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N° 15 – Catalogue de vente du mercredi 13 février 2019

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condamnent l’inconduite des insensés, sont ainsi illustrés par le témoi-

gnage des martyrs face aux persécutions.

L’une des plus fines et des mieux conservées est sans contredit la lettrine

qui inaugure le Ps. 69 (68) « Salvum me fac, Deus » (f. 85v). Le S ini-

tial est formé par le corps d’un grand serpent bleu, à tête d’oiseau crêté

de rouge, dans lequel s’inscrit une femme en pri re nimbée de rouge :

il s’agit de sainte Marguerite d’Antioche, sortant miraculeusement

du ventre d’un dragon qui, selon la tradition hagiographique, l’avait

avalée. Cette lettrine présente des dimensions lég rement plus impor-

tantes que les autres (43 ×47mm).

Au f. 105r, le Ps. 81 (80) « Exultate Deo » s’ouvre sur une lettrine

(45×44mm) montrant l’un des miracles de saint Nicolas de Myre :

il offre, par la fenêtre de leur maison, des pi ces d’or aux trois filles

d’une homme ruiné qui projetait de les prostituer pour payer leur dot.

L’initiale du Ps. 98 (97) «Cantate Domino » (f. 122v) est orné d’une

sc ne de martyre o un saint, vraisemblablement l’évangéliste Jean,

est ébouillanté (45 ×45mm). La lettrine qui préc de le Ps. 102 (101)

«Domine exaudi », au f. 125v, représente le roi David en pri re, faisant

écho au texte du psaume qui évoque l’affliction et la supplication

du roi-proph te (40×42mm). Enfin, l’initiale du Ps. 110 (109)

«Dixit Dominus », f. 142r, représente le Couronnement de la Vierge

(43×44 cm). Le choix de cette derni re image illustre brillamment le

psaume de la royauté du Christ, ici ordonné à une sc ne o il transmet

sa propre royauté à sa M re ; l’ensemble offre, dans une approche typo-

logique ch re à l’exég se médiévale, une mise en perspective des textes

de l’Ancien et du Nouveau Testament avec la tradition liturgique.

Le reste du décor est constitué de

166 lettrines peintes à l’encre d’or

sur fond rouge et bleu

filigrané de motifs blancs et prolongées par des

décors marginaux terminés par des têtes d’animaux. Elles marquent

le début de chaque psaume à partir du f. 21r, ainsi que les sections

internes du Ps. 119 (118). Quelques-unes présentent des décors sup-

plémentaires, telle la lettre C qui ouvre le Ps. 136 (135) «Confitemini

Domino » (f. 166r) et dont le décor se termine par un buste de femme

issant d’une corolle. Chaque verset est enfin introduit par une petite

initiale, alternativement copiée à l’encre d’or sur fond bleu ou à l’encre

bleue sur fond rouge ; elles s’inscrivent dans un espace de 5mm de côté

compris dans la marge gauche. Les fins de lignes laissées en réserve ont

été pourvues d’ornements décoratifs géométriques à l’encre rouge et

bleue, parfois rehaussés de blanc, tels que palmettes, motifs végétaux

stylisés, lignes brisées.

La graphie, le style des miniatures, l’ornementation des lettrines et

les décors qui accompagnent le texte incitent à attribuer la réalisation

de ce psautier à un atelier des Flandres ou du Nord de la France, tra-

vaillant dans le troisi me quart du XIII

e

si cle (v. 1250-1280). La ville

de Bruges figure parmi les localités les plus probables. Le format et le

programme décoratif rapprochent ce manuscrit d’un groupe de psau-

tiers exécutés à Bruges et à Gand à l’initiative de l’ordre franciscain

dans les années 1250. Parmi ces manuscrits, il faut retenir en particu-

lier le psautier Ms 604 de la Biblioth que de l’Arsenal, qui présente un

cycle décoratif tr s proche, les Mss 106 et 908 de la Morgan Library,

le Ms N 19 de Saint John’s College à Cambridge (v. 1240-1265), le

Ms Vitr. 23-9 de la Biblioteca Nacional de Madrid (v. 1250-1255) et

le Ms Harley 5765 de la British Library à Londres (v. 1250-1255).

