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A
NDRÉ
G
RANGE
EST MORT
[le poète surréaliste ami de Cocteau, converti par Maritain et mort subitement de maladie
le 24 janvier 1926].
Je savais qu’il mourrait – cette mort ne m’étonne pas. Il avait une démarche qui ne trompe pas ceux qui
connaissent la mort.
L
A MORT
EST MON AMIE
.
Elle aimait Grange. Elle le coulait. C’était visible, cela crevait les yeux.
I
L
EST MORT
CONVERTI
,
poussé au ciel par le livre de Charles
[le Père Charles Henrion, qui joua également un rôle avec
Jacques Maritain dans la conversion temporaire de Cocteau]
. Prions pour lui.
I
L
VOULAIT
SAVOIR
,
IL
SE DÉMENAIT
,
SE
RETOURNAIT DANS
LA
VIE
,
COMME UN HOMME QUI
VEUT DORMIR
. I
L DORT
. I
L
VIT DE
L
AUTRE
CÔTÉ
.
J’ai une grippe, la Àèvre. Je garde la chambre. Glenway
[l’écrivain américain GlenZa\ Wescott]
me visite, mais il est un
autre : écorché vif et catastrophé par des
riens
, la peur qu’Eugene Mac Gowane vienne à Villefranche entre autres
[le peintre
américain Eugene Mac CoZn]
. C’est un enfant gâté formidable. Si je me permets un mot sage. Monroe
[le futur éditeur
Monroe Wheeler, compagnon de GlenZa\ Wescott]
me regarde avec pitié comme un être grossier incapable de comprendre
les rouages de son dieu.
P
LUS
JE
VAIS
,
PLUS
JE
CONSTATE QU
ON NE
SAURAIT
VIVRE
SANS
LA
FOI
. M
ÊME
EN
L
AYANT
SI MAL
,
À MA MANIÈRE
.
Je t’embrasse mon Jean adorable. Écris vite.
[Dessin d’un cœur.] »
[Villefranche-sur-Mer, 28 février 1926]. 1 p. in-4, enveloppe.
«
Cher petit Jeannot, il fait froid – c’est très désagréable – je me recroqueville au lieu de m’épanouir – d’où silence.
J’
AVOUE
AUSSI QUE
CE
LONG
CAUCHEMAR QUI
CONSISTE
À
LIRE
PARTOUT
SUR MOI
DES
HORREURS
ET
DES
INJUSTICES
et à “ ” – un
déluge d’éloges sur Valéry etc. n’arrange pas les choses.
J
E NE DEMANDE PAS BEAUCOUP
MAIS CETTE
FAUSSE PLACE QUE
J
AI
CETTE PROFONDE MÉPRISE ME REND MALADE
ET ME DÉCOURAGE
.
M
ARDI
J
AVAIS
LOUÉ
UN
STUDIO
POUR
ESSAYER
DES
BOUTS
DE
FILM
avec Haziza et un type trouvé dans un bal de mi-carême
[allusion à l’acteur Fabien Haziza]
. Type et Haziza ont eu les yeux br€lés, bronchite etc. Moi je ne sais pas encore ce que j’ai
pris et ce que contient l’appareil.
Silence complet de Jeanne
[Jeanne Bourgoint, sœur de Jean]
. Je n’ai pas cherché à la voir parce qu’elle a fait une chose très
laide.
E
LLE
A
DIT
À
K
IT
(
QUI
NE MENT
JAMAIS
)
QUE
JE
TROUVAIS
SA
PEINTURE
IDIOTE
,
QU
IL
NE
DEVAIT
PAS
PEINDRE
ET
QUE
JE
LUI
AVAIS
AVOUÉ
QUE
C
EST
MOI
QUI
L
AVAIS
EMPÊCHÉ
DE
PEINDRE
LES
DÉCORS
DE
D
IAGHILEW
[Kit était le surnom du peintre anglais
Christopher Wood]
.
Ta maman m’a fait téléphoner par une amie pour que j’essaye d’intervenir auprès de Violette
[la princesse Murat, Violette
Ne\, opiomane et lesbienne, amie de Jeanne Bourgoint]
. C’est impossible. Je ne rencontre jamais Violette et je la connais
depuis trop longtemps. J’ajoute que rien n’inÁuencerait Jeanne qui nous évite tous. J’en ai de la peine et je voudrais aider ta
maman, te rendre service. Avoue que c’est impossible. Toi seul pourra l’éveiller, traverser d’un cri, d’un regard cette couche
d’indiͿérence, être entendu. Mon petit ours je t’embrasse. Jean
[la signature est précédée du dessin d’une étoile.]
»
20. COCTEAU
(Jean). Lettre autographe signée «
Jean »
à Jean Bourgoint. [Villefranche-sur-Mer, 4 mars
1926]. 1 p. in-4, enveloppe.
400/500
«
Cher Jeannot, je te crois faisant la planche (la fausse planche crocodile) sur les linges de l’hôpital. J’ai mis Berthelot en branle
[le secrétaire général du ministère des AͿaires étrangères Philippe Berthelot]
. Il importe d’en Ànir avec notre inquiétude.
Antibes ou pas Antibes, il faut éviter le Maroc
[o se déroulait la guerre du Rif, Jean Bourgoint eͿectuant alors son
service militaire]
. Je te demande d’être sage et de comprendre pour ta mère et pour moi. Tu ferais n’importe quel eͿort pour
empêcher une de mes souͿrances et tu n’hésites pas à trouver naturel un état de choses qui m’achèverait à petit feu.
A
UTRE
NOUVELLE
:
DESCENTE
À
2
PIPES
. J’
ESSAYE
DE
LÂCHER
L
O
[
PIUM
]
,
APRÈS
UNE
JOURNÉE
À
N
ICE
JE
ME
SUIS
APERÇU
DES
RAVAGES
. J
E
PASSE
AUSSI
DES
JOURNÉES
AU
LIT
,
MAIS
ATROCES
,
genre Jacqueline – Jacqueline c’est Mary
[la femme de lettres
britannique Mar\ Butts]
– les cheveux coupés court (très bien) et touchante pour moi.
D
EMAIN
1
P
[
IPE
]
,
APRÈS
-
DEMAIN
JE
COUPE
.
Ne t’étonne pas si je passe 2 ou 3 jours sans écrire. Je traverse des zones délicates.
Sache que je pense à toi chaque minute et passe chaque minute auprès de toi. Mary m’a donné un lapin rouge et qui est un vrai
ami. Il y a aussi un chat vert que le lapin déteste.
Je t’aime. Jean »