Lot n° 53

DURAND-RUEL PAUL (1831-1922). 6 L.A.S. «DurandRuel», Paris janvier-avril 1882, à Claude mONET ; 15 pages in-8 (3 avec tampon Durand-Ruel & Cie Tableaux 1, Rue de la Paix).

Estimation : 2 500 - 3 000 €
Adjudication : 3 250 €
Description
Très intéressantes lettres à Monet de son marchand de tableaux, sur le krach de l'Union Générale, le travail de Monet à Pourville, et la préparation de la 7e Exposition des Artistes indépendants (qui se tiendra dans les salons du Panorama de Reichshoffen, 251 rue Saint-Honoré, 1er mars-3 avril).

31 janvier.
«Je suis comme vous dans les plus grands ennuis aujourd'hui grâce à la crise épouvantable qui éclate à la bourse. Il m'est dû beaucoup et je ne reçois pas un sou». Il attend «à tout moment une rentrée de fonds [...] je vous enverrai de suite ce que j'aurai. Pour une échéance comme la vôtre vous aurez à la rigueur un ou 2 jours pour payer chez l'huissier. C'est bien ennuyeux mais cela vaut mieux que de ne pas payer du tout. [...] Ce n'est qu'un moment à passer mais il est rude. Avez-vous fini vos 2 grands tableaux? avez-vous fait autre chose? Envoyez moi tout ce que vous pourrez avant de partir»...

9 février.
Il espère pouvoir lui envoyer de l'argent «demain ou après-demain. Nous avons toutes les peines du monde à faire rece- voir quoi que ce soit en ce moment. Bien des gens sont touchés par la crise et même ceux qui ne perdent pas en profitent pour ne pas payer». Ses deux tableaux sont très beaux : «Tâchez d'en faire beau- coup d'autres au bord de la mer. Vous êtes dans un pays superbe et vous ne manquerez pas de beaux motifs». Il appuie la demande de CAILLEBOTTE «au sujet de l'exposition projetée rue St Honoré» et engage Monet «à exposer le plus de tableaux que vous pourrez. Le moment est très favorable. Il y a avalanche d'expositions en même temps que disette de bons tableaux. Tous les artistes à grande répu- tation se coulent par des oeuvres de plus en plus médiocres. C'est le moment de montrer qu'il y a encore de vrais peintres. En vous réunissant à RENOIR, à PISSARRO, à SISLEY, à CAILLEBOTTE, vous pouvez faire une exposition très remarquable et je crois fort que le succès viendra couronner cette dernière tentative»...

22 février.
Il va lui faire envoyer de l'argent. «Je suis content d'ap- prendre que vous avez trouvé de jolis motifs et que vous comptez m'apporter bientôt beaucoup de chefs d'oeuvre. Mais il ne suffit pas d'en faire, il faut les montrer». Il déplore le refus de Monet d'exposer rue Saint-Honoré : «DEGAS avait tout brouillé en insistant pour que Raffaëlli, Tissot et autres puissent exposer. [...] Tous se retirent. Il ne reste plus d'exposants que PISSARRO, SISLEY, GUILLAUMIN, VIGNON, et GAUGUIN», mais il faut absolument que Monet y soit avec rENOIr et s'associe «à nos efforts pour que cette exposition soit réellement belle et utile à notre cause. Le moment est tout ce qu'il y a de plus favorable. Il y a plusieurs expositions ouvertes et tous les grands peintres à la mode y étalent leur impuissance. Il est indispensable de montrer qu'à côté de ces grandes réputations surfaites il y a de vrais artistes que le public connaît moins mais qui dominent les autres de toute la hauteur de leur talent. Je suis sûr du succès de cette tentative». Monet n'a qu'à désigner les oeuvres que Durand-Ruel doit montrer ; il a des cadres neufs. «Je trouve qu'une exposition qui renfermera vos oeuvres avec celles de Renoir, de Pissarro et de Sisley avec quelques toiles des 3 autres, dont le talent est réel quoique moins saillant, aura tous les éléments possibles de succès. CAILLEBOTTE n'est pas utile ; c'est lui qui a fait hurler le plus par ses excentricités. Il n'y a que DEGAS que je regrette mais c'est un fou et il n'y a pas moyen de raisonner avec lui»...

24 février.
CAILLEBOTTE attendait l'acceptation de Monet pour se joindre au groupe. «Donc puisque Caillebotte expose vous ferez bien le sacrifice d'accepter les 3 peintres en question qui, après tout, ont des oeuvres fort bonnes et pas trop nombreuses». Il envoie cent francs pour le billet de train.

20 mars.
L'exposition a «un grand succès d'estime auprès d'une série assez importante d'amateurs. On discute, on regarde sérieusement et on prend des notes. C'est un pas énorme de fait sur les années précédentes. La vente ne marche pas, mais je m'y attendais. Vous savez que j'ai demandé des prix élevés. J'aurais demandé moitié moins que je n'aurais pas vendu davantage et je n'aurais pas posé les tableaux dans l'esprit des amateurs de la même façon. On trouve que je suis exagéré mais je suis enchanté que l'on en soit arrivé à faire ce progrès de ne plus rire de mes goûts et de déclarer que j'étais fou». Il est toujours prêt à faire des concessions «pour amorcer un nouveau client», mais «il faut arborer fièrement son drapeau et parler de gros prix». Il ajoute : «tâchez de faire beaucoup de chefs-d'œuvre. Vous êtes dans un pays superbe, vous avez un temps magnifique»...

1er avril.
Monet est-il encore à Pourville, ou de retour à Poissy? Louis GONSE, directeur de la Gazette des Beaux-Arts, «voudrait un tableau de vous ce qui est bien mais il le voudrait bon marché. Je lui avais dit que je lui ferai toutes les concessions possibles mais je crois qu'il aimerait encore mieux avoir une toile pour rien. [...] Ne vous laissez pas jouer par lui et dites lui simplement que vous m'avez tout destiné. [...] L'exposition va fermer lundi. Vous n'avez à vous préoccuper de rien».

─ On joint
• un relevé du compte de Monet sur papier à en-tête de Durand-Ruel (16, rue Laffitte) au 26 avril 1882, avec les sommes versées du 7 février au 22 avril (5961,55, dont 561,55 de «part de frais» pour l'Exposition de la rue Saint-Honoré), et son avoir pour un achat de 16 tableaux le 22 avril pour 6000 F et 7 tableaux à 400 F le 25 avril (calculs autographes de Monet au crayon au dos).
Plus 2 L.S. par les comptables de Durand-Ruel Ch. CASBURN et MARRIOTT pour envois d'argent à MONET en 1882 : 31 janvier à Poissy (1000 F), et 5 avril à Pourville (500 F).

─ PROVENANCE

Archives Claude Monet (13 décembre 2006, n° 59).
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