Lot n° 175

MILLER (Henry). (1891-1980). 23 L.A.S. et 3 L.S., 1935-1977, à Joseph Delteil et/ou Caroline Delteil ; 41 pages la plupart in-4, 10 à son en-tête à Pacific Palisades ; en anglais et en français.

Estimation : 15 000 / 20 000
Adjudication : Invendu
Description
Très belle et importante correspondance littéraire et amicale. La Correspondance privée entre Joseph Delteil et Henry Miller a été publiée (Pierre Belfond, 1980) par les soins de F.-J. Temple, qui commente : « Quelle étrange rencontre ! D’un côté, le pur produit des rues de Brooklyn ; de l’autre, le paysan de Pieusse. Pour Miller, l’appétit formidable de vivre ; pour Delteil, la méticuleuse précaution de vivre. Pour tous les deux, l’inaltérable boulimie langagière ». Temple évoque encore « ce dialogue entre deux hommes, deux écrivains, qui ont vieilli ensemble, qui se sont honorés d’être fidèles en amitié, se sont respectés, admirés, si différents et si proches dans leur amour passionné de la vie ». Des lettres de Miller manquent ici ; les lettres de Joseph Delteil sont conservées dans les Henry Miller Papers, UCLA Library, Los Angeles. Les 2 premières lettres de Miller, en 1935, sont en anglais et dactylographiées (et une autre en 1960). Lorsque la correspondance reprend en 1951, Miller écrit généralement en français à Delteil, et en anglais à Caroline (parfois dans la même lettre). Nous donnerons ici un rapide aperçu de cette correspondance. New York 16 mai 1935, envoyant à Delteil le double d’une longue lettre à son ami Alfred Perlès, pour l’informer de ce qui se passe à New York, ainsi que son article Glittering Pie ; Miller s’intéresse beaucoup au travail en cours de Delteil, à qui il a eu bien souvent envie d’écrire, car Delteil l’intéresse beaucoup en tant qu’artiste : le peu qu’il en a lu lui a donné l’appétit de tout connaître ; plutôt que le succès, aux résonances nauséeuses, il lui souhaite « joie de vivre »… 18 Villa Seurat 3 juillet 1935. Avant d’attaquer la lecture de Sur le Fleuve Amour, il dit sa joie de se retrouver sur le sol français, et dit longuement son admiration dévote pour Delteil, notamment pour son sens du miraculeux, et sa façon de sauter à peids joints dans un livre. Il s’interroge sur ce qu’il pourrait faire en Amérique pour y faire connaître le nom de Delteil, qu’il espère bientôt rencontrer… Big Sur 9 mars 1951, disant son admiration pour Jésus II, qui l’a fait beaucoup rire, qu’il lira et relira comme tous les autres livres de Delteil, à qui il envoie ses deux Tropics, et son livre sur la Grèce [Le Colosse de Maroussi] ; il va écrire sur Delteil dans un livre sur les livres… 28 avril, revenant sur Jésus II : « J’ai senti plus de choses dans votre dernier livre que j’ai pu décrire. J’ai vu le ligne – Apuleius, Petronius, Rabelais, et les maîtres de “Zen” (Bouddhisme). Si j’aurais pu avoir “une philosophie” ça serait le Zen. Mais le rire me suffit ». Il évoque l’œuvre d’Arthur Machen… Sexus (tome I de La Crucifixion en rose) est « supprimé par ordre du ministère de l’Intérieur. En français et en anglais », mais il tâchera d’en trouver un exemplaire. « Corréa va publier le 2ème Plexus, en français. Je vois que Genet est publié par Gallimard. Comment ??? » 9 mai. Il a lu Choléra, Jeanne d’Arc, Sur le Fleuve Amour ; il aimerait lire La Belle Aude, Perpignan, Discours aux Oiseaux... « Je suis tellement attiré par Provence, pour tout ce qu’elle nous promet – et nous a déjà donné pendant les siècles. Je suis toujours ému par tout ce qui touche aux Albigeois. Un mystère là qui m’intrigue ». Il recommande Siddhartha de Hermann Hesse : « C’est pour vous ! Je vois en vous ce vieil Adam-Cadmus. Vous êtes un Chinois-Français, un des rares âmes encore pleine de gaité. C’est pourquoi je suis le Zen (Bouddhisme). On dit c’est une religion de “non-religion”. Bon ! Je trouve tout en Zen. Et un peu plus. Mais surtout le rire »... 