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moi, que le seul geste d’écarter tes cuisses pour m’enjamber t’ouvre jusque

dans tes profondeurs de cris, et que tu t’enfonces toi-même sur moi, pleine

tout d’un coup de ce bloc de fer qui entre dans ton ventre et y fond comme

du beurre et du miel. Ou alors j’imagine que tu as couché ta tête sur mes

genoux et que tu bois paisiblement ma joie avec ta langue et ta bouche et

je sens dans mes mains le poids de tes seins.

Le travail sera fini en avril.

(3 février 37).

Travail donc toujours assez violent. J’avance dans le chapitre 10, plus

que deux après et c’est la fin. Je suis actuellement dans une forêt glacée. La

dynamite approche. Bien entendu tout ça traversé par le souvenir de tes

seins et le gout qu’ils ont dans ma bouche...

” (sans date).

La rédaction de

Batailles dans la montagne

sera suivie de celle de

Poids

dans le ciel

, évoquée à partir de juillet 1937.

Giono s’y livre sans fard, donnant libre cours à ses

désirs et

fantasmes ce qui confère à la correspondance une teneur des plus

intimes.

Si l’enfant n’est pas fait, je sais où nous le ferons, toi et moi, chérie.

C’est la haut dans la montagne où je suis allé ces jours ci, d’où je t’ai

rapporté des fleurs, et où je te mènerai.

J’ai cueilli des fleurs à l’endroit précis où nous nous coucherons sur la

terre.

Tu auras le ciel au dessus de toi avec toutes les étoiles ou bien le soleil,

suivant que notre désir pourra ou ne pourra pas attendre le soir.

J’entrerai en toi avec tout le reste.

Et je ferai que ce soit encore plus lent que cette lenteur que tu aimes et

j’irai de plus en plus profond en te laissant le temps de t’emplir d’abord de

tout ce qui sera sur toi en même temps que moi. Je ne serai que le canon

de la fontaine où je voudrais te faire boire l’eau magique.

Et je ne me retirerai doucement que quand je serai sûr de rester en toi

pour toute la vie et toute la mort

(30 juillet

[1935?]).

La liaison de Giono avec Hélène Laguerre (1892-1980) débuta au

moment de la publication du roman

Que ma joie demeure

dont cette

militante de gauche fut une fervente admiratrice. Elle “ne devient

charnelle qu’après une correspondance de cinq mois [...]. La première

rencontre a lieu à Marseille en juillet 1935. Le sexe envahit leur

relation, comme le montrent les lettres écrites entre des retrouvailles

parfois séparées de plusieurs mois. Giono, frustré par l’éloignement,

s’étend sur des jouissances interminables en longues périphrases,

en images, en symboles aux résonances cosmiques : mer, terre,

fleuve, inondation. Ces descriptions de jeux sexuels imaginaires se

rapprochent de la création romanesque” (Pierre Citron, “Les Ordres

étranges”

in

Histoires littéraires

55, 2013).

Au cours des 4 ans que dura leur relation, le rôle d’Hélène Laguerre,

à côté d’Élise, son épouse, dépassa largement celui de l’amante. Elle

lui servit de secrétaire et s’occupa de ses éditeurs parisiens. Elle est

également chargée de ses commissions.

De même, Giono la chargea de dactylographier certains passages des

lettres qu’il lui avait adressées, afin de les intégrer à son

Journal

des

années 1935-1939.

Hélène Laguerre prit également une part active aux engagements

pacifistes de Giono. Elle fut de toutes les rencontres du Contadour,

initiées par Giono en septembre 1935, et défendit en son nom la cause

pacifiste dans des congrès et des manifestes.

Des dissensions semblent apparaître en octobre 1937 autour d’un

article de Jean Guéhenno. Leurs relations se distendirent avec

l’éclatement de la guerre, sans jamais s’interrompre. Giono tenta

notamment, en vain, d’intervenir en faveur du fils d’Hélène Laguerre,

arrêté pour des faits de résistance en décembre 1943. A la Libération,

il lui apporta régulièrement un secours matériel.

La correspondance amoureuse de Jean Giono avec Blanche Meyer a

été cédée en 1974/1975 au Edwin J. Beinecke Book Fund (Yale). Elle

fut mise sous séquestre jusqu’en 2000 ; la Lilly Library (Bloomington)

conserve un millier d’autres lettres adressées à Hélène Laguerre ;

quant à la correspondance avec Simone Téry, elle est actuellement

déposée à la Bibliothèque nationale de France.

Très bel ensemble de la bibliothèque

Gérard Nordmann,

avec ex-libris

(I, Paris, 2006, n° 158).

10 000 / 12 000