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les collections aristophil

littérature

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CHATEAUBRIAND FRANÇOIS-RENÉ DE (1768-1848)

2 L.A., Londres 26 et 27 avril [1822],

à la duchesse de

DURAS

 ; 4 pages in-8 et 6 pages in-4.

2 000 / 2 500 €

Deux lettres autographes, dont une longue et amusante sur ses

succès comme ambassadeur à Londres

.

Londres 26 avril

. « Je ne puis vous écrire qu’un mot aujourd’hui. […]

Aujourd’hui, jour de mon courrier ordinaire, je me suis levé à 6 heures

et je n’ai cessé d’écrire jusqu’à ce moment. Si le Roi et le ministère ne

sont pas contents de moi, qu’ils cherchent mieux. […] Je suis inquiet

des divisions qui commencent à se mettre entre les Royalistes. Ils

m’écrivent de tous les côtés des lamentations. Comment aussi ne

tient-on pas les paroles qu’on m’a tant de fois données et comment

ne replace-t-on pas Vitrolles, Castelbajac, Bertin de Veaux, Delalot,

Donnadieu, Agier, Canuel pour lesquels je ne cesse d’écrire. On

manquera les élections. La liste des présidents, à quatre ou cinq

noms près est absurde et platte. Ce n’est pas comme cela qu’on

gagnera la partie. Et quel moment ! pour tergiverser! Je suis fâché de

ne pouvoir rien vous dire, mais je ne suis pas à la paix. Mes affaires

personnelles vont toujours bien ici, si je ne me fais illusion. Je crois

avoir conquis les ministres. Du moins j’ai beaucoup appris d’eux »...

Samedi 27 avril

. « Je m’y prends de bonne heure pour pouvoir causer

plus longtemps avec vous. J’ai expédié mon courrier extraordinaire

jeudi, et mon courrier ordinaire vendredi. Aujourd’hui, samedi, j’ai

quelque repos jusqu’à demain qui amène la poste de Paris, et par

conséquent le retour des dépêches. C’est un terrible métier. Pour

commencer par la politique, je vous dirai […] que je crois avoir

communiqué au g[ouvernemen]t des faits importants ; et que Lord

LONDONDERRY

me traite avec une attention qui est remarquée

de tout le corps diplomatique. À Paris il paroit qu’on est content

de mes dépêches. Voilà des espérances pour le Congrès et pour

votre gendre [le duc de Rauzan]. J’attends toujours Lord

BRISTOL

[…] Quant à la France je suis inquiet des élections. La liste des pré-

sidents est platte à 6 ou 7 noms près. On ne fait rien pour les gros

royalistes que j’ai tant recommandés. Ce n’est pas le moyen de se

concilier les suffrages. Au reste j’ai écrit fortement à Villèle, Corbière

et Mathieu. Mais c’est une chose fâcheuse que tandis que je suis

obligé de soigner l’extérieur il faut encore que je surveille l’intérieur.

On n’écoute guères les gens d’outre mer »… Puis il raconte la récep-

tion du

Drawing-Room 

: « Les ambassadeurs ont passé devant le Roi

les premiers » ; il rapporte l’échange avec le Roi à propos de l’habit

du duc de

COIGNY

, avec une spirituelle allusion aux mémoires du

chevalier de Gramont… « Nous avons vû ensuite défiler cinq ou six

cent femmes, dont 450 au moins étoient charmantes, toutes vêtues

de robes françaises, toutes en toques et en plumes de Paris, toutes

parlant français : on n’entendoit pas quatre paroles angloises. Voici

un mot qui a fait fortune. Au moins ai-je dit au duc de

WELLINGTON

“il y a des conquêtes que l’Europe ne nous a pas enlevées : notre

langue et nos modes”. C’est une vraie rage pour la France, rien n’est

bien qu’en France, rien n’est

fashionable

qu’en France : John Bull

n’est plus ivre que de vin de Champagne. Vous aurez une idée de la

vie de Londres sur le moment, quand vous saurez que j’ai des invi-

tations de dîners, de bals et de

routs

jusqu’au 3 juin. J’ai été obligé

de refuser cinq ou six jours sur cette série, pour pouvoir placer mes

propres dîners, et mes concerts. Il est convenu que je donnerai des

concerts et qu’après on dansera, sans que cela soit un bal, mais une

sorte d’inspiration soudaine : ce sont toutes les grandes dames qui

ont décidé tout cela dans un conseil. Elles se sont emparé de l’hôtel

de l’ambassade ». La cantatrice

CATALANI

, qui a épousé un Français

et « est ici une véritable puissance », est venu le voir. « Voici ce qu’elle

m’a dit avec son accent italien : “

Je souis d’Italie et je n’aime pas la

vie de mon paayis. Il n’y a point de société et chacoune est avec

chacoune et quand comme moi on aime son mari, il n’y a rien à dire

ni à faire

” et puis tout à coup parlant du duc de

BERRY

 : “

Il n’

étoit

pas connou en France.

