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CLOOTS (Jean-Baptiste, dit Anacharsis, 1755-1794) conventionnel (Oise), “l’Orateur du Genre
humain”, adversaire fanatique de la religion et de l’aristocratie, guillotiné avec les Hébertistes.
Lettre autographe signée
“le B
n
de Cloots du Val-de-Grace”,
Orléans 26 juillet 1789
, à son cousin [le
marquis Anne-Pierre de Montesquiou-Fézensac].
2 pages et quart in-4.
Belle et rare lettre des débuts de la Révolution.
La position extraordinaire dans laquelle il se trouve explique le flottement de son dernier courrier ; il a
été distrait lors de sa rédaction par des personnes causant avec le comte de Berchini, chez lequel il loge.
“Vous savez que l’on est à la piste de la clique anti-Necker : je suis enveloppé dans ces perquisitions”…
Ne connaissant personne à Orléans, il s’est recommandé de sa part… “Mais on vient de former ici un
Comité Permanent
, à l’instar de Paris ; de sorte que pour ne pas se compromettre, M. de Berchini m’a
donné un brigadier qui m’accompagnera jusqu’à la réception de vos nouvelles. Jamais pareille aventure
ne m’est arrivée ; il ne manquoit que cet épisode à l’histoire de ma vie. Je suis prisonnier, mon digne
Protecteur, et quoique prisonnier ambulant, j’ai besoin de ma philosophie pour envisager de sang froid
un esclavage absolument nouveau pour moi. Ah ! divine liberté, je ne connaissois pas tout ton prix.
Mon brigadier est un bon diable, nous fesons de belles promenades ensemble, eh bien, il me semble
que je le porte sur mes épaules”… Sa malle est à Nantes et il n’a pas de domestique, “ce qui joint à la
négligence de mon costume, me donnoit l’air d’un fugitif ”. À ce propos, il est enchanté par l’attitude
de M. Berchini, qui a su dissiper ses soupçons à son sujet, “pendant que des subalternes me fesoient
platement entrevoir qu’ils me croyoient de bonne prise. En seroit-il de l’indulgence et de l’affabilité
comme de la pesanteur qui se manifeste davantage en raison de l’élévation de la chute ? Sans doute
que la populace de Paris, sur un simple soupçon, m’eut accroché au poteau d’un réverbère. C’est bien
dommage qu’il n’y ait pas du
nic
ou du
niac
dans mon nom. En faveur de la rime, mon affaire étoit
faite, on m’étrangloit en mémoire des odieux Polignac. Et M. Necker auroit eu un zélateur de moins.
L’Amour-propre d’un sot eut beaucoup souffert, à ma place, chez M. le Commandant ; mais le mien
est fort au dessus des miseres qui éblouissent le vulgaire. Je n’ai été sensible qu’au vol qu’on m’y a
fait d’un bon mot. J’avois dit dans le sallon à un de ces Messieurs, que Paris ressemble aujourd’hui à
Constantinople, avec la différence qu’en Turquie on coupoit les têtes de haut en bas, et qu’en France on
les coupoit de bas en haut. J’entendis répéter mon adage une heure après. Et sur ce que M. le Général
me cita pour l’auteur du mot, on eut l’assurance de me répondre que c’est à moi qu’on l’avoit dit en
premier lieu. J’ai eu la modestie, ou plutôt la faiblesse de ne pas insister là-dessus. Semblables larcins
n’appauvrissent pas les riches et n’enrichissent pas les pauvres. Je parierais que M. de Berchini est très
persuadé que ce n’est pas moi qui suis le voleur. Il a du tact, votre respectable voisin”… Il termine par
un appel à l’aide : “Mon cœur se comprime en songeant à ma captivité, consultez le vôtre, mon cher
marquis ; et vous ne tarderez pas à faire élargir votre infortuné cousin”…
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