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«

Moi qui ne pense qu'à toi, je te sais malade et ne sais rien de toi...

»

1. –

[Paris], [date de réception du 19 avril 1907] : «

Mon cher Louis, je commence par te dire que

tes craintes étaient absolument chimériques. Une longue conversation au téléphone

[avec Louisa de

Mornand]

m'en a pleinement convaincu. Tout va

au mieux.

Seulement je te préviens que comme ce

téléphonage avait été précédé de 18 autres infructueux et qu'elle le savait, pour ne pas avoir l'air que

tu attaches trop d'importance, je n'ai pas dit que tu n'avais rien dit, je n'ai pas dit que tu te plaignais

de son silence

maintenant

, j'ai dit que tu t'en étais plaint, je ne me suis informé des choses Gangnat

que comme si c'était nécessaire, et nous en avons pourtant parlé longtemps et cela va très bien. Dire

si tes reproches coïncidaient avec mon téléphonage, elle pourrait croire que c'est de ta part que j'ai

téléphoné et il est préférable, cette fois, que non. Du reste, je peux vraiment dire que ce n'est pas de ta

part. Car bien que depuis une sortie que j'ai faite pour entendre une chose de Reynaldo

[à une soirée

musicale chez la princesse de Polignac, le 11 avril 1907]

, je ne quitte plus mon lit, je n'ai pas cessé

un seul jour de téléphoner chez elle, prenant pour cela de g

[ran]

des quantités de caféine. J'ai été jusqu'à

téléphoner rue Villebois-Mareuil (du reste elle le sait) dans l'espoir qu'elle y serait. Et quoique chaque

fois je demandais qu'elle m'appelât dès qu'elle rentrerait, pas une fois elle ne l'a fait. (Or du moins elle

m'a dit que si mais qu'elle n'avait pu avoir le communication). Et justement hier (avant d'avoir ta

dépêche, tu vois que c'était donc bien par pure vigilance personnelle et non pour obéir à tes ordres que

tu ne m'avais pas donnés encore), j'avais téléphoné tant de fois qu'elle m'écrit paraît-il aujourd'hui

(je n'ai pas encore la lettre) et que quand tantôt j'ai téléphoné et qu'elle était sortie et que j'ai prévenu

que je téléphonerais jusqu'à ce que je la trouve, elle m'a spontanément appelé au téléphone dès qu'elle

est rentrée. Elle a été tout à fait délicieuse, me disant les choses les plus gentilles et les plus fines et

les plus sensées,

ELLE

NE

SE

RENDAIT

PAS

UN

COMPTE

EXACT

DE

TON

ÉTAT

QUE

JE

LUI

AI

PLUTÔT

EXAGÉRÉ

,

MAIS

SENTANT

DANS

LE

TÉLÉPHONE QUE

SA

VOIX

S

'

ALARMAIT

,

J

'

AI

FAIT MACHINE

ARRIÈRE

ET

J

'

AI

CALMÉ

SES

APPRÉHENSIONS

.

Je lui avais demandé de venir me voir ce soir, étant pour la 1

re

fois depuis cette sortie un

peu respirant. Mais elle quittait ses occupations tard et comme elle partait demain matin de très bonne

heure de chez elle, je n'ai pas voulu qu'elle se couche trop tard. Hier soir, au reçu de ta dépêche, j'avais

envoyé Ulrich

[

R

OBERT

U

LRICH

, neveu de la vieille servante de ses parents, Félicie Fitau, et que

Proust employa parfois comme secrétaire entre 1906 et 1909 –

C

'

EST

À

LUI QU

'

IL DICTA

UNE MISE

AU NET DE

LA

PREMIÈRE

PARTIE DE

D

U

C

ÔTÉ

DE

CHEZ

S

WANN

]

au Vaudeville

[où Louisa de Mornand

jouait dans la comédie de Pierre Wolff,

Le Ruisseau

]

, mais elle était partie (il n'était pourtant

qu'onze heures 1/4) et je ne lui ai pas dit cela, justement pour ne pas avoir l'air de faire une commission.

Je te téléphonerai plus facilement de vive voix notre conversation, mais encore une fois tout ce qu'elle

m'a dit était exquis, plein de cœur et de charme, et ses rapports avec Gangnat sont excellents en ce

moment.

J'

AI

TOUJOURS UNE

CRAMPE À

LA MAIN

,

aussi je me demande si tu pourras me lire.

S

I

TU

POUVAIS ME DONNER DE

TES NOUVELLES

en me faisant écrire par un domestique, tu me ferais un tel

bien ! Ce que je voudrais surtout savoir c'est 1° quelle

cause

et quel

nom

le médecin donne à ce que tu

as, et

quelle durée

il lui assigne encore. 2° Si la fièvre est définitivement tombée (quelle température

rectale). 3° Si tu te lèves, si tu t'alimentes, si tu dors. 4° Si tu t'ennuies.

M

ON

CHER

L

OUIS

, D

IEU

SAIT

SI

JE

SUIS MALHEUREUX QUE

TU

SOIS MALADE

,

et surtout je sais comme toutes tes préoccupations doivent

doubler tes souffrances. Mais si tu pouvais

utiliser

ta maladie, pour prendre

le premier repos

que tu

aies pris depuis des années, ce ne serait qu'un demi-mal.

L'

HOMME N

'

AYANT

JAMAIS CINQ MINUTES DEVANT

LUI QUE TU ES

,

M

'

EFFRAYE PARFOIS

.

Cela, joint aux préoccupations, est quelque chose à quoi nul organisme

ne résiste. Si, ce repos forcé, tu savais intelligemment l'utiliser, en te reposant. Mais je sens que tu dois

être au moins en esprit plus affairé que jamais. Et d'ailleurs je le comprends. Mais ce qu'il faut c'est

vite guérir. Et après, tâcher d'avoir une vie un peu plus

détendue

. Pense, mon cher Louis (je dis pense,

pour te décider à me faire donner de tes nouvelles) que moi qui ne pense qu'à toi, je te sais malade et ne

sais rien de toi. Je n'ose écrire pour en demander à ta femme, car elle a la bonté de me répondre et je sens

toute mon indiscrétion alors. Toi, je tremble de te fatiguer. N'y a-t-il pas un domestique intelligent qui

pourrait me donner quelques détails ? De tout mon cœur à toi...

»