5 décembre, à propos de la relation de Cabeza de Vaca qu’il a préfacée... Chez Corréa, Maurice Nadeau va publier la traduction de The World of Sex, et Plexus… Il a de gros ennuis conjugaux, et se bat pour garder ses enfants… Paris 2 mai 1953 : il est de retour à Paris, plein de l’atmosphère de la merveilleuse Bruges… 6 mai, détails sur le prochain voyage en Espagne avec les Delteil ; à Barcelone, il retrouvera son vieux camarade Alfred Perlès : « C’est la première fois en 14 ans ou plus que je le verrai »… Périgueux 11 juillet, rapportant ses conversations avec le Dr de Fontbrune à propos de Nostradamus, et la prédiction d’une prochaine Troisième Guerre Mondiale… Big Sur 19 mars 1960, sur son compte rendu de François d’Assise. Il donne le détail des voyages qu’il doit faire, avant de passer l’hiver au Japon. Il parle de l’édition américaine de son livre To Paint is to Love Again… Locarno 13 mars 1961, au sujet de l’agent littéraire Ruth Liepman à Hambourg, intéressée par François d’Assise ; lecture du livre de Chesterton sur Thomas d’Aquin… Il a écrit un « melo-melo » en 7 scènes, Just Wild About Harry… Reinbeck 21 août 1961, après un séjour en Italie chez Marino Marini qui sculpte son buste. « D’ici en quelques jours à Londres, ensuite un tour d’Irlande avec Perlés. Après, chez mes enfants en Californie – et puis une plongée dans le travail. Je n’ai pas écrit un seul ligne de ce livre (Nexus – Tome II) promis aux éditeurs il y a long temps » ; il ne peut donc écrire pour Grasset un petit livre comme Pour saluer Melville, qu’il adore… 25 janvier 1963, à la suite d’une lettre d’admiration d’Alexander King, homme adorable qui a commis tous les péchés… Il ira à Paris en avril ou mai pour le film de Tropic of Cancer. Pacific Palisades 1er juin 1969, disant son enthousiasme à la lecture de La Deltheillerie : « Je suis ravi, ébloui, et plus. À deux heures de matin hier, en relisant le chapitre sur “Les Trois Parrains”, je me suis mis debout et malgré mon arthritis, je commençai à faire un petit danse dans ma chambre à coucher. Ce fut ma façon de célébrer un livre, un homme, un écrivain, un grand paléolithique, comme vous êtes. Hourrah ! Et la Rigole de Riquet ! Est-ce que cet endroit existe encore – ou est-ce que vous l’avez rêvé ? Quelle splendide description ! Seul un monarque pouvait faire cela »... Il évoque Aragon… « Vous êtes très souvent dans mes pensées et je parle de vous souvent quand les idiots (ici) me demandent qui est-ce que j’estime, parmi les écrivains d’aujourd’hui. Je dis Delteil – et Isaac Bashevis Singer, écrivain juif, que je lis en traduction […] Et maintenant mon fils, Tony, m’écrit qu’il pense être écrivain un jour. Pauvre fils ! Il ne sait pas ce que l’avenir lui offre en rançon »… Pacific Palisades 24 mai 1973. Il donne son accord pour la citation de lettres par Jean-Marie Drot. « Quand je parle entre amis à propos de vos livres je suis plus éloquent, plus agressif, pour ainsi dire. Je suis pas un chrétien, ni païen, ni rien, mais pour moi – et à cause de vous – François d’Assise reste le plus grand homme de notre civilisation – le vrai du vrai ». Michèle Arnaud est venue le filmer pour une émission de TV… 29 juillet 1974, au sujet d’un manuscrit de Caroline ; et sur son triste état de santé, assez délabrée ; quant à Delteil, il est le roi, le Lion de Juda… 