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les collections aristophil
littérature
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DIDEROT DENIS (1713-1784).
L.A., [janvier 1767, à Mademoiselle
Marie-Madeleine JODIN, à Varsovie] ;
4 pages in-8 (fente au pli intérieur).
8 000 / 10 000 €
Magnifique et longue lettre sur le théâtre,
donnant des conseils à la jeune comé-
dienne
.
[Marie-Madeleine JODIN (1741-1790), fille
d’un horloger qui collabora à l’
Encyclopédie
,
devint après la mort prématurée de son père
la protégée et « filleule » de Diderot, qui,
outre son rôle de tuteur moral, prodigua
nombre de conseils à la jeune actrice.]
Il la félicite d’abord avec humour de ses
bonnes dispositions. « Quoi, mademoi-
selle, ce seroit tout de bon ; et en depit de
l’etourdissement de l’etat, des passions, et
de la jeunesse, il vous viendroit quelque
pensée solide, et l’yvresse du present ne
vous empecheroit pas de regarder dans
l’avenir ! Est-ce que vous seriez malade ?
[…] J’ai peu de foi aux conversions ; et la
prudence m’a toujours paru la bonne qua-
lité la plus incompatible avec votre carac-
tere ». Mais si elle persiste à placer quelque
argent, Diderot promet de s’en occuper :
« Je tacherai de répondre à cette marque de
confiance, en vous cherchant quelqu’emploi
avantageux et solide. [...] Il n’y a presqu’au-
cune fortune particuliere qui ne soit sus-
pecte et il m’a semblé que dans les plus
grands bouleversements des finances, le roi
avoit toujours respecté les rentes viageres
constituées sur lui. Je donnerois donc la
preference au roi ; à moins que vous ne
soiez d’une autre opinion »…
Puis il en vient au théâtre. « Vous scavez
pour moi, que si l’interet que je prens à
vos succès, à votre santé, à votre consi-
deration, à votre fortune, pouvoit servir
à quelque chose, il n’y auroit sur aucun
theatre du monde, aucune femme plus
honorée, plus riche et plus considérée.
Notre scène françoise s’appauvrit de jour
en jour. Malgré cela, je ne vous invite pas
encore à reparoitre ici. Il semble que ce
peuple devienne d’autant plus difficile sur les
talents, que les talents sont plus rares chez
lui ». L’Impératrice de Russie CATHERINE
II veut former une troupe française : Mlle
Jodin aurait-elle « le courage de passer à
Petersbourg, et d’entrer au service d’une
des plus étonnantes femmes qu’il y aient au
monde »… Il lui conseille d’étudier « surtout la
scene tranquille. Jouez tous les matins, pour
votre priere, la scene d’Athalie avec Joas ; et
pour votre priere du soir, quelques scenes
d’Agrippine avec Neron [
Britannicus
]. Dites
pour benedicite, la scene 1
ere
de Phedre et
de sa confidente ; et supposez que je vous
ecoute. Ne vous maniérez point, surtout.
Il y a
du remede à l’empesé
, au roide, au
rustique, au dur, à l’ignoble. Il n’y en a point
à la petite maniere ni à l’affeterie. Songez
que chaque chose a son ton. Ayez quelque-
fois de l’emphase, puisque le poete en a.
N’en ayez pas aussi souvent que lui, parce
que l’emphase n’est presque jamais dans
la nature. C’en est une imitation outrée.
Si vous sentez une fois que CORNEILLE
est presque toujours à Madrid, et presque
jamais dans Rome ; vous rabaisserez sou-
vent ses échasses, par la simplicité du ton ;
et ses personnages prendront dans votre
bouche un heroisme domestique, uni, franc,
sans appret, qu’ils n’ont presque jamais dans
ses pieces. Si vous sentez une fois combien
la poesie de RACINE est harmonieuse, nom-
breuse, filée, chantante, et combien le chant
cadencé s’accorde peu avec la passion qui
declame ou qui parle, vous vous etudierez à
nous dérober son extreme musique ; vous
le rapprocherez de la conversation noble et
simple, et vous aurez fait un grand pas, un
pas bien difficile. Parceque Racine fait tou-
jours de la musique, l’acteur se transforme
en un instrument de musique. Parceque
Corneille se guinde sans cesse sur la pointe
de piés, l’acteur se dresse le plus qu’il peut.
C’est à dire qu’on ajoute au defaut des deux
auteurs. C’est le contraire qu’il falloit faire ».
Il rapporte pour finir des commentaires de
l’acteur anglais David GARRICK qui lui disait
« qu’il lui seroit impossible de jouer un role
de Racine ; que ces vers ressembloient à de
grands serpents qui enlaçoient un acteur et
le rendoient immobile. Garrick sentoit bien
et disoit bien. Rompez les serpents de l’un ;
brisez les echasses de l’autre. »
Correspondance
, éd. G. Roth, t. VII, p. 11
(n° 427).
