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HISTOIRE POSTALE

104

ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY (1900-1944)

Lettre à un otage

, du Portugal à New York : manuscrit

autographe raturé et corrigé. [Vers 1941].

6 p. et demie sur 7 f. in-4 (26,9 x 20,9 cm) de papier pelure

ocre, encre noire, foliotation partielle autographe (2-5).

12 000 / 15 000 €

PRÉCIEUX MANUSCRIT INÉDIT DU PREMIER CHAPITRE DE

LETTRE À UN OTAGE

.

Notre manuscrit, qui présente une version plus détaillée que celle

publiée (Œuvres complètes, II, Bibliothèque de la Pléiade, 2009, p.

89-92), est un important complément de celui qui est conservé à la

Smithsonian Institution, à Washington, d’autant plus que du premier

chapitre de ce « véritable poème symphonique » (F. Gerbod) ne sont

connus que des manuscrits et dactylographies peu élaborés.

« Mais le Portugal essayait de croire au bonheur, et lui laissait son

couvert à sa table et ses lampions, et sa musique. Dès le premier

soir j’y dînai à bord d’une caravelle. Et tout était si plein de goût,

si plein de tact, cette exposition était si mesurée, si pleine de goût

si charmant, si visiblement aimé par ceux qui l’avaient faite. Et qui,

me semblait-il avait désiré dire au monde “voyez la qualité de notre

sourire, et notre passé non trahi, voilà notre visage.” Et cette musique

répandue disait, cette musique et non ce tintamarre, et qui faisait un

bruit dans le cœur. Mais je retournais le soir à Estoril où j›allais jeter

un coup d’œil sur mes fantômes. Toujours là autour des croupiers,

qui remuaient des symboles vides. Et la mer poussait dans le golfe

sa dernière vague molle et toute luisante de lune, comme une robe

de traîne hors de saison. Une fois de plus je me disais : la guerre…

Ce n’est point la mort qui est tragique. La mort n’est rien si j’ai où

loger mes morts. Mais on fait craquer mon armature. On veut me

forcer d’habiter une grande maison vide. On me découd de mon

sens de la vie. Je me réveille et ne reconnais pas les murs. Je

me réveille et ne reconnais pas le balancement de l’arbre. Je me

réveille et je ne reconnais pas les pas des servants... […] Puis j’ai

voyagé sur le Siboney. Un bateau tragique parce qu’il poussait sur

un autre continent ceux auxquels on demandait de recommencer

d’exister. Je me disais : je puis bien être un voyageur ; non un

émigrant. Je n’ai plus la force. J’ai appris des tas de choses quand

j’étais petit. [… ] C’était encore tout chaud tout frais tout vivant.

Tu sais comme les souvenirs d’amour. On refait bien son paquet

de lettres, on y attache une ficelle rose. On conserve une fleur

tombée. Et tout ça développe un charme mélancolique. Puis on

rencontre une blonde aux yeux bleus et tout ça meurt. [… ] Tout ça

allait leur apparaître si loin… il faut croire qu’on va revenir. [… ] »

PROVENANCE :

Vente anonyme à Paris, le 16 mai 2012, lot 386

Quelques petites taches ; quelques déchirures et pliures

marginales