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les collections aristophil

littérature

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FRANÇOIS DE SALES SAINT (1567-1622).

L.A.S. « Franç

s

E. de Geneve », 21 mai 1615, à « Monsieur de

Pezieu » [Balthazar de Longecombe de PEYSIEU] ; 2 pages

in-fol., et feuillet d’adresse (quelques petits trous de ver

affectant 3 lettres).

8 000 / 10 000 €

Très belle lettre de consolation à un parent, dont le frère a été

tué lors d’une expédition au Brésil

.

[Louis de Peysieu, frère de Balthazar, est mort au Brésil le 18 novembre

1614, lors d’un combat contre les Portugais en l’île de Maragnan

(Maranhão). En 1612, une expédition française, partie de Cancale

sous le commandement de Daniel de la Touche, seigneur de la

Ravardière, débarque dans le Maranhão, avec cinq cents colons et

douze missionnaires capucins, dont Louis de Peysieu, avec le rêve

de fonder la France équinoxiale. Ils construisent des maisons, des

églises, ainsi que le premier couvent de capucins. Ils édifient le fort

Saint-Louis, en hommage au roi Louis XIII, donnant ainsi naissance

à la ville de São Luis do Maranhão. Mais les Portugais reprennent

rapidement possesion de l’île en 1615. Claude d’Abbeville a raconté

cette équipée dans son

Histoire de la mission des pères capucins

en l’isle de Maragnan et terres circonvoisines

(Paris, Rousset, 1615) ;

on peut y lire : « Le pauvre monsieur de Pesieux en a payé la folle

enchère ; c’estoit un brave gentilhomme qui ne manquoit pas de

courage ». François de Sales, très lié à la famille de Peysieu à laquelle

il était apparenté (une de ses aïeules avait épousé un Longecombe),

s’inquiète ici de la façon dont il faudra prévenir la mère de Louis,

qu’il considérait lui-même comme sa « chère mère » ; et il qualifie

Bathazar de « frère ».]

« Helas Monsieur mon frere, que nous avions des-ja regretté nostre

commune perte entre nous autres freres de deça, car les Peres

Capuçins nous en avoyent donné quelque sorte de nouvelles ! Il faut

advoüer que cet evenement si inopiné est capable de troubler les

espritz les plus resoluz de ceux qui ont aymé un peu aff[ectueuse]

ment ce brave et genereux frere. Et rien que le souverain respect

que nous devons a la providence eternelle, qui ne fait jamais rien

que saintement et sagement, ne nous sçauroit mettre en repos sur

cet accident. Et comme pourroit on croire que ce brave cœur, qui

avoit esté nourri des sa jeunesse en la pieté, et qui avoit en bonne

partie entrepris cette si grande separation de tout ce qui luy estoit

plus cher pour le zele du service de Dieu, nayt aussi esté tres spe-

cialement secouru de la grace d’Iceluy en son dernier jour, lequel

selon sa profession il a fini dans les termes de son devoir ? Certes

l’honneur de cette mort est extreme, et la posterité la louera sans

fin. Mays de sçavoir comme on pourroit dextrement donner le

coup de cette si estrange et fascheuse nouvelle au cœur de nostre

pauvre chere mere sans esbranler extremement sa vie propre, je

vous asseure mon cher frere, que je ne le sçai pas. Je pense bien

qu’a la fin elle le sçaura, car le bruit respandu penetrera jusques

a ses oreilles par quelque rencontre. Cest pourquoy il seroit bon

de la presparer tout bellement a cet assaut, lequel puisquelle ne

peut eviter on pourroit luy donner par apres quand on auroit un

peu fortifié son ame. Je prie Dieu quil vous conseiller monsieur

mon trescher frere en cett’occasion. Et cependant je ne laisse pas

descrire a nostre treschere mere sur ce sujet affin que si vous jugez

a propos quelle le sache, elle voye quant et quand la contribution

de mon desplaysir au sien. Mays que ne voudrois je pas faire pour

secourir ce pauvre cœur maternel, quand il sera blessé de ce coup

si rude ! Relevez cependant le vostre mon trescher frere ; vous qui

estes masle et vous disposez a lennuy de voir encor pour surcroist

de vostre perte, et de la nostre, les desplaysirs d’une si bonne mere.

