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56

V

OICI

LE

BROUILLON

QUI ME

SEMBLE

CONVENABLE

.

Si on te posait des colles et te demandait d'où vient

l'expression "le triste avantage",

RAPPELLE

-

TOI QUE C

'

EST DANS LE

SONNET D

'O

RONTE DU

M

ISANTHROPE

:

"L'espoir, il est vrai, nous soulage,

Et

[nous]

berce, un temps, notre ennui :

Mais, Philis, le

triste avantage,

Lorsque rien ne marche après lui"

... J'avais mille choses à te dire mais suis encore brisé de ma crise. Bien tendrement à toi...

J

E

N

'

AI

PAS

OSÉ METTRE

"

L

'

ARTICLE

DE MON

AMI

M

ARCEL

P

ROUST

"

MAIS

CELA

AURAIT

PEUT

-

ÊTRE

ÉTÉ

LE

PLUS

FRANC

.

En tout cas je crois que, comme cela, cela va bien. Tu feras d'ailleurs toutes les modifications que tu

jugeras utiles.

"Cher Monsieur

[Gaston Calmette]

, vous avez bien voulu insérer une première fois sous votre

rubrique : "Le scandale téléphonique", mes doléances contre une administration qui en prend vraiment

trop à son aise avec les malheureux contribuables. Il ne s'agit pas cette fois des demoiselles du téléphone,

de celles que l'autre jour, M. Marcel Proust appelait les "Déesses sans visage" et les "Filles de la nuit"

[allusion aux Furies, extraite de l'article de Proust]

. Son article a eu beaucoup de succès ici, et

on s'est arraché ce jour-là le

Figaro

plus encore que de coutume. Nous ne disons plus "je vais vous

téléphoner", mais "je vais demander aux Vierges laborieuses

[expression peut-être empruntée à

Jules Michelet dans

L'Insecte

]

de me donner votre numéro" et plus souvent hélas les "Jalouses Furies"

ne veulent rien savoir.

Mais aujourd'hui, c'est de l'administration centrale que j'ai à me plaindre. J'ai le triste avantage d'être

titulaire de deux numéros d'appel... Vers la fin de 1906, j'allai rue de Grenelle m'enquérir de ce qu'il

y avait à faire pour obtenir le transfert de ces deux postes téléphoniques dans deux autres locaux où

j'allais emménager. Là on m'expliqua que l'administration laissait le choix, comme entre deux maux

fort graves, entre le transfert proprement dit et le réabonnement... Je me suis décidé pour le transfert

indiqué comme le moindre mal... Pour le second poste téléphonique... le transfert n'est pas effectué

à l'heure qu'il est plus de trois mois après ! Trois mois de démarches incessantes de ma part, trois

mois d'incessantes allées et venues et de travaux d'ouvriers téléphoniques à mon ancien comme à mon

nouveau domicile. Mais si tout cela est insupportable, c'est si courant que je ne vous aurais pas écrit

pour si peu. Voici où la beauté commence. J'ai reçu le 18 mars l'avis de versement au 1

er

avril pour mes

deux contrats, sous peine de me voir "priver d'office de communications" (châtiment tout platonique

d'ailleurs, puisque ces communications, je ne les ai pas et que le 2

e

transfert pour lequel je dois payer

n'est pas effectué. Conclusion : l'État, non content de m'avoir pris mon argent sans avoir fait mon

service, pendant un trimestre entier, prétend continuer par la suite à se faire payer un service qu'il ne

fait pas. Et on ose parler de racheter les chemins de fer qui eux remboursent tout versement non dû.

J'aurais voulu vous dire tout cela par le téléphone pour faire entendre ces vérités à l'instrument de mon

supplice. Mais les "Servantes irritées" du mystère ne m'ayant pas donné "le vénérable inventeur de

l'imprimerie" comme M. Marcel Proust appelle Gutenberg

[autres citations de l'article de Proust,

Gutenberg étant le nom d'un central téléphonique de Paris]

, j'ai eu recours à cette lettre que je

vous demande de publier pour l'édification de ses lecteurs, et à laquelle vous me permettrez de joindre,

Monsieur le directeur, l'assurance de mes sentiments les meilleurs. Marquis d'Albufera

»