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Émile SIMONET dit FANFAN (né 1911) chef d’une bande d’apaches lyonnais et dessinateur.
3 cahiers avec manuscrit autographe signé et 21 dessins originaux,
[Lyon, 1930-1933].
19 feuillets 31,5 x 24,5 cm et 1 feuillet 27 x 6 cm, plus couvertures, le tout monté sur onglets et relié
en un volume in-fol. demi-maroquin rouge.
Exceptionnel recueil de 21 dessins à la mine de plomb et aux crayons de couleur, avec
l’autobiographie du criminel.
Né en 1911, après une enfance malheureuse, Émile Simonet suit l’exemple de son frère malfaiteur
et devient en 1927 chef d’une bande d’apaches, les Kangourous du Bois Noir : “On dénommait
Kangourous de jeunes apaches qui rançonnaient les couples d’amoureux fréquentant le Bois Noir,
près du Parc de la Tête d’or. Après avoir ligoté le galant, ils violentaient sous ses yeux sa partenaire”
(Jean Lacassagne). Arrêté et emprisonné à Lyon en 1930, dans les prisons de Saint-Joseph et Saint-
Paul, Fanfan se lie avec le médecin des prisons de Lyon, le Dr Jean Lacassagne (1886-1960, fils du
célèbre médecin légiste) ; il est déporté en Guyane en 1933. Auparavant, il a donné ses cahiers de
dessins au docteur Lacassagne, qui en reproduira six dans l’étude qu’il publie en 1939 dans les
Albums
du Crocodile
avec le peintre Jean Couty :
L’Art en prison. Dessins de Criminels
. En février 1941, Jean
Lacassagne donne ces cahiers de dessins au chorégraphe et librettiste Boris Kochno (1904-1990), qui
a calligraphié le nom de
Fanfan
sur le premier cahier (dédicace de Lacassagne sur le 3
e
cahier). Voir :
Émile Simonet dit Fanfan,
Le Kangourou du Bois Noir. Dessins de criminels de la collection Lacassagne
(Ceros, 2004).
Dans sa présentation en tête de
L’Art en prison. Dessins de Criminels
, le docteur Lacassagne résume les
caractéristiques des dessins de Fanfan : “L’homme du milieu manque en général d’imagination, c’est
pourquoi il reproduit sur le papier, avec force détails, avec la plus grande minutie, ce qu’il connaît ou
ce qu’il voit. Il dessinera donc volontiers des filles, des souteneurs, des scènes de prison, de bordel et de
bals musettes, des cambriolages, des règlements de compte. La plupart du temps on retrouvera dans ces
dessins trois qualités maîtresses du tempérament criminel, elles dérivent d’ailleurs l’une de l’autre : la
haine, l’esprit vindicatif et la violence. Parfois cependant le criminel se laisse aller dans ses dessins à une
sentimentalité délicate et touchante. Il dessine des fleurs, des femmes qui pleurent, le Christ en croix,
la Sainte Vierge, des anges, des paysages bucoliques”... Quant à Jean Couty, il écrit : “La séduction
qu’exerce sur nous le dessin [de Fanfan] est déterminée par le sens exact des rapports, des lignes et des
couleurs. Le trait précis et vigoureux fixe les attitudes au réalisme poignant. (...) Fanfan a su tirer du
sujet le maximum d’acuité visuelle, en faisant jouer les surfaces entre elles. Un ton d’ensemble unifie
les groupes et donne plus d’intérêt plastique. L’échelle des personnages est là particulièrement bien
ordonnée. La beauté du drame est renforcée par une savante harmonie de frottis superposés. Le trait
incisif, jeune et cruel, et très souvent orgueilleux viendra avec la couleur jetée brutalement les délivrer
de leur érotisme violent, de leurs passions arrêtées. Le refoulement de leurs instincts génésiques se
canalisera dans les scènes du milieu et parfois quittant le naturalisme descriptif, ils se laisseront bercer
par quelque invitation au voyage sur une terre lointaine, et ce sera le cas de Fanfan, par exemple”...
En tête du premier cahier, on a relié un autoportrait en pied, daté 1930, ainsi légendé : “E.S. dit
Fanfan : 19 ans. / 1 an : vol et violence. / 6 m[ois] exitation de mineures à la débauche. / 4 m violences.
1930 / 15 j[ours] : tentative de cambriolage 1929. / 1 m outrages à agents 1929. / S
t
Joseph / Fanfan. /
Né pour souffrir”.
Le premier cahier est intitulé
Les Maillons de ma chaîne
; il porte une dédicace au docteur Jean
Lacassagne. C’est son autobiographie. “Ceci est un peu de ma vie, c’est un peu de la misère et du
vice que j’ai croisés sur les rues pierreuses des villes et dans les prisons de France et que je puis avouer
de moins tristes parmi tout ce dont je me suis taché. Pour vous qui lisez ces lignes je revois les jours
affreux de la guerre, ma mère faisant des obus à l’Arsenal avec mon père rendu inconscient par l’alcool,
les récits de cambriolage et d’agression qui ont remplacé pour moi les contes de Perrault, la misère de
mon enfance entre un frère cambrioleur et des sœurs prostituées, les jours moroses à la communale, les
nuits où le sang et le vin coulaient mélangés, tout ce qui a déformé mes sentiments et m’a conduit sur
la route du bagne”... Il évoque le père alcoolique et brutal, l’école, puis l’atelier dont il est vite renvoyé,
la première expérience de la prison à 16 ans : “Là, je suis entré en contact avec les vices de l’homme car
ma détention fut adoucie par la présence d’un môme âgé de 13 ans condamné à la maison de correction
jusqu’à sa majorité pour une bicyclette”. Puis il devient chef d’une bande de frappes, la rencontre d’une
fille, les attaques de passants pour les dévaliser, les viols, les bagarres sanglantes, d’autres séjours en
prison, sa liaison à Clairvaux avec Petit-Louis, la prostitution masculine, un cambriolage qui tourne
mal, une bagarre sanglante en prison, etc. Il conclut : “Pouvoir recommencer mais il est trop tard,
comme pour tant d’autres la vision de la relègue dresse sa barrière infranchissable sur la route du
bien, la relégation qui fait naître l’assassin puisqu’un grand nombre de malfaiteurs tue pour se l’éviter,
préférant l’échafaud ou les travaux forcés aux jours moroses et à la misère du pénitencier de S
t
Jean”.