FLAUBERT Gustave (1821-1880). L.A.S. « ton G. », Dimanche soir [« 18 décembre 1853 » de la main de Louise Colet], à Louise COLET ; 4 pages in-4, enveloppe.
Longue lettre de conseils à sa Muse sur ses poèmes, et sur le Crocodile Victor Hugo.
J'ai mille excuses à te faire, pauvre chère Muse. [...] Quand je dis excuses, ce sont plutôt des explications. Je ne méprise nullement La Servante. Qui t'a fourré ça dans la tête ? Au contraire ! au contraire ! Si j'avais jugé la chose mauvaise, je te l'eusse déclaré, comme j'ai fait pour ta Princesse, pour ta comédie de L'Institutrice. - Mais non ! tu ne comprends jamais les demi-teintes. Je pense comme toi que tu n'as peut-être jamais écrit de plus beaux vers et en plus g[ran]de quantité dans la même œuvre ; mais - et ici commencent les réticences.
D'abord, je ne te sais nul gré de faire de beaux vers. Tu les ponds comme une poule les œufs, sans en avoir conscience. - (C'est dans ta nature, c'est le bon Dieu qui t'a fait comme ça) - Rappelle-toi encore une fois que les perles ne font pas le collier - c'est le fil, et c'est parce que j'avais admiré dans la Paysanne un fil transcendant, que j'ai été choqué de ne plus l'apercevoir si net dans la Servante. Tu .../...
avais été, dans la Paysanne, Shakespearienne, impersonnelle. - Ici, tu t'es un peu ressentie de l'homme que tu voulais peindre [Alfred de MUSSET]. Le lyrisme, la fantaisie, l'individualité, le parti pris, les passions de l'auteur s'entortillent trop autour de ton sujet. Cela est plus jeune, & s'il y a une supériorité de forme incontestable - des morceaux superbes, l'ensemble ne vaudra jamais l'autre (?) parce que la Paysanne a été imaginée, que c'est un sujet de toi - & en imaginant on reproduit la généralité, tandis qu'en s'attachant à un fait vrai, il ne sort de votre œuvre que quelque chose de contingent, de relatif, de restreint. Tu m'objectes n'avoir pas voulu faire de didactique. Qui te parle de didactique. - Si ! il fallait faire la Servante ! maintenant, il est trop tard, et au reste peu importe. Une fois le titre mis de côté, ce sera une fort belle œuvre & émouvante. - Mais élague tout ce qui n'est pas nécessaire à l'idée même de ton sujet. Ainsi, pourquoi ta gde artiste, à la fin, qui vient parler à Mariette ? à quoi bon ce personnage complètement inutile dans le drame, et fort incolore par lui-même ? Soigne les dialogues et évite surtout de dire vulgairement des choses vulgaires. - il faut que tous les vers soient des vers. La continuité constitue le style, comme la Constance fait la Vertu. - Pour remonter les courants, pour être bon nageur, il faut que, de l'occiput jusqu'au talon, le corps soit couché sur la même ligne. - on se ramasse comme un crapaud & l'on se déploie sur toute sa surface, en mesure, de tous les membres, tête basse et serrant les dents. L'idée doit faire de même à travers les mots. - & ne point clapotter, en tapant de droite et de gauche, ce qui n'avance à rien - & fatigue.
Mais comment pouvais-tu me juger assez borné pour méconnaître la valeur de la Servante ? »...
Puis il en vient au « Crocodile » [Victor HUGO] et à Sainte-Beuve accusant Louise de manquer de délicatesse : « Ce sont de ces choses dont il faut profiter, ou plutôt qu'il faut exploiter au profit même de son œuvre ; soyons donc contenus, chastes, sans rien nous interdire comme intention. Mais surveillons-nous sur les mots. Toi, tu te lâches un peu trop en ces matières et tu y mets une candeur qui peut passer pour impudeur (je parle en général, témoin : “C'est le dernier amour, etc. ”). Dans ce conte de la Servante il n'est question que d'impureté, de débauche ! de courtisane ! interdis-toi à l'avenir tout cela. Ton œuvre y gagnera, d'abord. - & ensuite tu auras plus de lecteurs, & moins de critiques. Ces sujets-là te troublent. Je voudrais qu'il te fût interdit d'en parler, et j'attends pour t'admirer sans réserve que tu nous aies écrit un conte, où il ne soit pas question d'amour. - une œuvre in-sexuelle, in-passionnelle. Médite bien ta Religieuse. & surtout point d'amour et point de déclamation contre les prêtres ni la religion. Il faut que ton héroïne soit médiocre. Ce que je reproche à Mariette, c'est que c'est une femme supérieure.
Quant à publier, je ne suis pas de ton avis. Cela sert. Que savons- nous s'il n'y a pas à cette heure, dans qque coin des Pyrénées ou de la Basse-Bretagne, un pauvre être qui nous comprenne ? On publie pour les amis inconnus. L'imprimerie n'a que cela de beau. C'est un déversoir plus large, un instrument de sympathie qui va frapper à distance. Quant à publier maintenant, je n'en sais rien. Lancer à la fois la Servante & la Religieuse, serait peut-être plus imposant, comme masse & contraste. Non ! je n'ai pas pr tout un détachement sépulcral car rien que d'apprendre tes petites réussites de librairie m'a fait plaisir. - & je suis bien peu détaché de toi, va ! pauvre Muse ! moi qui voudrais te voir riche, heureuse, reconnue, fêtée, enviée ! Mais je veux par-dessus tout te voir Grande. C
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