Lot n° 1046

HENRI IV (1553-1610) Roi de France. L.A.S. «Henry», [Bergerac 21 juillet 1585], au Roi HENRI III ; 6 pages in fol., adresse «Au Roy / Mon souverayn seygneur» (petite fente au dernier feuillet).

Estimation : 20 000 - 30 000 €
Adjudication : 24 700 €
Description
Importante et longue lettre historique du Roi de Navarre à son beau-frère le Roi de France, contestant la paix de Nemours où le Roi a renié sa parole et cédé à la pression de la Ligue et des Guise.

[Henri de Navarre vient d'apprendre que le Roi Henri III a cédé à la pression de la Ligue et des Guise, et a dû signer la paix qu'ils lui ont dictée (paix de Nemours, 7 juillet 1585), qui non seulement abolit tous les édits de pacification antérieurs, interdit le culte réformé et chasse du royaume leurs ministres, interdit aux protestants tout emploi public et les oblige à restituer leurs places de sûreté, mais aussi qui déchoit Navarre de tous ses droits et de ses prétentions à la succession au trône : après la mort de son frère le duc d'Anjou en 1584, Henri III n'ayant pas d'enfant, le trône devrait revenir au futur Henri IV, descendant en ligne directe de Saint Louis.
Or le Roi a capitulé devant les extrémistes catholiques, qui se sont servis de la religion comme argument pour préparer en leur faveur la succession d'Henri III. Le futur Henri IV tente ici de ramener le Roi à la raison, en démontrant que la religion n'a été qu'un faux prétexte, et que les Guise ne visent en fait que lui, Roi de Navarre et légitime héritier du trône de France. Il lui rappelle tous leurs efforts et accords passés pour lutter contre cette opposition si dangereuse, son obéissance et sa soumission au Roi de France, et à quel point ces nouveaux accords peuvent menacer son trône et la paix du pays. La lettre a été conçue par Philippe DUPLESSIS-MORNAY, qui l'a publiée dans ses Mémoires.]

