Page 10 - JMD_Autographes_dec_2011.indd, page 16 @ Preflight

SEO Version

-
10
-
47.
Berthe MORISOT
(1841-1895). L.A.S. « Berthe Manet »,
Rotterdam
[1885], à sa nièce Paule Gobillard ; 3 pages in-8, en-tête
Hôtel
Weimar, Rotterdam
.
2.000/2.500
Voyage en Hollande. Elle se plaît moins à Rotterdam qu’à Amsterdam : « je ne me vois pas séjournant indéfniment ici, quoiqu’il
y ait de fort belles choses à voir : les moulins gigantesques qui entourent la ville, les quais sur la Meuse, le mouvement des bateaux
tout cela est superbe. Je m’aperçois que ce qui m’intéresse davantage dans les voyages c’est l’architecture, et c’est à ce point de vue-là
qu’Amsterdam me plaisait tant. J’y voyais des choses toutes nouvelles tenant peut-être un peu des constructions du Midi mais ayant
cependant un caractère bien à part. L’emploi des briques roses pour les grands monuments est d’un effet charmant »… Elle décrit avec
admiration les couleurs des façades, les fenêtres, les tours, « tout cela noyé dans une lumière délicieuse ; un ciel changeant, variable
à l’infni tout de nacre et d’opale, des canaux partout et une population aussi grouillante qu’à Paris. Ce serait délicieux à peindre si on
pouvait ! Heureusement pour moi je n’ai pas essayé, d’ailleurs je ne sais pas comment on s’y prendrait à moins de se camper au milieu
de la foule. – Tu n’es pas au bout de tes déboires avec la peinture, ils se varieront à l’infni, mais tu en as pour la vie. Par exemple je n’ai
pas un enthousiasme exagéré pour les musées d’ici, M
r
Riesener dans ses lettres sur la Hollande déclare que le Rembrandt (
La Ronde
de nuit
) est surestimé, et ma foi je suis de son avis. J’ai vu les Hals de Haarlem c’est d’une habileté extraordinaire mais sans charme »…
Elle parle de son « petit Bibi » (sa flle Julie), « toujours à la recherche d’un moulin joujou introuvable »… Elle ne sait si elle reprendra
son domestique à son retour, qui a « le défaut d’être Prussien. Il m’était tombé du ciel, m’apportant un panier de fruits de la part de
Miss Cassatt et dans ma détresse je l’avais immédiatement embauché »…
Voir la reproduction.
48.
Berthe MORISOT
. L.A.S., [Gorey (île de Jersey) été 1886], à sa nièce Paule Gobillard ; 4 pages in-8.
2.000/2.500
Belle lettre sur Claude Monet.
Ils vont partir la semaine prochaine : « ton oncle m’a empoisonné ce séjour par son ennui, sa tristesse et sa mauvaise mine »… Cepen-
dant sa flle Bibi l’a enchantée par sa charmante nature et l’intérêt qu’elle portait aux bateaux de leur petit port « absolument mort »,
desservi par le vapeur de Portbail. « Par exemple le grand port de S
t
Hélier est très joli, là il y a un vrai mouvement maritime et les
eaux y sont belles, transparentes, les fonds de la petite ville délicieux. Je voudrais voir Monet aborder ces sortes de paysages au lieu
de s’en tenir toujours aux mêmes répétitions ; avec les dons merveilleux qu’il possède il rendrait la vie d’un port comme personne ne
l’a encore fait, et c’est une des plus belles choses qui se puisse peindre. Je trouve qu’il a épuisé la matière du simple paysage et que nul
après lui ne se sent le courage de tenter ce qu’il a si complètement rendu. Mais ce sont là des paroles décourageantes qu’on ne devrait
pas dire à la jeunesse, d’ailleurs tu es à l’âge des grands enthousiasmes et l’amour de la nature console des échecs. Le père Corot disait
que la nature voulait être
aimée
, qu’elle ne se livrait qu’à ses vrais amants. Tu me parais être dans d’excellentes conditions ! Seulement
te voilà probablement déroutée devant une nature nouvelle. […] J’en suis toujours là chaque fois que je change de “scenery” comme
disent les Anglais. C’est seulement maintenant que je commence à voir ce pays ; mais ne te préoccupe pas de cela fais n’importe quoi
pour t’exercer à la précision, au dessin et à la justesse des valeurs »…
Voir la reproduction.