Moi, zé l’ai connu ce brave prince il venoit

dîner zé moi, sans cérémonie

” et de grosses larmes sont tombées

des yeux de la pauvre femme. Elle ne veut chanter chez personne,

mais elle viendra chanter chez moi parce

qu’elle aime la France et

Monsou Zatobriand

 »...

Correspondance générale

, t. IV, n

os

 1586 et 1588.

provenance 

vente

La duchesse de Duras et ses amis, Chateaubriand

(24 octobre

2013, n° 99).

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CHATEAUBRIAND FRANÇOIS-RENÉ DE (1768-1848)

2 L.A., [Londres] 4 et 6 juin 1822,

à la duchesse de

DURAS

 ; 5 pages in-4 et 4 pages in-8.

2 000 / 2 500 €

Belles lettres sur le roman

Édouard

de Madame de Duras, et sur

la politique

.

4 juin 1822

. « La note sur

Édouard

est très inutile. D’ailleurs est-ce

que vous comptez imprimer ? Vous ne me dites pas tout. Vous

êtes un peu honteuse de votre foiblesse. Vous lisez assez souvent

Édouard

que vous ne deviez montrer à personne. Vous l’avez lu à

M

de

de

DINO

, et à M

de

de

VINTIMILLE

. Frisel y étoit. Prenez garde

à M

de

de Dino ; je ne vous la voudrois pas pour amie. Quant à M

de

de Vintimille, c’est une femme d’esprit que j’ai beaucoup connue ;

mais vous, vous la connoissez à peine et votre confiance me paroît

extraordinaire. Je ne sais aussi comment vous avez pu envoyer

votre manuscrit à une personne aussi aigre et aussi moqueuse que

M

de

de

MONTCALM

. Mais je reconnais là toutes les foiblesses que

j’ai eues moi-même ; quand vous serez comme moi un vieil auteur,

vous prodiguerez moins votre talent et vos ouvrages ». Il voit « avec

joie la saison s’avancer : dans un mois je serai débarrassé des dîners

et des bals. Je vous avoue que c’est un supplice auquel je ne puis

m’accoutumer mais enfin le temps de la délivrance approche. On fait

déjà des préparatifs de départ, et dans un mois Londres sera désert

pour 8 mois. Que deviendrai-je ? Dieu le sait, mais si je suis seul, je

tacherai de travailler un peu en cas que la politique le permette et

qu’il faille renoncer au congrès ». Il n’a « jamais douté du succès des

élections, parce que j’ai constamment été persuadé que le fond de

l’opinion est excellent en France. La rage du vieux ministère doit être

à son comble. L’amour-propre en France est le mobile de tout, or

des gens qui avaient toujours dit et toujours cru que rien ne pouvoit

aller sans eux, doivent être furieux de voir les choses marcher sous

des Royalistes. C’est le plus cruel démenti donné à leur vanité et à

leurs doctrines. Ils tenteront tout pour renverser un ministère qui

blesse si fort leur orgueil. Mais ils ne réussiront pas ; je l’ai dit dès

le premier moment, et par une raison toute simple, toute naturelle,

c’est que ce ministère appartient à une

opinion

et que cette opinion

le porte et le soutient quoiqu’il n’ait ni grands talents, ni grands

caractères. Le ministère actuel est fort comme le sens commun ;

et il ne peut être renversé que par une catastrophe. Les intrigues

et l’humeur n’y feront rien. Il suffit qu’il sache garder sa majorité et

qu’il ait assez d’esprit pour empêcher une division dans la droite ».

Il attend « avec impatience les nouvelles de l’Orient. Dans huit jours

la question de la paix ou de la guerre sera décidée ». Il achève la

lecture des

Mémoires

de Benvenuto

CELLINI

 : « Quel brigand ! Le

dîner avec Michel-Ange m’a charmé. La prise de Rome est curieuse

comme morceau d’histoire »...

