Previous Page  126-127 / 276 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 126-127 / 276 Next Page
Page Background

124

125

les collections aristophil

littérature

141

GRIMOD DE LA REYNIÈRE ALEXANDRE-BALTHAZAR-

LAURENT (1758-1838).

4 L.A.S. « Grimod De la Reyniere » puis « GDLR », Béziers

1790-1791, à Adélaïde-Thérèse FEUCHÈRE, à Lyon ; 3

pages in-4 chaque avec adresse, remplies d’une écriture

très serrée, numérotées 18, 38, 44, 49, adresses (petites

déchirures par bris de cachet).

1 500 / 2 000 €

Belles lettres d’amour et d’érotisme du célèbre écrivain gastro-

nome à sa maîtresse.

[Grimod a fait connaissance en 1790 à Lyon, où il avait ouvert un

magasin d’alimentation et d’étoffes, d’une charmante comédienne,

Adélaïde-Thérèse FEUCHÈRE (1764-1845), qui deviendra vite sa

maîtresse et lui donnera une fille (morte en 1793) ; il l’épousera en

1812. Il lui écrit ces longues et savoureuses lettres dans son étonnant

graphisme dû à la malformation de sa main.]

17 septembre 1790

. Il restera encore à Béziers chez sa tante, mais il

assure n’être « arreté par aucune séduction, illusion, ou plaisir », et il

tiendra parole de rentrer à Lyon pour les couches de sa « charmante

amie ». Il lui donne le détail de ses voyages… « Qui m’obligeoit à te

dire que je voulois être non le parrain, mais le père légal de ton

enfant, tandis que toi-même n’osois m’en prier ? Connois mieux un

cœur qui ne respire que pour toi, qui ne vit que pour t’aimer, et qui

s’ouvre délicieusement à tous les sentimens de la nature. Ce que

je desirois le plus au monde c’etoit d’avoir un enfant d’une femme

que j’aimai. Tu as rempli ce vœu. C’est maintenant à moi à remplir

tous les devoirs qu’il m’impose. […] Je les remplirai avec amour,

avec exactitude, dans toute leur étendue, en adoptant cet enfant,

en m’en déclarant le père »… Ne voulant point porter « les chaînes

du mariage », il ne peut mieux faire que de vénérer celles que lui

impose la « créature angélique » qu’il idolâtre : « ô ma Feuchere !

Rends enfin justice à ton amant ! Connois le mieux, et crois qu’il

t’aime de toutes les forces de son ame, et de toute l’energie de ses

sens. Brulante ivresse qui s’empare de moi chaque fois que je repose

mon ame sur le souvenir de ma bien aimée, soyez garante de mon

amour. Daignés y croire enfin, petite mignone ; que ne puis-je en ce

moment te serrer dans mes bras, confondre mon existence avec la

tienne, m’inonder d’un torrent de delices sur ton sein palpitant de

plaisir et d’amour, et mourir de l’excès de volupté puisé dans ton

cœur et dans tes sens »… Ayant baisé le « gage chéri » qu’elle a joint

à sa lettre, il s’enflamme : « Combien ma bouche ivre de plaisir et

haletante des feux du désir, s’est desalterée delicieusement à cette

fontaine de cristal, qui coule entre vos trumeaux enlacés. Que ma

lampe tremblante aimoit à s’insinuer jusqu’au fond de cette source

adorable, à en pomper l’eau divine, à en provoquer l’écoulement ;

et alors dans quels vases de voluptés tout mon être se plongeoit.

Delicieuses sensations qui redoubloient en moi le prix de l’existence

n’allez vous pas bientôt renaître pour me faire encore mille fois mourir

de plaisir, et me ranimer pour mourir encore »… Il l’entretient enfin

du choix d’un parrain, M. Bonnet, et d’une marraine, Mme Colletta…

Il va lui envoyer d’excellents raisins muscats, des fromages, du miel…

8 avril 1791

. Il la gronde tendrement au sujet de sa santé ; il attache le

plus grand prix à ce que leur enfant conserve sa petite maman. « Quant

à l’accroissement de ma famille, je le desire loin de le redouter, et

malgré la dureté des tems je trouverai toujours moyen d’avoir bien

soin de mes enfans et de ne les laisser manquer de rien. Comme je

ne [me] marierai jamais je les regarde comme ma véritable famille,

et ma bien aimée descendance. Vous me reprochez d’aimer la chre-

tienne encore plus que le créateur. D’abord je n’aime que vous, et

je ne crois pas que vous meritiez trop ce nom. Car vous n’entendez

pas plus de messe qu’un Juif, et vous ne fréquentez pas plus les

sacrements qu’un turc. Vous savez bien que c’est toujours là notre

querelle. Passe qu’on offense Dieu, (légèrement) par un petit coin, ce

n’est pas une raison de l’offenser par tous les bouts ; et il vaut mieux

donner quelques petites entorses au 6

e

commandement avec un seul

homme, qu’on doit considerer comme son époux, que de pêcher par

une inconduite je dirois même un atheisme désespérant pour vos amis.

Ensuite pour en revenir à moi je crois que c’est honorer le créateur

que de l’admirer dans l’une des plus parfaites de ses créations. J’en

prends volontiers sur moi tout le péché »… Il termine de façon fort

libre : « j’embrasse tendrement ton joli petit cul, tes charmans petits

tétons, ton delicieux petit moulin, enfin tout ce qu’on peut embrasser

depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête »…

2 mai 1791

. Sur sa fille, dont Julien lui dit « qu’elle a beaucoup de

jugement pour son age. J’ai peine à croire que ce soit par là quelle

brille le plus, mais j’apprends avec bien du plaisir qu’elle se porte à

merveille, qu’elle grandit et se fortifie tous les jours. Je suis cependant

faché que son teint noircisse, parce que tu m’as accoutumé à ne rien

trouver de plus joli qu’une peau bien blanche. Il me semble qu’on

pourroit facilement lui couvrir la tête lorsqu’on la promene au soleil.

