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histoire
je pusse être à portée des secours de l’art, et jouir un peu d’exercice,
surtout de celui du cheval qu’on regarde comme l’unique remède à
mes maux s’il en est encore »… Il le prie de croire que ces bontés le
lieraient encore plus fortement à ses deux familles et l’obligeraient :
« Je vous demande la vie, et je vous jure de l’employer à votre gré »…
provenance
Collection Philippe ZOUMMEROFF,
Crimes et châtiments
(16 mai
2014, n° 85).
1388
MIRABEAU Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de
(1749-1791) le grand orateur des débuts de la Révolution.
L.A., Lundi matin [juin 1784], à
CHAMFORT
; 3 pages et demie
in-4.
1 300 / 1 500 €
Très belle lettre de Mirabeau au moraliste Chamfort
.
Il a eu un accès de fièvre sans gravité : « toute fievre chez moi est
nervale. Au reste le corps est bon, et si bon que les secousses
physiques ne l’effleurent pas même ; mais le mal moral, les angoisses,
les dénis de justice, l’amitié blessée ou trompée, les choses qui
m’affligent ou m’indignent trouvent le défaut de la cuirasse. Partout
ailleurs qu’au cœur, je suis invulnérable »… Il a un nouveau logement
rue de la Roquette : « Depuis que j’habite les faux-bourgs, et que
je suis en vue de la Bastille, l’inquisition dédaigne mes lettres. […].
N’avez-vous pas peur, mon Ami, que sous les créneaux et machicoulis
de la bastille, je ne change beaucoup d’opinions, de principes et de
style ? Ma première lettre de cachet a fait naître un ouvrage sur la
Corse qui pour l’âge de dix sept ans où il a été écrit, vous paroîtroit
un singulier hommage à la liberté. La seconde m’a fait écrire l’essai
sur le Despotisme. Vous savez ce que les autres ont produit. En
vérité, je crois qu’il est raisonnable qu’ils me laissent en repos ; car
si jamais quelqu’un eut des symptômes d’impénitence finale, c’est
moi. – Mais vous, vous l’élève des arts et des théâtres ; vous à qui
la nature avoit donné tous les genres d’esprit, mais non pas tous les
goûts ; vous qu’elle avoit entouré et pénétré de séductions ; que vous
ayiez conservé avec les graces d’Epicure, le caractère de Caton ; que
vous ayiez deviné la liberté, à Paris et à Versailles, que vous l’ayiez
conquise ; que vous ayiez créé la vraie, la pure, simple et substantielle
philosophie du citoyen ; c’est un phénomène auquel je ne suis pas
encore accoutumé »…
Il ira dîner chez
ASPASIE
[une maîtresse de Chamfort] : « j’y verrai plus
clair en sortant. Je sais déjà que certainement et très certainement
ses illusions n’appartiennent point à l’abandon de l’amour. […] Elle
parle abandon d’amour et d’ivresse quand il y a des tiers ; jamais en
tête à tête avec moi ; elle en parle et ne s’enivre que d’eau froide »…
Mais il s’ennuie du « métier de temporiseur », et il ne souffrira pas
« qu’un homme de mérite, qu’un homme fort, qu’un homme vertueux
qui, n’étant plus dominé par la fievre des sens ou de l’imagination,
ne pouvoit vouloir descendre à Aspasie que pour l’élever à lui, soit
la dupe d’une coquette. Si elle n’est que cela, il faut donc qu’elle soit
démasquée plutôt que plutard »...
Il encourage son ami dans son travail : « les deux anecdotes que vous
me racontez, toutes deux neuves et piquantes, me prouvent que la
traduction
est devenue votre pensée habituelle et que vous la portez
dans vos promenades et jusque dans vos lectures ». À propos de « la
théorie corruptive des idées féodales », il observe que « si le code des
bienséances féodales a corrompu jusqu’aux sentimens de la nature
en mêlant l’hommage dû au rang à l’expression du respect pour la
paternité, il a fait bien pis ; il a corrompu le respect dû à la paternité
en y substituant les égards du père pour le rang des enfans. Vous
en connoissez vingt preuves anecdotiques, et le foible de Turenne
pour l’aîné de sa maison étoit-il autre chose qu’une déviation de
l’absurdité monstrueuse que je vous dénonce ? » Il insérera cette
observation dans leur ouvrage, et attend ses notes et instructions
qu’il suivra « avec plus de soumission que Démocrite [Chamfort] ne
suit les miennes pour Aspasie »… Il engage Chamfort à venir le voir…
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