49.
Berthe MORISOT
. L.A.S. « BM », [printemps 1891 ?], à sa nièce Paule Gobillard ; 4 pages in-8.
1.200/1.500
Sur son mari Eugène Manet : « Il est beaucoup mieux ton pauvre oncle, tellement mieux que je n’ose en croire mes yeux et que
mon esprit inquiet va au-devant des complications de l’avenir. Ta mère comprendra ceci mieux que toi, nous sommes à un âge où une
fois touchées par le malheur nous pensons ne devoir jamais nous relever. J’ai lu ta lettre à ton oncle, elle lui a fait grand plaisir. Il a
visité l’Auvergne dans sa jeunesse et en conserve un charmant souvenir. Il a trouvé que tu décrivais parfaitement le pays. Nous sommes
deux à te reconnaître un petit talent littéraire que tu devrais cultiver, tu ne ferais pas tort à la peinture au contraire. Je crois que l’un
aide l’autre et je pressens que dans quelques années d’ici la mode sera aux femmes écrivains ». Elle lui conseille de lire les fragments de
mémoires des Goncourt parus dans
Le Figaro
, qui « contiennent quelquefois de jolies choses »… Puis elle parle de sa flle Julie : « Mon
pauvre bijou est venu hier pour la première fois faire une visite à son papa et à sa maison. Elle a très bonne mine, mais la séparation
commence à lui peser. Mlle Bordier est vraiment un peu sévère, cela me fait de la peine de voir son petit naturel si gracieux, comprimé.
[…] Je ne sais pas du tout quand je pourrai la reprendre, ton oncle quoique incomparablement mieux passe encore de bien mauvaises
nuits fort agitées, il se relève, se promène, a besoin d’une chose ou d’une autre »… Elle a vu l’oncle Adolphe [Pontillon], « toujours
excellent et bavard, se mettant franchement à ma disposition avec un fux de paroles assourdissant »…
50.
Berthe MORISOT
. L.A.S. « B.M. », [été 1891 ?, à sa sœur, Yves Gobillard] ; 4 pages in-8.
1.200/1.500
Longue lettre sur sa fille Julie et son mari Eugène Manet. Elle parle de « Bibi » [sa flle Julie] qui « a passé pour la première fois
une journée complète à la maison hier dimanche. Elle a écrit sa lettre, a peint la fontaine de maman dans le jardin, a dévoré, m’a fait
des adieux touchants le soir. […] Le soir on s’amuse joliment avec Mélanie dans le square, le matin au bois… Bref, le plus rude moment
c’est celui des repas parce que les côtelettes sont mauvaises et les autres choses en bouillie et qu’on ne change pas d’assiettes ! Il faut
dire qu’elle supplée à la mauvaise nourriture en se faisant apporter des goûters monstres, sous prétexte de partager avec Mélanie. Enfn,
que Paulette cesse de s’apitoyer sur son compte, elle sait prendre la vie du bon côté. Elle rentre ici le premier, je l’installe dans le prin-
cesse, […] cette petite pièce est très saine à cause du jour sur le salon, j’y couche depuis plus d’une semaine car toute mon organisation
intérieure est bouleversée ». Le docteur Martin « croit la crise terminée, tellement terminée qu’il m’engage à voyager avec Eug. et
Bibi, c’est au-dessus de mes forces, et il croit que cela me distraira ! C’est un excellent garçon, mais pas fn. Il dit constamment devant
Eug. des choses qu’il ne devrait pas dire. Eug. ne peut tenir en place il est en mouvement toute la journée. Il reprend sa fgure naturelle
mais son irritabilité est extrême, son service est devenu très diffcile et il se refuse absolument à prendre un domestique ce qui serait
beaucoup mieux, avec de l’aide de ci de là nous dépensons tout autant et sommes mal. Je t’assure que la vie n’est pas douce ici… Je suis
fâchée de devoir revenir si tôt. Paule m’écrit que le pays est charmant la saison magnifque ce que je crois sans peine car ici nous avons
trop chaud »…
JMD_Autographes_dec_2011.indd 10
24/11/11 11:24