Lot n° 108

ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY (1900-1944) - Scénario d’un film sur la Résistance : manuscrit autographe, raturé et corrigé. [Vers 1941-1942]. 9 p. sur 9 f. in-4 (28 x 21,6 cm) de papier pelure américain « Esleeck Fidelity Onion Skin », encre...

Estimation : 15 000 / 20 000 €
Adjudication : Invendu
Description
bistre, foliotation partielle autographe (2-8), foliotation postérieure partielle (0414, 0380-0386).
► Brouillon inédit d’un scénario de film sur la Résistance dont l’intrigue se déroule en « Europe occupée » et met en scène des personnages « menacés par la terreur naziste » : un professeur de philosophie, un ancien ministre, un juif, un manœuvre d’usine qui a saboté, une châtelaine qui a sauvé un parachutiste anglais.
L’action débute « sur l’instant où celui qui se considère comme perdu se voit mystérieusement sauvé » :

« Exemple : quelque part dans une prison l’interrogatoire par l’agent allemand :
- Vous refusez donc de répondre ? / - Oui. / - C’est votre dernier mot. / - Oui. ».
Pendant ce temps, on a préparé l’évasion du prisonnier : « Une voiture cellulaire traîne. Monte un chauffeur et trois soldats allemands, bringuebalés sur le pavé d’une rue obscure, au petit jour. Quatre balayeurs et une charrette en travers de la rue. La voiture cellulaire doit stopper. Discussion sur l’obstacle avec les balayeurs qui brusquement démasquent des mitraillettes, neutralisent les trois Allemands et les enferment dans une loge de concierge. Puis, déguisés en soldats allemands, réapparaissent dans la rue, s’installent à bord de la voiture cellulaire et reprennent leur route. » Après un second interrogatoire également retranscrit, le prisonnier est conduit dans la cour, où l’attend la voiture cellulaire qui doit le transporter à la prison des condamnés à mort. Il se croit perdu, mais reste « calme et un peu perdu dans ses dernières pensées », jusqu’au moment où les conducteurs lui annoncent qu’il est entre de bonnes mains. Cette même scène est reprise avec plus de détails sur les sentiments des personnages (« Comme il commence à comprendre et que son visage exprime à la fois la joie de vivre et la stupéfaction […] »).

Saint Exupéry décrit ensuite le fonctionnement d’un groupe de résistants, une « organisation souterraine qui achemine, par étapes prudentes, les évadés vers le salut », dirigée par un ancien mauvais garçon, Gabin, qui a acquis « une maîtrise parfaite dans ce genre d’opération de contrebande au cours d’activités peu convenables. Mais la guerre, le désastre, la haine de l’oppresseur l’ont converti. Et il a mis tout son génie technique et son sens de [?], au service d’une cause qui peut, à chaque minute lui coûter la vie. »

Un de leurs stratagèmes consiste à faire partie « d’un cirque réel qui se déplace réellement, de la ville A à la ville B », puis à devenir entre B et C voyageurs de commerce, et conducteurs de voiture maraîchère entre C et D. « Ainsi à chaque étape, sans perte de temps, ils sont changés d’identité, déguisés autrement, affectés à d’autres fonctions. Ils sont ainsi pris en charge pour chaque élément du parcours par des organismes prêts à se mettre en route ».

Saint Exupéry insiste sur la diversité des personnes qui sont réunies par hasard dans chaque groupe. Celui sur lequel est centrée l’action « peut comprendre un ouvrier qui a saboté un lot d’obus, une châtelaine qui a sauvé des parachutés anglais, une danseuse de cabaret qui servait de boîte aux lettres pour activités souterraines, le physicien déjà décrit, etc., qui tous ont été sauvés de justesse peu avant le mandat d’arrêt ou même après internement. ». De cette diversité ressort un «jaillissement continu d’inventions sur lequel il est presque inutile d’insister», comme le clown qui diverti le professeur de philosophie, etc. Leur objectif est de rejoindre le pont d’embarquement « où ses protégés ont à attendre parfois des semaines l’heure du départ ». Il s’agit du « château », en fait l’entrepôt d’une compagnie maritime :
« Cette montagne apparente est entièrement truffée de galeries, de cellules et même de salles communes vaguement meublées. » Tout y est excessivement bien organisé, avec un règlement presque militaire. « Cette existence de troglodytes dans ce paysage maritime est également source inépuisable d’inventions fertiles. »
L’endroit est tenu par une femme, dont Gabin s’éprend ; le physicien « fait des mathématiques, de nuit, à la lumière d’une chandelle. Mais les chandelles sont interdites dans le dépôt de charbon. Il est donc surpris par Gabin et tancé comme un élève par le pion. »

« Cependant nous ne nous sommes étendus sur les aspects caravane et château que pour montrer que la substance concrète de l’histoire peut échapper perpétuellement à la banalité grâce à ces cadres et ces activités. Mais ce qui ressort en permanence de cet arrière-plan comique, inattendu, et pittoresque, c’est l’entraide, l’entente tacite et l’héroïsme d’un peuple chassé par l›occupant naziste. »


▬ PROVENANCE :
• Vente anonyme à Paris, le 16 mai 2012, lot 391.

Traces de rouille ; quelques pliures et petites déchirures marginales ; perforations marginales à la plupart des feuillets.
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