214.
CHAISSAC
(Gaston). Lettre autographe signée, deux fois à Henri P
OULAILLE
.
Les Essarts,
21..48 ; 5 pages in-4 sur papier de cahier quadrillé,
avec adresse.
1.500/2.000
Sa famille.
“
Pourriez-vous m’accorder une préface pour un manuscrit composé d’un choix de mes petits écrits et j’aimerais que ce choix soit fait par vous.
Mon intention est de publier ce manuscrit à mes frais car ma situation s’est bien améliorée et je puis me permettre cette folie. C’est que me
souvenant que mon grand-père maternel (le père Breuil) était colporteur je me suis mis à aller offrir mes dessins de porte en ports et ça rend,
ça rend même très bien. Si vous m’accordez cette préface ça me ferait plaisir que vous me présentiez comme le petit fils d’un colporteur ”.
Puis
il parle de sa famille. “
Mes parents étaient tous les deux de la commune de Soursac (Corrèze). Mon père était Jean Chaissac né en 1871 et en
1871 était également né dans la commune de Soursac un autre Jean Chaissac et j’ai fait la connaissance l’an dernier du fils de ce Chaissac là,
qui est également prénommé Jean. Il m’a raconté que son père avait tant connu la misère comme cordonnier qu’il était devenu garçon de bureau
dans un ministère et il avait tenu à ce que son fils ait aussi un emploi dans l’administration. Ce Jean Chaissac qui habite 41 rue Lepic avait vu
l’an dernier l’affiche de mon exposition en passant rue de Sèvres devant la Galerie l’Arc-en-Ciel et il avait voulu que nous nous rencontrions
pour voir si nous n’avions pas les mêmes origines
”. Il parle ensuite de sa famille, son oncle Jean cordonnier près d’Auxerre “
et ma mère alors
servante chez des bourgeois donnait l’argent pour payer le cuir… On l’appelait Chaissac le riche alors que lorsqu’on parlait de nous on disait
les Chaissac le pauvre. Jean Chaissac mon père était un rouge bon teint mais il ne se tirait d’affaire quand même en allant chercher du travail
dans les campagnes ce qu’il a fait jusqu’à la fin de sa carrière à 70 ans. Mon oncle Jean Breuil, frère de ma mère, fut lui aussi cordonnier du
côté d’Auxerre… A Avallon il y avait aussi une sœur de mon père qui s’était mariée avec Donnadieu et ils tenaient une cordonnerie et vendaient
et réparaient des parapluies. Commune de Soursac mon grand-père Antoine Chaissac qui était tisserand et bossu avait sa chaumière au hameau
De Breuil. En 1912, alors que j’avais deux ans mon père acheta un jardin en terrasse situé à la Morlande qu’on appelle ainsi parce qu’au
temps de la peste qui ravagea Avallon, ça servait de cimetière
”. Puis il évoque la création à Avallon d’une section d’anciens combattants “
fort
réussie et 3 journalistes étaient sur les lieux ; il y avait aussi des soldats marocains encasernés à la Roche-sur-Yon ”. - “ Le drapeau a été offert
par Madame la baronne Annick d’Arexi, la châtelaine du pays… Il y a eu un banque au château et j’avais demandé à des gens s’il y aurait des
fayots à ce banquet mais personne n’a pu me renseigner. Il y avait des haricots, des blancs, au repas des subalternes pour le mariage de la fille
(qui est aujourd’hui la mairesse) de la châtelaine. Même qu’ils avaient brûlé. Un clairon marocain sonne les sonneries de circonstances et sa
présence et celle de ses compatriotes augmenta l’éclat de cette manifestation de patriotes et tout le monde s’est bien réjouit qu’on ait demandé
leur collaboration pour cette fête. Ils étaient un plein camion. Les 3 journalistes “ ont pris ” des photos et j’ai entendu chanter la Madelon sur la
route du château par ceux qui revenaient du banquet. Un qui hébergea Charette devait donc avoir une arrière petite fille qui offrirait un drapeau
bleu, blanc, rouge. Il n’y a pas à désespérer qu’il en aura un qui offrira un rouge
”.
Voir reproduction page ci-contre
215.
CHAISSAC
(Gaston). Lettre autographe signée [à Henri P
OULAILLE
. 1948] ; 4 pages in-4 sur papier de cahier quadrillé.