17 décembre 1974 : « Oui, l’âge est le meurtrier. Mais quand même, la vie est belle. Il n’y a rien à travers avec la vie c’est avec la planète, la terre, que les Gnostiques désignaient comme une erreur cosmique. Moi, je suis tout à fait “gnostique”, anarchiste, et tout ce qui a de destructeur, ou simplement “contre”. Je crois non pas que la terre est une erreur cosmique mais que les gens, nous tous, sont fous. Et fou dans le mauvais sens. J’attends la fin du monde – avec de la joie. Avec l’âge je deviens plus le rebelle ou est-ce le révolté ? […] Je n’ai pas d’idéologie, pas d’espoir, mais, comme chante Jacqueline François – “beaucoup d’amour” »... Pacific Palisades 18 juillet 1975. Au sujet du livre qu’il écrit en français, J’suis pas plus con qu’un autre, et la recherche d’une citation de François d’Assise ; il refuse qu’on corrige son français défectueux ; il y mettra beaucoup d’expressions qu’il n’oubliera jamais : « insolite, saugrenu, tapète, connerie, emmerdeur, enculé, etc., etc. And – “ferme ta claque-merde !” Drôle, quoi ? »… Il a rencontré une ravissante Japonaise ; s’il n’était fou amoureux de son actrice chinoise, il s’enverrait bien en l’air avec elle… 2 août, découvrant que Delteil n’a plus qu’un œil, comme lui ; sur les Orientales… Delteil est sage de s’arrêter quand il est au sommet de sa puissance, il demeure « le roi des rois ! »… 13 septembre, au sujet de Marie Corelli… « Votre lettre dernière me mets aux anges. Je n’ai jamais lu la pareille. En anglais il avait un seul auteur qui vous ressemble un peu, mon maitre John Cowper Powys, un Gallois. Mais votre lettre est absolument unique, éblouissante, folle et sage en même temps » ; il veut la mettre en appendice de son livre en français… 16 novembre. Son œil l’empêche de travailler au livre de Caroline sur La Revue Nègre… Son amour est en train de tourner un film à Taiwan ; il parle de son attirance pour les Orientales… 19 février 1976 : « Je suis accablé par votre dernière lettre. Je sais que vous n’êtes pas un flatteur, mais... En tout cas je suis plus heureux avec vos paroles que j’étais en recevant la Légion d’Honneur »… Il se désole que son livre français ait été réécrit chez Gallimard « en un français “rouillé”. C’est à pleurer »… Il ajoute : « surtout ne lisez pas la biographie que Brassai a écrite sur moi ! C’est terrible »… 7 avril, sur sa santé et son mauvais cœur : « Mais je respire, je vois des dames, j’y vais même au cinéma de temps en temps »… 13 janvier 1977, il a été alité après une chute ; il a reçu Le Sacré Corps, mais n’a pu le lire… 29 avril, se réjouissant que Delteil écrive sur eux [projet de Joseph et Caroline] ; il s’interroge sur le mot Pâques : « je suis trop paresseux pour chercher des définitions. Je préfère rêver mes propres étymologies »... 9 juin : « Je viens de recevoir de vos nouvelles sur Caroline. Quel miracle ! Moi, je crois aux miracles, comme disent la chanson américaine. Je crois en beaucoup de choses, et plus avec l’âge. Oui, nous sommes unis – Dieu seul sait comment ou pourquoi. Votre nom est sur mes lèvres souvent, même si je ne le prononce pas »... On joint une L.S. d’Eve Mac Clure, la compagne de Miller, 14 novembre 1955, envoyant un important extrait du prochain livre de Miller, Big Sur and the Oranges of Hieronymous Bosch (7 p. in-4) ; une L.S. inédite de Caroline Delteil à Miller, 24 mars 1970, au sujet d’un projet de film sur Delteil ; 2 photocopies de lettres de Miller à Delteil (29 avril 1973) et à Jean-Marie Drot (22 décembre 1971), plus quelques copies dactyl. de lettres.
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