Jeudi 6 juin

. Il part pour Windsor, « où je suis invité à aller dîner et

coucher chez le Roi. Vous voyez que ma faveur augmente ». Il cri-

tique la nomination de l’abbé

FRAYSSINOUS

 : « J’ai dit à Mathieu [de

MONTMORENCY

] que l’on diroit que c’est un choix de la Congrégation

dont lui (Mathieu) est un des chefs. Vous voyez que je ne cache pas

la vérité, que je la pousse jusqu’à blesser, lorsque cela est néces-

saire. S’ils se perdent je n’aurai rien à me reprocher. Les 30 millions

découverts et expliqués par

VILLÈLE

lui feront honneur. Ne regrettez

pas le pauvre

RICHE

[

LIEU

] et ses ministères. Ces gens-là ont été aussi

méchants qu’ils étoient incapables. Leur rage actuelle ne vient que de

leur amour-propre humilié et de la preuve acquise que les Royalistes

peuvent gouverner et administrer la France tout aussi bien et mieux

que les serviteurs et les valets de Buonaparte. Je n’ai qu’une crainte,

qu’une seule crainte ; une division dans le côté droit.

DELALOT

doit

être très mécontent.

BERTIN DE VEAUX

, qui l’inspire et lui donne

les idées qu’il n’a pas, est aussi très peu satisfait ; La Bourdonnaye,

Donnadieu, Bouville sont emportés ou hargneux ; mon ami

LAINÉ

a

une ambition rentrée et un amour-propre rentré. Voilà les éléments

du mal. Quant au côté gauche il n’est pas du tout à craindre. Mais si

Villèle passe cette session, il est à jamais sauvé »...

Correspondance générale

, t. IV, n

os

 1663 et 1667.

provenance 

vente

La duchesse de Duras et ses amis, Chateaubriand

(24 octobre

2013, n° 104).

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CHATEAUBRIAND FRANÇOIS-RENÉ DE (1768-1848)

L.A.S. « de Ch », Gand 5 juin 1815,

à John Fraser FRISELL : 3 pages in-4 (bords légèrement

brunis, petites fentes aux plis réparées).

1 000 / 1 500 €

Belle lettre de Gand où Chateaubriand a suivi Louis XVIII pendant

les Cent Jours

.

Il n’a pas un moment à lui ; sa femme a été très malade, « et c’est

encore assez pour m’inquiéter. Puis j’ai eu beaucoup de travail, et

des soucis de toute espèce. Il n’y a que mon amour réel pour le Roi

et pour la France, qui ait pu m’engager à les servir dans ce moment.

Mais il est temps que cela finisse, car je suis un peu las. Au reste

quant à ma position politique, vous savez que je suis dans le Conseil

du Roi, mais jusqu’ici sans titre, et sans fonction déterminée. J’ai

seulement ordre de

parler

au Roi de

l’intérieur

 : cela veut-il dire

que si nous retrouvons jamais un

intérieur

, on me chargera de ce

ministère ? Je n’en sais rien et je ne le crois pas. On attend M. de

TALLEYRAND cette semaine ; c’est lui qui doit tout régler : ce qu’il

y a de certain, c’est que je suivrai son sort. Je suis bien

noir

, mon

cher ami, et si vous étiez ici vous en verriez bientôt la cause : nous ne

nous sommes corrigés sur rien ; et, si nous n’y prenons pas garde,

nous périrons sans retour. L’Autriche m’a offert une retraite et une

existence honorable ; cela sera ma dernière ressource, en cas d’évé-

nement. J’irai mourir à Rome, et peut-être je vous y verrai. Je suis

charmé que vous travailliez. Vous êtes le seul anglois qui connoissiez

bien la France ; et vous aurez très certainement un grand succès qui

pourra vous être utile. Si nous prospérons, vous savez combien je

vous suis tout dévoué ».

Puis il évoque la réimpression londonienne de son

Essai sur les

révolutions

[il y eut deux éditions concurrentes, et incomplètes] :

« D’abord cela m’a un peu fâché ; j’ai donné ordre de poursuivre ;

puis j’ai pris le parti de laisser tout cela là. Désormais ces chicanes

littéraires ne me peuvent plus rien ; et elles tombent d’elles-mêmes ».

Il ajoute enfin (quinze jours avant Waterloo) : « Les hostilités ne

commencent pas avant la fin du mois ; époque à laquelle les Russes

seront en ligne. Ce retard fait bien du mal à la France et augmente

les difficultés de tous genres que nous avons à combattre »…

Correspondance générale

, t. III, n° 686 (texte inexact).

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