1.000/1.500
Sa “ biographie ”, Jean Dubuffet, sa poësie…
“
Je ne veux ni vous parler de suris laitière ni ceux qui font du pseudo-académisme ou du pseudo non académisme ou d’autres choses mais
seulement que je dois à la charmante, aimable, généreuse Jeanne Kosnick-Kloss qui m’a délié et massé la langue de pouvoir m’exprimer dans un
langage particulier et par souvenir et reconnaissance je lui dédie mes dires d’aujourd’hui qui vous affirmeront que je suis natif de la petite ville
proche de Vassy ou c’est qu’on fabrique du ciment. Et ma mère qui était la fille du père Breuil le colporteur, avait été servante chez le fabricant de
ciment. Il y a ciment et ciment. Et le ciment n’est pas tout il faut de l’eau pour le mouiller. Il y a eau et eau. Les sources d’eau exquisement plus et
les plus hautes perchées que je connaisse c’est la fontaine Saint-Pierre sur le Mont Beuvray et la fontaine Maria proche du hameau des Buteaux
qui est la source de la petite rivière qui porte ce même joli nom de Maria et qui est un affluent de la Dragne. La fontaine Maria est également
pas tellement éloigné d’un endroit nommé
LES
R
ASTES
et qui m’est apparu la première fois avec son allée de pommiers en fleurs. Le poëte qui
sommeillait en moi vibra de tout son être devant cette férie
”. Il évoque le panorama de cet endroit, et des trains qui y passaient. Il évoque les feux
de la Saint-Jean : “
A propos de la Saint-Jean, ça me fait penser à la roulette de cimentier de Jean Dubuffet que Paulhan lui a payé à la dernière
Saint-Jan. Jean Dubuffet notre charmant cimentier de fraîche date a du pain sur la planche s’il veut seulement cimenter le dixmillième de ce qui
a besoin de l’être. Il est allée en Algérie où il porte burnou et qui sait si en revenant il ne passera pas à Vassy faire l’emplette d’une tonne de
ce ciment qui l’intéresse tant. Jeanne Kosnik-Kloss me fait penser aux gars du batiment qui me plaisent particulièrement. J’en ai beaucoup vu
dans le métro. Ils descendaient comme moi à Italie. La mesquinerie purulente est raréfiée chez eux. J’en avais vu avant d’aller dans le métro,
tenez lorsque dans ma ville natale on a batit le crédit Lyonnais. Avant on a démoli plusieurs maisons et à cette occasion le chauffeur du camion
qui transportait les matériaux de démolition avança un jour jusque sur le chantier pour éviter de la peine aux camarades
”. Le camion s’étant
enfoncé dans la cuve, il raconta alors la scène qui s’en suivit. “
C’était au temps où j’étais marmiton et bien placé, car juste à côté d’où j’étais
marmiton. D’un côté je voyez bâtir et de l’autre j’entendais le chef me dire de répondre “ de me prêter ses fesses ” au plongeur qui ricanait de
moi parce que j’étais puceau comme si à 13 ans on n’était pas sans excuse de l’être encore… Dans le bâtiment je pense que j’aurais pu faire
un couvreur possible, le reste je me le demande. Dans un roman que j’ai écri le mari (en crise de jalousie) d’une actrice vient de lui faire une
scène, oui sur la scène, et juste au moment qu’elle mourrait au second acte. Le régisseur chercha à s’interposer “ Vous voyez bien qu’elle doit
être morte ” lui dit-il – Il n’y a pas plus de mort que de beurre au cil, répartit l’homme en montant sur ses grands chevaux ”.
Puis il raconte
la suite de son livre. “
Je veux écrire un poëme qui dira ça à la classe ouvrière. Si tu veux faire œuvre je t’en supplie ne fait plus tinter des
enclumes appartenant à ceux que tu fais riches mais seulement des enclumes à toi. L’Amérique donnera les outils qu’il faut à vous tous rien qu’en
échange du musée du Louvre. Ça veut pas dire qu’il faut le prendre d’assaut, non pas. Mais à vous tus vous auriez tôt fait avec vos mains, vos
intelligences, vos cœurs et votre âme de faire l’équivalent du musée de Louvre, et avec ça vous auriez des outils et seriez libres avec ces outils
”.
216.
CHAISSAC
(Gaston). Lettre autographe signée [à Henri P
OULAILLE
. 1948] ; 4 pages in-4, sur papier de cahier quadrillé.
1.000/1.800
Principalement sur son œuvre et celle de Jean Dubuffet.
“
Je n’ai absolument pas pu mettre debout un hameau ni même la moindre bicoque car un homme du peuple comme moi ne peut se permettre de
faire que ce qu’on peut faire sans le concours des capitalistes et ce que je fais actuellement c’est des tableaux-fétiches qui représentent à la fois
des empreintes de pelures, épluchures, cassures et des portraits en pied. Avec des empreintes de cassures de verre, vaisselle et poterie j’ai obtenu
des tableaux qui se rapprochent des œuvres picasso et avec des empreintes d’épluchures j’en ai fait qui se rapprochent des œuvres de Dubuffet qui
à l’heure qu’il est se prépare à partir dans le Sahara d’où il compte ramener quelque bergers ou cureurs de puits pour donne à la haute noblesse
parisienne des leçons de maintient et d’élégance. Les ricanements sur Dubuffet sont navrants car il travaille pour que le peuple (qui seul peut
amener la régéneressance en toute chose) écrive et peigne. Il peint des grafittis qu’il vend et comme absolument n’importe quel travailleur manuel
peut commencer par en faire pour parvenir ensuite a absolument merveilleux, inconcevable. Et comme le maître d’école qui écrit des bâtons pour
servir de modèle aux momes qui arrive à l’école pour qu’ensuite ces momes arrivent à avoir une bonne instruction Dubuffet dessine des graffitis
qui font scandale alors qu’il sait parfaitement peindre à la façon des peintres académiques. Je crois à un art académique régénéré et qui ne peut
l’être que par des hommes du peuple. J’ai envie d’une lettre de Monseigneur Cazaux pour ma collection de lettres de gens qui en écrivent… Si un
jour j’en ai les moyens je pourrais construire à mes frais le hameau en question”
et il signe “
Gaston Chaissac dit Chie-en-sac le grand con dit
le féticheur en chambre, dit l’hippobosca désailé, dit le Dubuffet en sabots. Ex-valet d’écurie, sans appointements. p.s. voici 2 lettres que je vous
offre gratuitement avec l’autorisation de les publier dans la revue maintenant : Chere Torpedo : lorsque mes yeux se fixent au delà se la Boulogne
une torpeur me saisit soudain, secoue mon être et à l’arrivée du crépuscule des gouttelettes de pénombre se mêlent à l’ambiance habituelle
… ”.
MARTIN/BRISSONNEAU.indd 47
2