22
les collections aristophil
56
JEAN MERMOZ (1901-1936)
« L'École » : manuscrit autographe, raturé et corrigé. [Vers
1927-1928].
16 p. un quart sur 9 f. in-4 (24,2 x 21 cm) de papier vergé fin
extraites d’un bloc, encre noire et bleue.
30 000 / 40 000 €
TRÈS BEAU RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE DE MERMOZ
dans
lequel il raconte son arrivée et son installation à l’école d’aviation
militaire d’Istres, en octobre 1920, sa première leçon de pilotage,
son apprentissage et son premier vol en solitaire (« Je sentais à cette
minute que mon âme devenait celle de l’appareil et que mon corps,
scellé en quelque sorte au siège n’existait plus que pour obéir à sa
volonté et la transmettre à la machine. Maître de moi-même, je me
sentis avec une secrète joie, capable de tout dominer et c’est avec
le plus grand sang-froid que je tirai les manettes des gaz. ») jusqu’à
sa première veillée funèbre après la mort accidentelle d’un pilote et
de ses deux mécaniciens.
« L’arrivée à Istres. Un soir d’octobre de l’année 1920, je posais
le pied pour la première fois sur le sol de Provence et cela sans
hésitation aucune : je me sentais l’âme d’un conquérant et de
fait, mon affectation d’élève-pilote à l’École d’Aviation d’Istres me
donnait suffisamment d’importance, à mes yeux, pour qu’il en
fût ainsi. À terre, près du wagon qui m’avait amené je cherchais
du regard dans l’obscurité naissante l’emplacement de la gare. Il
bruinait. Le mistral sifflait dans les branches des oliviers alentour.
La morne désolation qui se dégageait du paysage sentant l’herbe
mouillée et suintant la tristesse fit que ma belle humeur se changeât
subitement en une impression pénible de découragement. […]
Un bruit de pas m’ayant tiré de ma rêverie, je me retournai et vis
deux militaires portant chacun sur leurs épaules une cantine se
diriger vers mois. L’un d’eaux ronchonna : “Quel sale pays.” Ce à
quoi l’autre répondit : “C’est ça l’Midi”. M’ayant reconnu à mon
uniforme, l’un d’eaux s’arrêta et me demanda : “Pourrais-tu me dire
où se trouve l’Aviation ?”. “Je n’en sais rien, dis-je, je débarque
aussi.” “Ah ! tu viens comme élève-pilote ?” “Oui ! Et toi ?” “Moi
aussi”“Moi aussi, prononça son camarade.” Une poignée de mains
scella notre connaissance. Je retrouvai aussitôt mon énergie et
plein d’un renouveau de courage, je chargeai lestement ma cantine
sur l’épaule et nous nous dirigeâmes vers une maisonnette qui se
trouvait être la gare elle-même. Après avoir demandé le chemin de
l’Aviation à l’employé nous nous mîmes en marche. “À quelques 3
kilomètres de là vous trouverez le camp !” nous avait-on renseigné.
Le mistral hurlait. Nous allions contre le vent, peinant sous notre
charge qui semblait s’alourdir à chaque pas. Et puis ce fut la Crau,
une sorte de désert gémissant sous le vent, peuplé d’oliviers et
de pins rabougris, se découpant en noirs squelettes sur l’horizon
grisâtre. Nous ne disions rien, courbés sous les rafales, sautant les
ornières de la route défoncée et interminable. […] »
PROVENANCE :
Vente anonyme à Paris, le 11 octobre 2008, lot M22
Quelques déchirures marginales atteignant légèrement le texte ;
quelques petites taches et traces de rouille ; quelques pliures