Page 181 - Mise en page 1

Version HTML de base

177
Schmied rejoint à Wissous, dans la banlieue parisienne, sa femme et ses trois enfants dont l’aîné
Théo n’avait pas 13 ans. Il s’engage le 4 septembre dans la Légion Etrangère, confiant sa famille à
la sollicitude de Dunand qui ne s’engagera que plus tard dans le service de santé de la Croix-Rouge.
C’est dans les tranchées de la Somme qu’un éclat d’obus l’atteint au visage. Il perd l’œil droit, et
ramené à l’arrière c’est encore Dunand qui vient le chercher à la gare de Crépy-en-Artois. C’est à la
suite de cet accident que Dunand étudiera un nouveau modèle de casque à visière pour l’armée
française. Dès que sa convalescence lui permet de se remettre au travail, Schmied reprend en main
le livre de la Jungl
e, malgré l’absence de Jouve. Au moment le plus critique du bombardement de la
région parisienne, les feuilles déjà tirées, sont expédiées en province. Elles n’en reviendront qu’après
l’Armistice. Décidé en 1905, commandé à Schmied en 1910, l’exécution de cet ouvrage ne fut
terminée qu’en 1919. Peut-être les circonstances dramatiques de la naissance de cet ouvrage n’ont-
elles pas été étrangères à sa renommée. Il représente au point de vue technique du bois en couleurs,
une des plus habiles et des plus riches productions de l’édition contemporaine. Pourtant, il faut avouer
que sa structure typographique révèle une certaine indigence et une navrante banalité. Les compositions
de Jouve, assez inégales, présentent un caractère presque exclusivement animalier, d’un réalisme
puissant mais un peu vulgaire donnant à cet ouvrage lyrique l’aspect d’un somptueux manuel de
zoologie. Sur 90 planches, Jouve n’en avait fourni que 15, pour les autres, il s’était contenté de donner
des croquis et quelques indications.
Schmied choisit la mise en couleurs pour la gravure et c’est à lui que l’on doit cet aspect raffiné et
précieux. Les paysages qui sont de son inspiration, sont surprenants par la large simplification des
plans, par la compréhension intelligente des jeux de lumière se jouant parmi les sites variés, gracieux
ou sévères. L’imprimeur, Philippe Renouard contraint d’abandonner la publication faute de personnel,
c’est F.L. Schmied, qui avec un personnel de fortune, acheva l’impression du texte.
Ce succès décida de son avenir.
Après la guerre, Schmied décide d’être son propre éditeur. Il fera un livre à lui seul. L’illustration, la
gravure sur bois, la typographie, l’impression, tout va sortir de son cerveau et de ses presses à bras.
Il conçoit le livre avec des blancs somptueux, des ors, des platines, des matières rares et précieuses.
Les bois sont tirés sur planches repérées, à dix ou douze couleurs. De plus, il interprétera les dessins
qui lui seront donnés par les illustrateurs. Il suffit pour se rendre compte de ce que le talent du graveur
peut faire pour modifier et rendre des originaux, de comparer les illustrations de Suréda pour
Marrakech
, qui furent gravées par Schmied, à celles du même Suréda pour
La fête arabe
, éditée chez
Lapina. Dans un livre illustré, le talent du graveur intervient bien plus que celui de l’illustrateur quel
qu’il soit.
Quand on connaît la production de F.L. Schmied, on est frappé de constater combien sa conception
est homogène. Entre 1922 et 1941, l’harmonie est complète. Encouragés par le succès du
Livre de
la jungle,
les dirigeants du
« Livre Contemporain »
voulurent donner à Schmied, la commande d’un nouvel
ouvrage. Il est à noter que le travail de Schmied est inséparable de l’engouement général de l’époque
pour l’édition du livre de luxe ; sans commanditaires très riches, une telle production n’aurait jamais
vu le jour. D’ailleurs, la crise de 1929 lui sera fatale. Le choix de cette nouvelle commande, s’était
porté sur une sélection de 45 poèmes de la Comtesse Mathieu de Noailles, réunis sous le titre :
Les
climats
. Commentant éloquemment le mérite du livre devant les bibliophiles du groupe, M. de Crauzat
déclarait :
« Schmied nous donnera la vision, mirage fixé sur papier, de la beauté suprême du génie poétique
de Mme de Noailles »
. Il utilisa l’or plaqué sur feuilles, semé en poudre, l’argent, le platine, les couleurs
les plus rares et les plus raffinées pour nous entraîner dans une merveilleuse randonnée.
Peintre, graveur sur bois, imprimeur, F.L. Schmied a entièrement exécuté ce volume, réalisant ainsi
une œuvre unique et personnelle qui eut un immense retentissement.
Mais il allait pousser plus loin ses recherches sur l’architecture du livre avec Daphné, paru également
en 1924. Tirant par tie du blanc du papier, il rythme les pages et s’en ser t comme d’un moyen
d’expression. Les lettrines enluminées sont merveilleuses, et l’on se souvient des manuscrits anciens.
Chaque page est par faitement équilibrée, et il joue admirablement entre le texte et le décor, de l’éclat
des couleurs et du blanc du papier.