Qui se promet des autres occurrences en cette plus que miserable

vie il se trompe grandement. Monsieur mon trescher frere, je vous

conjure de recueillir laffection que ce cher defunct me portoit et a

mes freres, et de la nous conserver comme de tout mon cœur je

me dedie de nouveau a toute vostre mayson »…

Œuvres

, édition d’Annecy, t. XVI,

Lettres

, vol. VI, p. 368 (

mlxxix

).

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FRÉDÉRIC II (1712-1786).

L.A.S. « Federic », Potsdam 22 février 1747, à VOLTAIRE ;

2 pages et demie in-4 (quelques légères fentes bien

réparées).

10 000 / 12 000 €

Magnifique lettre du Roi de Prusse à Voltaire, avec ses réflexions

sur l’histoire et l’Europe

.

Voltaire n’a donc pas fait sa

Sémiramis

pour Paris : « On ne se donne

pas non plus la peine de travailler avec soin une Tragedie pour la

laisser vieillir dans un portefeuille ; je vous devine avouez donc que

cette piece a été composée pour notre Teatre de Berlin ? […] c’est

une galanterie que vous me faites […] j’atans la piece pour l’aplaudir,

car on peut aplaudir d’avanse quand il s’agit de Vos Ouvrages […]

Voila donc votre gout decidé pour l’histoire ? […] L’ouvrage qui m’ocupe

[

L’Histoire de mon temps

] n’est point dans le genre des memoires ny

des comantaires, mon personel n’y entre pour rien, c’est une fatuité

en tout homme de se croire un etre assez remarcable une créature

assez rare pour que tout l’Univers soit informé du detail de ce qui

conserne son individue. J’ai peint en grand le boulversement de l’Eu-

rope, je me suis apliqué à crayoner les ridicules et les contradictions

qu’on peut remarquer dans la conduite de ceux qui la gouvernent,

j’ai rendu le precis des negotiations les plus importantes, des faits de

guerre les plus remarcables, et j’ai asaisonné ces résits de reflextions

sur les causes des evenemens et sur les diferens efets qu’une meme

chose produit quand elle arive en d’autres tems ou chez diferentes

nations ». Il est d’accord avec Voltaire sur les détails des guerres qui

sont souvent « la longue enumeration de cent minusies et de cent

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inutilités », mais il pense que « de grans faits de gueres ecrits avec

consision et verité où on s’aplique principalement à developer les

raisons qu’un Chef d’armée a eu en les fesant, et ce qui a été l’ame

de ses operations […] doivent servir d’instructions à tout ceux qui font

profesion des Armes. […] tout les arts ont des exemples et des pre-

ceptes pourquoi la Guerre qui defend la Patrie et sauve les peuples

d’une ruine assurée n’en auroit-elle pas ? » Mais son ouvrage n’est

pas fait pour le public.

Il a failli mourir d’une apoplexie : « mon temperament et mon age

m’ont rapelléz à la vie, si j’étois desendu labas, j’aurois guetté Lucrece

et Virgille jusqu’au moment que je vous aurois vû ariver car vous ne

pouréz avoir d’autre plasse dans l’Elisée qu’entre ces deux Messieurs

la, j’aime cependant mieux vous apointer dans ce monde ci, ma

curiosité sur l’Infiny et sur les principes des choses n’est pas assez

grande pour me faire hater le Grand Voyage ».

Il espère sans trop y croire la venue de Voltaire dont il cite trois vers…

« Le duc de RICHELIEU a vu des Daufines, des fetes, des ceremonies

et des fats, c’est le lot d’un ambassadeur, pour moy j’ai vû le petit

Polmy [PAULMY], aussi doux qu’aimable et spirituel ; nos beaux

esprits l’ont devalisé en passant, et il a été obligé de nous laisser

une commedie charmante qui a eu de grands succèz à la repre-

sentation ». Il informe Voltaire que la duchesse de WURTEMBERG

a fait copier dans la nuit

La Pucelle

que Voltaire lui avait prêtée :

« voila les gens à qui vous vous confiez, et les seuls qui meritent

votre confience ou plustot à qui vous deveriez vous abandoner tout

entier sont ceux avec lesquels vous etes en defience. Adieu puisse

la Nature vous donner assez de force pour venir dans ce Païs ici

et vous conserver encore de longues années pour l’ornement des

Letres et pour l’honneur de l’esprit humain. »