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les collections aristophil
littérature
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BOILEAU-DESPRÉAUX NICOLAS
(1636-1711)
L.A.S. « Despreaux », Paris 10
novembre 1699, à son ami Claude
BROSSETTE ; 2 pages in-4, montées
sur papier fort.
10 000 / 12 000 €
Superbe lettre sur la mort de RACINE et
le
Télémaque
de FÉNELON
.
Il est fort honteux d’avoir tardé à le remercier
de ses magnifiques présents et de ses lettres
plus agréables encore, « mais si vous scaviés
le prodigieux accablement d’affaires que
ma laissé la mort de M
r
RACINE vous me
pardonneriés sans peine et vous verriés bien
que je n’ay presque point de temps a donner
a mon plaisir c’est a dire a vous entretenir
et a vous escrire »... Il félicite Brossette sur
sa préface au livre des
Conférences
, puis
dit son plaisir de recevoir « Le Télemaque
de M
r
De Cambray [FÉNELON]. Je l’avois
pourtant déjà leu. Il y a de l’agrément dans
ce livre, et une imitation de l’Odyssée que
j’approuve fort. L’avidité avec lequel on le lit
faict bien voir que si on traduisoit Homere
en beaux mots il feroit l’effect qu’il doit faire
et qu’il a toûjours faict. Je souhaitterois que
M
r
De Cambray eust rendu son Mentor un
peu moins prédicateur et que la morale
fust respandue dans son ouvrage un peu
plus imperceptiblement et avec plus d’art.
HOMERE est plus instructif que lui mais ses
instructions ne paroissent point préceptes
et resultent de l’action du Roman plutost
que des discours qu’on y estale. Ulysse par
ce qu’il faict nous enseigne mieux ce qu’il
faut faire que partout ce que lui ni Minerve
disent. La verité est pourtant que le Mentor
du Telemaque dit des choses fort bonnes
quoiqu’un peu hardies et qu’enfin M
r
De
Cambray me paroist beaucoup meilleur
Poete que Theologien de sorte que si par
son livre des
Maximes
il me semble très peu
comparable a S. Augustin je le trouve par
son Roman digne d’estre mis en parallele
avec Heliodore. Je doute neanmoins qu’il
fust d’humeur comme ce dernier a quitter
sa mitre pour son Roman. Aussi vraisembla-
blement le revenu de l’Evesché d’Heliodore
n’aprochoit guere du revenu de l’Archevesché
de Cambray »...
Œuvres complètes
, Bibl. de la Pléiade, p. 638.
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BOILEAU-DESPRÉAUX NICOLAS
(1636-1711)
L.A.S. « Despreaux », Paris 30 juillet
1706, [à Adrien-Maurice, duc de
NOAILLES] ; 3 pages in-4 (pli intérieur
renforcé).
8 000 / 10 000 €
Superbe lettre sur sa
Satire
XII sur
l’Équi-
voque
, qui ne sera publiée qu’après sa
mort, et sur la glorieuse conduite du duc
au siège de Barcelone
.
[La
Satire
XII
sur l’Équivoque
fut composée en
1703-1704 en riposte à un article du
Journal
de Trévoux
accusant Boileau de piller les
auteurs satiriques latins. D’inspiration jan-
séniste, cette satire s’en prend aux Jésuites.
Fort du soutien du cardinal de Noailles et du
chancelier Pontchartrain, Boileau tenta à plu-
sieurs reprises de publier
l’Équivoque
, mais
Louis XIV, sur le conseil de son confesseur le
père Le Tellier, en interdisit l’impression. Elle
ne parut qu’après la mort de Boileau dans
une édition clandestine, puis en 1716 dans
l’édition des
Œuvres complètes
.]
« Je ne scay pas Monseigneur sur quoy
fondé vous voulés qu’il y ayt de l’equivoque
dans le zele et dans la sincère estime que j’ay
toujours faict profession d’avoir pour vous.
Avés vous donc oublié que votre cher Poete
n’a jamais esté accusé de dissimulation,
Et
qu’enfin sa candeur
, c’est lui mesme qui le
dit dans une de ses Epistres,
seule a faict
tous ses vices
». S’il ne lui a pas donné de
nouvelles de son dernier ouvrage [sa
Satire
XII], c’est qu’il ne voulait pas l’importuner
pendant le siège de Barcelone : « croiés
vous qu’au milieu des grandes choses dont
vous estiés occupé devant Barcelone parmi
le bruit des canons des bombes et des
carcasses mes Muses dûssent vous aller
demander audience pour vous entretenir
de mon démeslé avec l’Equivoque et pour
sçavoir de vous si devois l’appeller
maudit
ou maudite
». Il lui dit qu’il l’a achevée immé-
diatement aprés son départ ; « Que je l’ay
ensuitte récitée a plusieurs personnes de
merite qui lui ont donné des eloges auxquels
je ne m’attendois pas Que Msgr le Cardinal
de Noailles surtout en a paru satisfaict et
m’a mesme en quelque sorte offert son
approbation pour la faire imprimer mais que
comme j’y attaque a face ouverte la Morale
des mechans Casuistes et que j’ay bien prévû
leclat que cela alloit faire je n’ay pas jugé a
propos
meam senectutem horum sollicitare
amentiâ
et de m’attirer peutestre avec Eux
sur les bras toutes les furies de l’Enfer ou ce
qui est encore pis toutes les calomnies de...
Vous m’entendés bien Monseigneur. Ainsi
j’ay pris le parti d’enfermer mon ouvrage qui
vraisemblablement ne verra le jour qu’après
ma mort. Peutestre que ce sera bientost
Dieu veuille que ce soit fort tard. Cependant
je ne manquerai pas des que vous serés a
Paris de vous le porter pour vous en faire
la lecture »...
Puis sur le siège de Barcelone : « Cest avec
une extreme plaisir que j’entens tout le
monde ici vous rendre justice sur l’affaire
de Barcelone ou lon pretend que tout auroit
bien esté si on avoit aussi bien fini que vous
aviés bien commencé. Il n’y a personne qui
ne loüe le Roy de vous avoir faict Lieutenant
general et des gens sensés mesmes croient
que pour le bien des affaires il n’eut pas
esté mauvais de vous eslever encore a un
plus haut rang. Au reste cest a qui vantera
le plus l’audace avec laquelle vous avés
monté la tranchée apeine encore gueri de
la petite verole et approché dassés pres les
Ennemis pour leur communiquer vostre mal
qui comme vous scavés s’excite souvent par
la peur. Tout cela Monseigneur me donneroit
presque l’envie de faire ici vostre eloge dans
les formes mais comme il me reste trés peu
de papier et que le Panegyrique n’est pas
trop mon talent », il se hâte de l’assurer de
son trés grand respect…
Œuvres complètes
, Bibl. de la Pléiade, p. 829.