Lot n° 843

KEROUAC JACK (1922 - 1969) - L.A.S. À SA MÈRE. 25 avril 1953. 6 pages in-12. Lettre autographe au crayon (date au stylo rouge), en anglais à sa mère.

Estimation : 12 000 - 15 000 €
Adjudication : 13 000 €
Description
► Rarissime et importante lettre de Jack Kerouac.

... «Chère maman ci-joint la première lettre que j'ai écrite de Frisco...
Je suis prêt à partir au travail. Je ne me ferai pas plus de 80 dollars d'ici la fin du mois, mais les choses vont commencer à se mettre en route en mai, et à Noël j'aurai mis de côté 2 000 dollars, ou je serai fauché... Dans le journal, comme tu peux le voir, il y a des réclames pour des caravanes bon marché, et aussi pour des maisons, mais elles sont toutes dans les 1 000 dollars. La meilleure chose pour nous, à mon avis, serait de commencer dans une caravane pour environ un an... Peut-être que cela serait mieux à San José mais je voulais étudier Obispo en tant que ville, elle niche dans les montagnes, le travail est plus tranquille. Une chose est sûre, la Californie est magnifique et idéale, et sera notre foyer... Pendant trois jours j'ai eu les yeux pleins de larmes à cause de la migraine que me causait ce tarin gonflé comme tu vois, je ne me lamentais pas pour rien c'est la continuité de ce «poison». Maman, j'ai une chouette petite chambre d'hôtel pour 6 dollars par semaine je me prépare des steaks, des oeufs, des toasts, du café, ma vue donne sur les grandes montagnes... Il me faut une minute à pieds pour aller travailler... Les oiseaux chantent à ma fenêtre, le soir je me pelotonne et passe une bonne nuit de sommeil bercé par le chant des crickets... Maman au lieu de descendre dans le sud pour le 4 juillet vient me rendre visite je t'aurai un laissez-passer pour la moitié du trajet une fois ici tu auras une semaine entière pour voir la Californie avant de repartir, je prendrai un congé et te ferai visiter. Réfléchis-y».

«Neal part à New-York pour Noël, nous pourrions faire le chemin avec lui, c'est ce qu'il souhaite. Il s'est cassé la jambe en tombant d'un wagon de marchandises et s'est presque démis le pied. Il ne pourra pas travailler jusqu'au printemps 54. Il va probablement toucher 8 ou 10 000 dollars: avec ça il peut démarrer sans problème une affaire ou une autre... Il veut aller à New-York pour Noël dans son break.

Nous verrons à ce moment. En attendant, je vais travailler, t'envoyer des journaux et mettre de l'argent de côté. Venir en Californie m'a redonné la vie. Je prends maintenant conscience que je n'aurais pas dû partir l'année dernière. Je ne suis allé à New-York que pour te voir. Nom d'un chien comme je peux détester New-York! Plus jamais. Comment va mon kitty, j'espère qu'il sera encore dans les parages à Noël comme ça nous pourront le ramener... Souviens-toi, arrête quand tu en as assez, tout ce que nous avons à faire est de démarrer ici dans une caravane, n'importe quelle vieille caravane.
Tu verras que j'ai raison»...
Au moment où il écrit cette lettre Kerouac est âgé de 31 ans. Il n'a alors fait paraître qu'un seul livre «Avant la route» en 1950. Il vient d'achever l'écriture de «Sur la route» qui ne sera publié qu'en 1957.
Engagé par la South Pacific Railroad où travaillait également son ami Neal Cassady, il exerçait la profession de chef de train assistant et logeait à Obispo petite bourgade située entre Los Angeles et San Francisco.
Cette brève période marquait un moment d'accalmie dans l'existence chaotique de l'écrivain, qui songe à se fixer dans la région et mener une vie régulière.
Le grand intérêt de cette lettre est d'offrir un portrait de Kerouac moins connu et qui infléchit quelque peu sa légende: fils attentionné, désireux de mettre de l'argent de côté.

Elle met en scène plusieurs acteurs et lieux qui ont marqués l'existence de l'écrivain: sa mère Gabrielle auprès de qui il passera ses dernières années, Neal Cassady, personnage clé de la Beat Generation qui inspira le personnage de Dean Moriarty dans «Sur la route» et la Californie opposée à New-York.
Ces velléités d'existence rangée ne dureront pas, Kerouac reprendra la route avec Cassady.
On the road again.
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