Tous insistent particuli rement sur les grandes figures des ordres men-

diants, saint François d’Assise et saint Dominique de Guzmán. Un

traitement analogue des couleurs et des visages apparaît dans plusieurs

manuscrits de la période, en particulier le W. 39 de la Walters Art

Gallery produit dans le dernier quart du XIII

e

si cle. L’homogénéité

du décor, le trait et la palette des dix grandes miniatures sugg rent

d’y reconnaître la touche du même peintre que celui du calendrier ;

cela est visible notamment aux traits des visages, aux coiffures ainsi

que dans le traitement sobre des drapés, obtenus par des lignes bri-

sées noires sur un fond uni. Il est en revanche plus difficile d’attribuer

avec certitude les dix grandes lettrines au même peintre : leurs figures

L’Ascension présente un schéma iconographique qui connaît un vif

succ s dans l’enluminure du XIII

e

si cle : le Christ n’est plus visible

que par ses pieds, reconnaissables aux stigmates, tandis que le reste de

son corps a déjà disparu dans la nuée. La présence des apôtres Pierre et

Paul entourant la Vierge inscrit cette image dans la lignée de mod les

antérieurs. Une mise en page tr s dynamique est assurée par les diago-

nales formée par les motifs des clefs et du glaives que portent les deux

apôtres, que l’on retrouve d’ailleurs sur la lettrine du Ps. 38 (39), f. 55r.

On observe ce goût de la mise en sc ne dramatique dans de nombreux

manuscrits de la même époque, tels un épistolier à l’usage de Cambrai

daté de 1266 (Cambrai, Biblioth que municipale, Ms 0190, f. 82v),

et un autre, à l’usage de Langres de la fin du XIII

e

si cle, conservé à la

Biblioth que municipale de Chaumont (Ms 0020, p. 129).

La présence d’une miniature représentant saint François d’Assise prê-

chant aux oiseaux (f. 104v), sugg re la

proximité de ce manuscrit

avec l’ordre franciscain, actif à Bruges et à Gand dès 1225.

Le fait

que saint François soit nimbé nous invite à situer la production du

psautier dans les décennies suivant sa canonisation (1228), ce qui

confirme une datation dans la seconde moitié du XIII

e

si cle. Le per-

sonnage endormi à ses pieds apparaît sous des traits identiques dans un

Psautier-heures à l’usage d’Arras, réalisé vers 1275, de la Biblioth que

Czartoryski à Cracovie (Ms. 3466).

Tout aussi intéressante est la miniature du f. 123r, qui représente deux

Dominicains reconnaissables à leur habit blanc et noir. La croix et le

livre nous incitent à identifier le personnage de droite comme saint

Dominique de Guzmán. Il est visiblement accompagné ici de saint

Pierre de Vérone, reconnaissable au fendoir par lequel il fut martyrisé

— à moins que saint Dominique ne présente lui-même à son disciple

l’instrument de son futur martyre, ce que sugg re sa position domi-

nante dans la composition. La présence du fondateur de l’ordre des

Prêcheurs, canonisé en 1234, et de l’un des grands prédicateurs de

l’ordre, canonisé en 1253, confirme en tout cas la datation du manus-

crit envisagée jusqu’ici.

Deux feuillets illustrés vendus à Drouot en 1971 appartenaient vrai-

semblablement à notre Psautier, présentant des dimensions identiques

et un style attribuable au même peintre. Les deux miniatures, à pleine

page, représentaient la Crucifixion et la Pentecôte, deux images ici

absentes : il faut donc imaginer que le cahier de miniatures à pleine

page comprenait un cycle complet de la vie du Christ.

Dix lettrines historiées peintes sur fond d’or

mettent en valeur

les sections internes du Psautier. Ornées de sc nes de martyres, de

miracles et de figures de saints, elle présentent des liens étroits avec les

textes qu’elles préc dent. Le cycle s’ouvre avec

une lettrine à pleine

page représentant la Résurrection du Christ et de sa Descente aux

enfers

(f. 12v), deux sc nes réunies et superposées dans les boucles du

B formant l’initiale du Ps. 1, « Beatus vir » (123×80mm). Le choix

de ces deux images est exceptionnel : les psautiers contemporains lui

préf rent en effet des représentations de David musicien et du combat

contre Goliath, et le seul élément de comparaison attesté figure dans le

psautier W 061 de la Chester Beatty Library.