Je me fais une grande fête de revoir cette chere petite à laquelle je

sens que je m’attache chaque jour davantage »… Il termine : « Adieu,

ma bonne amie […] je te mets dans l’habit des graces, et ainsi vetue je

t’embrasse de toutes mes forces, succe ta jolie langue, tes charmantes

pommes d’apis, tes charmantes pommes de reinette, tes grosses et

fraiches pommes de tambour, puis me fixant dans le centre même de

la volupté par excellence, j’y reste tout à fait, et c’est de la que je me

dis le plus soumis de vos serviteurs et le plus tendre de vos amis ».

22 mai 1791

. Sur les événements : « Je ne crois pas la contre-révolution

plus prochaine à Lyon qu’ailleurs, et les choses sont trop avancées pour

que nous ayions l’esperance de les voir reculer. Si cela etoit il faudroit

s’en rejouir bien plutôt que s’en afliger. Et les personnes connues

pour bien penser seroient alors bien plus en sûreté que les autres.

D’ailleurs en se tenant tranquille chez soi on evite tous les dangers,

et ce ne sont guere que ceux qui les cherchent qu’ils atteignent »...

Un décret ayant autorisé tous les cultes, il n’est plus embarrassé pour

entendre la messe, et « à l’abri de cette

douce

tolérance je pourrai

faire au moins le devoir de l’honneur et de la conscience »... Mais tout

ce qu’ils voient depuis deux ans, prouve le contraire de la maxime de

Pangloss… Il la remercie de sa confirmation de la charmante promesse

faite le 10 mai 1789, « un de mes titres les plus assurés au bonheur.

Je voudrois seulement qu’en me confirmant cette chere parole tu

n’y misses pas une espece de restriction en ajoutant tant qu’il sera

en mon pouvoir de la tenir. Entendrois-tu donc par là te menager un

jour un faux fuyant, une excuse ? Assurément il sera toujours en ton

pouvoir de m’aimer et de m’etre fidele, et moi je te jure à mon tour

et pour la vie l’amour le plus tendre, et une fidelité à toute épreuve.

Je ne suis ni parjure ni volage tu peux m’en croire, et tu sais bien

que mes sentimens pour toi ne font que croître chaque jour bien loin

de diminuer »… Il regrette qu’elle n’aime les « descriptions

plus que

tendres

 » de ses lettres : « « En ce cas il faudroit n’être pas si jolie » ;

et il la déshabille pour « glisser ma main dans ton sein, t’asseoir sur

mes genoux, glisser l’autre entre les tiens, introduire un doigt amou-

reux dans le sanctuaire des vrais plaisirs, te procurer des titillations

voluptueuses, exciter en toi les plus douces sensations, charmans

avancoureurs d’un plaisir plus solide, te retourner ensuite, […] m’extasier

à la vue de ces deux globes delicieux qui resusciteroient un mort, […]

y administrer une flagellation préparatoire, […] entrouvir légèrement

le centre des voluptés », etc.

142

GRIMOD DE LA REYNIÈRE ALEXANDRE-BALTHAZAR-

LAURENT (1758-1838).

L.A.S. « Grimod ngt », Paris 12 septembre 1794/26 fructidor

2 soir, à la citoyenne FORTIA [Baptistine-Marie-Thérèse de

Cabre de Roquevaire, comtesse FORTIA DE PILES], à L’Isle

par Avignon [L’Isle-sur-la-Sorgue] ; 2 pages in-4 remplies

d’une petite écriture serrée, adresse (petite déchirure par

bris de cachet avec perte de quelques lettres à la fin de 4

lignes).

400 / 500 €

Belle lettre écrite en pleine réaction thermidorienne, à la femme

de son ami le littérateur émigré.

Il reçoit sa lettre comme une faveur inattendue, car il se repentait de

s’être exprimé avec trop de franchise, et trop peu de ménagement,

sans connaître les circonstances où se trouvait le citoyen Fortia, pour

les affaires duquel il n’épargne pas son zèle : « c’est moi qui me suis

chargé seul de toutes les affaires du C. Fortia. Je leur consacre la

majeure partie de mes soins, de mon tems, de mon zèle, et de mes

courses ; et s’il faut en croire ses remerciemens je m’en acquitte à

son entière satisfaction »… Cependant Fortia l’a laissé ignorer la perte

qu’avait faite sa femme [la mort d’un enfant né en 1793]. « Je crains

bien d’y trouver la confirmation de mon système sur l’allaitement, et

je n’ai point à me reprocher d’avoir dissimulé mes craintes au Pere

lors de la naissance de ce malheureux enfant. Il est des mères d’une

complexion si vive, et d’un sang si inflammable, que leur nourriture

est un aliment de mort, et celles là doivent s’interdire par tendresse

maternelle le plus doux des devoirs de la maternité »… Qu’elle ne se

blâme pas de l’insuccès de ses démarches pour adoucir le sort de

Fortia : « N’en accusez que les circonstances, qui jusqu’au 10 Ther-

midor s’opposoient au succès de nos vœux, et mettoient même en

danger les jours de votre ami, quoiqu’absolument innocent, et même

exempt de la plus legère imprudence. Aujourd’hui les choses ont bien

changé. La Justice est à l’ordre du jour, et les mesures de rigueur ne

sont plus que pour les coupables. Livrez vous donc à l’espérance »…

141

142