les collections aristophil
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ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY
(1900-1944)
Appel à l’entrée en guerre de l’armée
américaine : manuscrit autographe
raturé et corrigé. [Avant novembre
1942].
2 p. et demie sur 3 f. in-4 (27 x 21,6
cm) de papier ocre, encre noire,
foliotation autographe (a-c).
10 000 / 15 000 €
Texte virulent de Saint Exupéry à l’adresse
du peuple américain, exhortant celui-
ci à intervenir pour sauver la France du
nazisme. C’est une condamnation sans
appel : les Américains ont la clef à portée
de main, mais refusent de la saisir.
« Je sors de l’exposition de l’art français.
J’en sors avec colère. Cézanne, Van Gogh,
Renoir, mes contemporains, mes frères.
[…] Je n’ai rien entendu, jamais de plus
naziste : nous ne permettons pas de vivre à
ceux qui ne pensent pas comme nous ! Ne
dites point que ce n’est pas votre affaire.
Car vous tenez les clefs. On ne choisit
pas les clefs que l’on tient. Si l’un de mes
enfants se noie devant mes yeux ce n’est
point mon affaire. Ce n’est point ma faute
si je détiens la clef de lui tendre les bras
et de le sauver. Et pourtant cette clef dont
je n’ai point choisi que Dieu brusquement
me la mette en main, je n’ai point le droit
de l’ignorer. Elle m’est tombée comme un
héritage parce que je suis homme. Si ce
n’est point cela être homme je voudrais
bien que vous m’expliquiez ce que vous
appelez une civilisation. Et particulièrement
une civilisation chrétienne. […] Être homme
c’est être responsable. Et dans la mesure
où je suis homme je suis responsable du
sort des hommes. […] Nous pensions mourir
- et je me suis battu - et j’ai refusé pour
me battre d’aller vivre pendant la guerre la
vie heureuse et en tous cas en sécurité des
États-Unis. […] Nous avons perdu dans mon
groupe dix sept équipages sur vingt trois.
J’ai accepté dix sept chances sur 23 de
laisser les os dans cette histoire. Et puisqu’il
faut, dans ce pays, obligatoirement, que
l’on soit agent de quelque chose, j’étais
agent de l’homme. Je ne comprends que
la réalité de la pensée et de l’action. […] Et je
reconnais un homme dans l’homme même
s’il ne pense pas comme moi. Autrement
ce n’est pas l’homme que je vénère, c’est
moi. Et cela est de secte barbare. Et la vie
de l’homme si j’en tiens la clef dans mes
mains alors j’en suis responsable. Je n’ai
point le libre choix de mes devoirs. Ce
serait trop facile. Je pense qu’il y a même
là une définition cachée du devoir : le
devoir c’est ce que l’on ne choisit pas. […]
Moi je vous présente le passé pour vous
faire toucher l’avenir. Moi je vous dis cette
exposition de l’art français, cette lumière,
voici que vous tenez la clef de cette
lumière, voici que vous tenez dans les
mains le pouvoir d’empêcher de sombrer
le navire qui charrie de tels trésors. Pasteur
a sauvé plus de vies humaines qu’aucune
armée. […] Il y a quelque part un Pasteur
enfant qui crève de faim, un […] enfant qui
crève de faim, un Renoir enfant. Il y a un
navire qui sombre et vous le regardez
sombrer parce que vous n’aimez pas le
capitaine ! […] Et pourtant vous êtes grand,
vous avez un président dont je n’ai jamais
lu que de hautes paroles ! Vous êtes
généreux. […] Si un enfant se noie à ma
portée et que je détourne les yeux, c’est
moi qui l’assassine. »
PROVENANCE :
Vente anonyme à Paris, le 16 mai 2012,
lot 389
Quelques petites taches et pliures ;
quelques accrocs marginaux