Au f. 38r, la lettrine initiale du Ps. 27 (26) «Dominus illuminatio

mea » contient une sc ne du martyre de saint Etienne (44×44mm) :

agenouillé en pri re, vêtu de la dalmatique et du manipule des diacres,

le saint est lapidé par un homme vêtu de brun qui lui lance des pierres

dont une a déjà blessé sa tête ; un dragon mord l’initiale D et prolonge

le décor le long de la marge supérieure. Au f. 55r, l’initiale du Ps. 39

(38) «Dixi : ‘‘custodiam’’ » accueille les figures des saints Pierre et

Paul (44×44mm), reconnaissables à la clef et au glaive qu’il portent ;

une image qui s’adapte parfaitement au texte du psaume (« je garde-

rai mes voies afin de ne pas pécher »), associé ici aux deux chefs des

Apôtres, gardiens de la foi par excellence. Le début du Ps. 52 (51)

«Quid gloriaris », f. 69r, présente une splendide lettrine représentant

le martyre de saint Laurent (46×46mm), sur un grill placé au-dessus

d’un brasier sur lequel un homme le maintient à l’aide d’une fourche ;

la queue du Q initial forme le corps d’un dragon qui se prolonge le

long de la marge inférieure. Au f. 71r, le Ps. 53 (52) «Dixit insipiens »

débute avec une miniature du martyre de saint André (47×45mm),

maintenu par deux hommes sur une croix. Ces deux psaumes, qui

(f. 70v, 92×63mm), saint François prêchant aux oiseaux (f. 104v,

95×63mm) et deux saints dominicains (f. 123r, 63 ×94mm).

Leur mise en page se présente de mani re analogue : toutes sont mises

en valeur par un élégant cadre rectangulaire vertical constitué d’un

double bandeau doré et gaufré à ornements géométriques. Les images,

dont la composition s’adapte au format de la page, prennent place

sous un décor architectural dont les couleurs varient à partir d’un

structure identique : un arc brisé trilobé à fond uni, orné de motifs

blancs, flanqué de deux clochetons. Le parall le le plus éloquent à ce

type de cadre architectural se trouve dans le calendrier qui inaugure le

psautier W. 35 de la Walters Art Gallery, produit pour l’usage de Gand

vers 1270-1280 ; on le retrouve autour des miniatures à pleine page

du psautier W 061 de la Chester Beatty Library à Dublin (v. 1260-

1280). Dans notre manuscrit, la miniature de la Nativité (f. 9v) ajoute

à ce cadre des tentures blanches, encadrant les personnages et attirant

l’œil vers la figure de l’enfant, procédé que l’on retrouve dans plusieurs

manuscrits de la seconde moitié du XIII

e

si cle comme le psautier à

l’usage d’Arras de la Biblioth que municipale d’Aix-en-Provence (M.

0015, f. 000VIIII). La parenté stylistique étroite entre ce groupe de

neuf miniatures et les enluminures du Psautier W 61 de la Chester

Beatty Library à Dublin sugg re que les deux manuscrits pourraient

provenir d’un même atelier, sans doute à Bruges. La datation du W

061 du troisi me quart du XIII

e

si cle confirme en tout cas la datation

présumée de notre psautier, vers 1250-1280.

La composition des miniatures ne s’éloigne gu re des formules cano-

niques, si ce n’est par quelques détails laissés à la liberté du peintre et

apportant une touche pittoresque. Ainsi, alors que les enluminures

contemporaines de la Nativité montrent généralement le repos de la

Vierge, l’enfant couché dans la mangeoire entre le bœuf et l’âne (pon-

tifical à l’usage de l’abbaye Saint-Pierre-de-Corbie, Amiens, Biblio-

th que municipale Ms 0195, f. 114r, milieu du XIII

e

si cle), le peintre

a choisi ici, dans une composition tr s équilibrée, de représenter le

sommeil de Joseph et l’allaitement de la Vierge, une image encore

rare qui connaît davantage de parall les au si cle suivant. Les équiva-

lents les plus proches, hormis le motif de l’allaitement, figurent dans

le Ms 604 de la Biblioth que de l’Arsenal (f. 7v) et le Ms 106 de la

Morgan Library (f. 8v).

L’image de l’Adoration des Mages adopte de même des conventions

encore peu répandues au XIII

e

si cle. Si les trois rois sont encore

couronnés dans la plupart des manuscrits de cette époque, comme

le Graduel d’Aliénor de Bretagne produit vers 1250-1260 (Limoges,

Biblioth que municipale, Ms 2), l’un d’eux, agenouillé, a ici déposé

sa couronne, soulignant d’autant mieux la figure de la Vierge — un

type iconographique qui ne semble se répandre qu’à partir de la se-

conde moitié du XIV

e

et au cours du XV

e

si cle. C’est par ailleurs le

seul exemple à notre connaissance o ce roi, tête nue, enfile sa cou-

ronne sur le poignet, alors qu’elle est généralement posée au sol (Livre

d’heures de la Biblioth que municipale d’Angers, Ms 2047, f. 62r de

1430-1440) ou simplement absente (Psautier-heures de la Biblio-

th que municipale d’Avignon, Ms 0121, f. 25v, vers 1330-1340). Les

deux autres rois portent des couronnes rouges et s’orientent vers le

motif de l’étoile, faisant de la sc ne une synth se de deux moments

distincts du récit : la vision de l’astre et l’Adoration du Christ enfant.