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DIDEROT DENIS (1713-1784).
L.A.S. « Diderot », [Sèvres décembre
1777, à Suzanne NECKER] ; 3 pages
in-4.
6 000 / 8 000 €
Très belle et longue lettre à l’épouse du
Contrôleur général des finances.
[Suzanne Curchod (1737-1794) avait épousé
Jaques Necker, qui était devenu Contrôleur
général des finances en juin 1777 ; elle est la
mère de Germaine de Staël.]
« C’est moi. Je ne suis pas mort ; et quand
je serois mort, je crois que les plaintes des
malheureux remueroient mes cendres au
fond du tombeau. Voici une lettre d’un
homme qui n’est pas trop personnel, et
qui sera toute pleine de
Je
. Je jouis d’une
santé meilleure qu’on ne l’a à mon age ;
toutes les passions qui tourmentent, m’ont
laissé, en s’en allant, une fureur d’étude
telle que je l’éprouvois à trente ans. J’ai
une femme honnete que j’aime et à qui je
suis cher, car qui grondera-t-elle, quand
je n’y serai plus ? S’il y eut jamais un pere
heureux dans ses enfants, c’est moi. J’ai
tout juste la fortune qu’il me faut, tant que
j’aurai des yeux pour me passer de bougie,
et ma femme, des jambes pour monter et
descendre d’un quatrieme etage. Mes amis
ont pour moi et j’ai pour eux une tendresse
que trente ans d’habitude ont laissée dans
toute sa fraicheur. Hebien, direz-vous, avec
tout cela, que manque-t-il donc à votre
bonheur ? ce qu’il y manque ? ou une ame
insensible ou le coffre fort d’un roi, et d’un
roi dont les affaires ne soient pas derangées.
Avec une ame insensible ou je n’entendrois
pas la plainte de celui qui souffre, ou je
ne soufrirois pas en l’entendant ; avec le
coffre fort, je lui jetterois de l’or à poignée,
et j’en ferois un reconnoissant ou un ingrat,
à sa discretion. Mais faute de ces deux
ressources, ma vie est pleine d’amertume.
Je donne tout ce que j’ai aux indigents de
toute espèce qui s’adressent à moi, argent,
tems, idées ; mais je suis si pauvre relati-
vement à la masse de l’indigence, qu’après
avoir tout donné la veille, il ne me reste rien
pour le lendemain, que la douleur de mon
impuissance ».
Après ce « long preambule », il réclame la
faveur de Mme Necker pour Mme Pillain de
Val du Fresne, qu’il a empêchée de partir
pour Pétersbourg avec son mari, « car c’est
un pais où il ne faut pas aller, quand on n’y
est pas appellé. […] si j’ai jamais desiré d’être
utile, c’est dans ce moment. Les lèvres de
cette femme trembloient ; elle ne scavoit
ce qu’elle disoit ; elle ne scavoit ce qu’elle
vouloit dire ; je n’ai jamais eprouvé plus for-
tement l’effet de l’éloquence, de la modestie,
de la honte, de la pudeur, et du desordre que
ces sentimens jettent dans le discours. […]
Elle est jeune, elle est d’une figure agréable ;
elle a quelque talent ; je ne vous conjurerai
pas par la crainte que la misère ne dis-
pose d’elle ; je crois qu’elle mourroit plutot
de faim que de cesser d’être honnete […]
Songez, madame, que la Providence vous
a fait naitre, pour son apologie – c’étoit son
dessein, lorsqu’elle vous prit par la main, et
qu’elle vous conduisit au rang où vous êtes
élevée. Elle vous plaça sur la hauteur, afin
que votre œil embrassat une plus grande
partie de l’espace sur lequel elle a distribué
les malheureux. C’est un assez beau role ».
Quant à lui : « Je vis à la campagne, j’y vis
seul ; c’est là que j’abrege les jours et que
j’allonge les années ; le travail est la cause
de ces deux effets qui semblent opposés.
Le jour est bien long pour celui qui n’a rien
à faire ; et l’année bien longue pour celui
qui a beaucoup fait. Puissiez vous entre
le premier janvier et le dernier decembre,
intercaller trois cent soixante cinq bonnes
actions ; cela seroit bien au dessus de trois
cent soixante belles pages. Je voulois vous
ecrire trois lignes, et voila bientot quatre
pages ; et cela me rapelle un tems qui n’est
pas eloigné, où je me proposois de ravir à
Madame Necker trois minutes, et où je lui
ravissois trois heures ; mais j’ai là sur ma
table, un certain philosophe ancien, homme
dur, stoicien de son métier [Sénèque] qui
m’avertit de finir et de n’etre pas indiscret »...
Je suis avec respect, madame, etc.
Correspondance
, éd. G. Roth, t. XV, p. 76
(n° 895 ; texte inexact).
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