«Monseigneur, dès que les auteurs de ces nouveaus remumans eurent fayt parestre les efays de leur mauvayse volonté envers vostre majesté et votre estat, il vous plust mecryre le jugement que vous faysyes a tresbon droyt de leurs intansyons que vous conoyssyes quelque preteste quyls prynssent quyls entreprenoyent sur vostre personne et sur vostre couronne quyls vouloient sacroytre et agrandyr a vos despans et à vostre domaige et ne prétandoyent que la totalle ruyne et dyssypasyon de vostre estat. Cestoyent les mos de vos lettres Monseygneur et me faysies cest honneur en reconnoyssant la conjonctyon de ma fortune avec celle de vostre magesté dajouster espressemant quyls pourchassoyent ma ruyne avec la vostre». Ils n'ont pu l'atteindre, lui Henri de Navarre, «dépandant de vostre grandeur comme je fay», qu'à travers le Roi lui-même...
Il rappelle à Henri III les mesures qu'il avait prises contre ces perturbateurs, de «leur courre sus comme à rebelles et perturbateurs du repos publyc», et de les déclarer «crymyneus de lese magesté», les arrêts solennels, suivis d'exécutions importantes dans tout le royaume «pour marque essemplayre de leur rebellyon et conspyrasyon contre lestat»... Navarre rappelle aussi avec insistance au Roi ses lettres qui lui demandaient «de me contenyr en pacyence» pour lui permettre de contrer la Ligue et les complots des Guise ; ainsi que sa volonté manifeste de faire connaître le véritable visage de ces conspirateurs «à vostre peuple lequel sous la fausse ombre de relygyon ils auroyent voulu devoyer de son devoyr à vostre commandemant»...
Henri de Navarre avait envoyé à Henri III une déclaration, présentant «de ma part des plus equytables ofres quy se pouvoyent fayre pour la pays publyque et generalle pour vostre repos et pour le soulagemant de vos sugés syl est questyon de relygyon. Mays quelque bouclyer quyls en fassent cest le poynt quy moyns leur touche au cueur. Jay aquyessé à ung concyle libre [...] Jofry de quyter et mon gouvernemant et toutes les places que je tyens a condysyon quyls feyssent le samblable pour ne retarder la pays de cest estat». Il a proposé, «pour abreger la mysere publyque», que cette querelle soit débattue «de leur personne à la myenne. Je me suys en somme oultre toute aparanse de rayson et contre tout sentymant de nature acomodé à tous les commandemens de vostre majesté. J'ay voulu oultre le devoyr et nonobstant la dysproporsyon de nos degrés et qualytés megaller à mes inferyeurs pour rachater de mon sang tant de malheurs», en se faisant l'égal de «ceus que vostre majesté mesme avoyt prononcé rebelles».
Il se refuse à croire qu'Henri III, en signant ce traité, oublie toutes ces conditions et soumissions, «rompant son edyt [édit de pacification de Beaulieu, 6 mai 1576], armant ses rebelles contre son estat contre son sang et contre soymesme». Il déplorerait de tout son coeur de voir le Roi «forcé pour ne vous vouloyr servyr de ma fydelyté à la totale ruyne de vostre estat», et au délabrement du royaume, mais il se consolerait «en mon innocence en mon integryté en mon afectyon envers vostre majesté et son estat quyl naura tenu a moy que je naye sauvé par mon peryl de ce naufrage, mays surtout en Dyeu protecteur de ma justyce et loyaulté quy ne mabandonnera en ce besoyn, ains me doublera le cueur et les moyens contre tous mes anemys quy sont les vostres»...
Il lui rappelle «avec quelle patyence jay aquyessé et obey jusqua presant», alors qu'il se voyait pris à parti par leurs ennemis qui déclaraient ouvertement n'avoir d'autre but que sa ruine, qu'il subissait leurs attentats et manoeuvres contre lui, sans oser y répondre «pour la reveranse que je vouloy randre à vos commandemans», alors qu'ils étaient armés contre le Roi, et qu'ils tentaient chaque jour «quelque entrepryse ou sur les places de mon gouvernemant ou sur mes maysons ou sur moymesme». Il a suivi en tout la volonté de sa Majesté : «Jay ployé et ma nature et mon devoyr et presque ma réputasyon sous vos commandemans».
Il insiste encore en rappelant à Henri III les lettres qu'il possède de lui, «escrytes de sa myn», faisant foi de ses promesses et de leurs intérêts communs, promesses également faites à ses envoyés les Sieurs de CLERVANT et de CHASSINCOURT (gentilhomme du Roi de Navarre) ; et aussi les promesses de la Reine Mère [CATHERINE DE MÉDICIS] faites «tant de bouche que par lettres. Et myntenant Monseigneur quand joy dyre tout à coup que vostre majesté a trayté une pays avec ceus quy se sont elevés contre vostre servyse a condysyon que vostre edyt soyt rompu, vos loyaux sugés banys, les conspyrateurs armés et armés de vostre forse et de vostre autoryté contre vos tresobeyssans et fydeles sugés et contre moy mesme quy ay cest honneur de vous apartenyr, quy depuys le tams que jay pansé partycyper à vostre bonne grace ne puys lavoyr eloygnée que par ma pacyense et par obeyssance je laisse à juger à vostre majesté en quel labyrynte je me trouve et quelle esperanse me peult plus rester quau desespoyr. Jay fayt suplyé Monseigneur quyl vous doynt ung bon conseyl vous assyste de sa forse en ces afayres et me doynt la grace de vous rendre le servyce que doybt et desyre toute sa vye Vostre tres humble tres obeyssant et tres fydele suget et servyteur Henry».

─ Provenance : anciennes collections du Marquis de L'AIGLE (25 mai 1973, n° 17) ; puis du Comte Claude de FLERS, vente Souverains et Princes de France (27 mars 2007, n° 74)
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