les collections aristophil
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ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY
(1900-1944)
Correspondance illustrée à une jeune
femme : manuscrit autographe signé
et aquarelles originales. [Avril 1943-
mai 1944].
11 p. sur 11 f. in-4 (28 x 21,6 cm) de
papier pelure américain « Esleeck
Fidelity Onion Skin », encre bistre
et aquarelle, foliotation partielle
autographe (IV et VI).
150 000 / 200 000 €
EXCEPTIONNELLE CORRESPONDANCE
D’ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY À UNE
JEUNE FEMME, ILLUSTRÉE D’AQUARELLES
REPRÉSENTANT LE PETIT PRINCE
:
4 pages
manuscrites, 2 pages manuscrites illustrées à
l’aquarelle, une page composée de 3 bandes
montées par collage portant chacune un
dessin aquarellé et 4 aquarelles à pleine page.
Cette correspondance, vraisemblablement
la dernière que Saint Exupéry eut avant sa
disparition, nous montre un poète tourmenté
par un amour impossible, se réfugiant dans
la peau de son plus célèbre héros… En avril
1943, en effet, alors que son
Petit Prince
sort en librairie à New York, Saint Exupéry
est autorisé à reprendre du service actif
en Afrique du Nord. Un jour, dans le train
qui l’emmène d’Oran à Alger, il rencontre
une jeune femme de 23 ans, officier dans
l’armée française et ambulancière pour la
Croix-Rouge, originaire de l’Est de la France
et mariée. Il tombe immédiatement sous son
charme et la fréquente pendant plus d’une
année, mais sans jamais la séduire… Ne reste
de cet amour mystérieux que cette magni-
fique correspondance – partiellement détruite
lors d’un pillage et aujourd’hui incomplète
d’une page manuscrite illustrée – d’une ten-
dresse enfantine, d’une immense tristesse et
d’une cruelle mélancolie, malgré le charme
des dessins qui l’illustrent.
« De maintenant cinq heures du soir jusqu’à
l’heure où je m’endormirai je suis seul, parce
que j’ai dit à tous mes amis que j’étais fatigué
et que je ne voulais voir personne. La petite
fille pour laquelle j’ai si soigneusement
réservé ce temps libre n’a même pas pris la
peine de téléphoner qu’elle ne venait pas. Je
découvre avec mélancolie que mon égoïsme
n’est pas si grand puisque j’ai donné à autrui
le pouvoir de me faire de la peine. Petite
fille il est tendre de donner ce pouvoir. Il est
mélancolique d’en voir user. Les contes de
fées c’est comme ça. Un matin on se réveille.
On dit : “ce n’était qu’un conte de fées…”.
On sourit de soi. Mais au fond on ne sourit
guère. On sait bien que les contes de fées
c’est la seule vérité de la vie. L’attente. Les pas
légers. Puis les heures qui coulent fraîches
comme un ruisseau entre les herbes sur des
cailloux blancs. Les sourire, les mots sans
importance qui ont tellement d’importance.
On écoute la musique du cœur : c’est joli
joli pour qui sait entendre… Bien sûr on veut
beaucoup de choses. On veut cueillir tous
les fruits et toutes les fleurs. On veut respirer
toutes les prairies. On joue. Est-ce jouer ?
On ne sait jamais où le jeu commence i
où il finit. Mais on sait bien que l’on est
tendre. Et l’on est heureux. […] Il n’y a pas de
Petit Prince aujourd’hui, ni jamais. Le Petit
Prince est mort. Ou bien il est devenu tout à
fait sceptique. Un Petit Prince sceptique ce
n’est plus un Petit Prince. Je vous en veux
de l’avoir abîmé. Il n’y aura plus de lettre
non plus, ni de téléphone, ni de signe. Je
n’ai pas été très prudent et je ne pensais
pas que peu à peu je risquais là un peu de
peine. Mais voilà que me suis blessé au
rosier en cueillant une rose. Le rosier dira :
quelle importance avais-je pour vous ? Moi
je suce mon doigt qui saigne comme ça, un
peu, et je réponds : aucune, rosier, aucune.
Rien n’a d’importance dans la vie. (Même
pas la vie.) Adieu, rosier. […] »
Les 10 aquarelles illustrant ces lettres, dont
4 à pleine page, vraisemblablement parmi
les dernières que peint Saint Exupéry avant
sa disparition, constituent l’une des plus
importantes illustrations connues du Petit
Prince, en dehors de celle qui aboutit à la
publication du conte.
PROVENANCE :
Vente anonyme à Paris, le 29 novembre
2007, lot 239
Quelques brunissures et taches ; quelques
petites déchirures et pliures marginales ;
quelques trous d’épingle angulaires