Le Baptême du Christ suit l’iconographie habituelle o un ange, por-

tant sur le bras la tunique de Jésus, fait face à saint Jean Baptiste sur

l’autre rive du Jourdain. Il faut toutefois noter que l’ange porte ici une

boîte d’onguent qui ne connaît pas d’équivalent.

de fleurs, se tient sur un fond qui évoque les tapisseries de

millefiori

.

On retrouve le même motif, quoique moins élaboré, dans les psautiers

BL Add. 21114 (f. 2v) et Morgan Library M. 908 (f. 2r). Le mois de

Mai (f. 4r) mêle les th mes de l’amour courtois et de la fauconnerie :

il représente un couple passant à cheval, l’homme tenant un faucon

sur son poing. Ce dernier th me est couramment associé au mois de

mai, ainsi qu’en témoignent les miniatures des manuscrits BL Add.

21114 (f. 3r), Morgan Library M. 72 (f. 3r) et M. 908 (f. 2v), Walters

Art Gallery W. 35 (f. 3r), mais o le cavalier apparaît toutefois seul.

L’homme portant une botte liée sur son dos, au mois de Juin (f. 4v),

est commun aux psautiers de la Walters Art Gallery W. 35 (f. 3v) et

M. 72 de la Morgan Library (f. 3v). Juillet (f. 5r) est associé au fau-

chage avec un homme muni d’une faux coiffé d’un chapeau à large

bord, que l’on observe encore dans les calendriers du M. 908 de la

Morgan Library et du BL Add. 21114 (f. 4r). Au mois d’Août (f. 5v)

un homme moissonne des épis à l’aide d’une faucille, coiffé du même

chapeau, tr s similaire aux miniatures des deux psautiers précédents

(BL Add. 21114 f. 4v, Morgan Library M. 908 f. 4r). En Septembre

(f. 6r) le peintre a représenté un homme récoltant des fruits à l’aide

d’une serpe et d’un panier, un motif peu commun puisque les autres

calendriers mentionnés y associent les semailles. On peut néanmoins

y reconnaître une représentation des vendanges, par comparaison avec

l’image du mois d’octobre du psautier de la Walters Art Gallery (f. 5v).

L’homme tenant un seau, au mois d’Octobre (f. 6v), pourrait renvoyer

à la récolte des glands telle qu’elle apparaît dans le psautier Ms 604

de la Biblioth que de l’Arsenal (f. 5v), ou aux semailles,

comme dans le Ms 14 du Getty Museum (f. 7v) et le M.

72 de la Morgan Library (f. 5v). Au mois de Novembre

(f. 7r) figure l’abattage d’un porc. Le trait angu-

leux du dessin et le museau allongé de l’animal

semblent typiques de la technique du peintre du

calendrier et présentent des analogies formelles avec

deux psautiers de la Morgan Library (M. 908 f. 5v et M.

106 f. 6v), celui de la Biblioth que de l’Arsenal (Ms 604,

f. 6v) et celui du Getty Museum (Ms 14, f. 8r). Enfin, la

miniature de Décembre (f. 7v) présente un homme en-

fournant des pains ronds dans un four, une formule ico-

nographique peu répandue puisque les autres psautiers

associent généralement à ce mois l’abattage des porcs.

Cette image connaît néanmoins des parall les dans les

calendriers des psautiers M. 97 de la Morgan Library

(f. 6v) et Ms 14 du Getty Museum (f. 8v).

Neuf miniatures à pleine page, peintes sur fond

d’or, ornent le psautier.

Les quatre premi res appar-

tiennent à un cahier de préface autonome précédant le

texte des Psaumes autour du th me de la vie du Christ.

Peintes sur les versos suivant l’ordre de l’année liturgique,

les rectos étant laissés vierges, elles adoptent des dimen-

sions similaires : l’Annonciation (f. 8v, 85×64mm) ;

la Nativité (f. 9v, 93×64mm) ; l’Adoration des Mages

(f. 10v, 94×64mm) et le Baptême du Christ (f. 11v,

94×65mm). On trouve ensuite, disposées au gré des

divisions internes du Psautier, cinq autres miniatures à

pleine page représentant l’Apparition du Christ ressus-

cité à Marie Madeleine (f. 37v, 94×63mm), l’Incré-

dulité de Thomas (f. 54v, 62×96mm), l’Ascension