19
58.
Marcel JOUHANDEAU
. 5 carnets autographes, décembre 1944-décembre 1945 ; 460 pages petit in-12 (12,5 x
7,5 cm) de feuillets volants de papier quadrillé et perforés, formant 5 carnets factices liés par des cordelettes ou des
ficelles (certains numérotés au crayon rouge).
1 500/2 000
Carnets intimes recueillant, en premier jet, des observations, anecdotes, bribes de dialogue, notes de lecture, minutes de
lettres et réflexions, la plupart barrées d’un trait oblique, et qui ont pu être réutilisées et remaniées dans des livres comme
Essai
sur moi-même
(1946),
Carnets de Don Juan
(1947) ou
Ménagerie domestique
(1948) ; ils sont probablement en grande partie
inédits. . Nous n’en citerons que de très brefs extraits.
* Carnet 1, tenu depuis décembre 1944, et « terminé le 1
er
mars 1945 » (126 p.). « Je me suis appliqué cinquante ans à faire de
mon âme “un diamant” que rien ne puisse entamer. Le moment est venu d’en éprouver la durée, peut-être l’éclat ». « Avec Élise,
du haut et du bas, de très haut à très bas. Jamais encore il ne lui était arrivé de m’humilier comme vendredi devant quelqu’un
d’autre. Maintenant c’est fait. Bien sûr pour aussitôt me ramasser où elle m’a jeté et m’embrasser et m’obliger à l’embrasser
avec une sorte de passion désespérée »…
* Carnet tenu du 1
er
avril au 11 mai 1945 (64 p.). Notes grammaticales, comptes, numéros de téléphone, idées de titres…
Brouillon de lettre à Jean : « Tu as des vices. Tu n’as pas de besoins. Un vice respecté, s’il est dévorant, peut servir non seulement
à l’équilibre de l’être, mais le conduire même à une sorte de détachement »... « Voilà le vrai, le seul théâtre de l’apparence et du
mensonge : une ou deux fois je m’y suis senti poussé par une main qui ressemblait à celle de la curiosité, mais pas une seconde
je n’y fus dupe »...
* Carnet 5, du 23 août au 7 septembre 1945 (89 p.). « Au fond rien ne m’invite ni m’incite [...] à dire et à écrire tout bonne.
des incongruités comme un sérieux de pacotille, mon tempérament ayant beaucoup plus d’affinités avec celui d’un truand que
d’une mijaurée de n’importe quel sexe et ma main beaucoup plus d’aptitude au fond à lancer la bombe atomique [...] qu’à jouer
au bilboquet »... « Simple mouvement de l’âme. Inutile de se demander si ta barbe aura son influence et tout de suite sur ton
style. C’est en signe de deuil que je l’ai laissé croître, comme on se voile, pour ne pas voir la stupeur s’installer sur mon visage,
la stupeur de la mort, le reflet blême de la rive maudite. Non, je n’ai pas aimé la mort »... « Des rêves étranges cette nuit : le plus
étonnant. J’étais le complice d’un cambriolage qu’un monstre devait réaliser un préjudice de mes parents. Mais comment ce
pacte avait-il été conclu ? Je revois la tête du cambrioleur et la nuit, j’entends respirer mon père et ma mère dans leur chambre,
pendant qu’on force les serrures. Plus tard j’étais employé dans un grand magasin », etc.
* Carnet 6 des « g
des
vacances 1945 » (93 p.). « La jeune fille qui aime un homme marié vient de s’asseoir à son piano pour
jouer, en pensant à lui. Il va être onze heures du soir. Les fenêtres de la villa des M. sont ouvertes comme les nôtres et l’on entend
sa mère la gronder. Est-ce qu’elle se doute de quelque chose ? [...] La voix s’élève en tempête et les fenêtres se ferment avec
fracas, mais comme si rien ne se passait, le nocturne poursuit son ramage derrière les branches du tilleul qui nous sépare. Toutes
ces scènes et ces remarques, pendant une lecture que je fais à Élise et qui la ravit sur le P. Malebranche »... « César, Michel-Ange
avaient beau aimer les beaux hommes, qui fut plus viril qu’eux ? Dans leur personne, dans leurs œuvres. Aujourd’hui, nos
garçons, même quand ils aiment les femmes sont plus femme qu’elles par le mouvement de leurs hanches et l’intempérance de
leurs gestes. S’aiment-ils entre eux, ils ne sont même pas des femmes et ils ne sont plus des hommes, ils ne seront plus jamais
rien qu’on puisse nommer dans aucune langue sans mépris »... « Aie le respect de tes génitoires comme de tes yeux »... « Eric.
Vous et moi, c’est autre chose : un engagement du cœur et une familiarité qui me fait souvent oublier le respect que je vous
dois parce que je vous tiens pour un complice. La maladie est l’école de la mort. L’oubli se referme sur vous si vite »... « Je n’ai
jamais pu songer à l’amour que mon corps sain. Dès qu’il porte la moindre égratignure, la moindre fêlure, je m’en détourne »...
« Tu dis bien, on s’y habituera comme le sage à s’asseoir sur son lotus. Je parle de la bombe »... « Mes loisirs de convalescent je
les emploie à classer mes lettre, à en détruire beaucoup, ce qui ressemble à un examen de conscience »...
* Carnet 8, du 6 novembre au 22 décembre 1945 (88 p.). « Je sens tous les maux à la fois ; ce n’est pas seulement une menace ;
ils me sont présents. Je vois Carya morte. Je vois la paralysie s’emparer de moi ou d’autres bourreaux »... « Rien de plus difficile
à reconnaître qu’un beau garçon à une époque divine. Ils sont tous pareils »... « La douleur entre parfois dans votre chair même
par l’âme. On ne sent tant de maux dans chaque parcelle de son corps parce qu’on n’en est plus distrait par le concert de l’esprit
qui a cessé tout d’un coup »...
Reproduction page 21
59.
Marcel JOUHANDEAU
. Manuscrits autographes pour
Carnets de Don Juan
, [vers 1940-1948] ; 360 feuillets
petit in-4, la plupart écrits sur une face seulement, en 13 chemises, couverture cartonnés titrée
Carnets de Don
Juan. Le minotaure et divers
.
1 500/2 000
Bel ensemble de brouillons et de manuscrits de travail pour les
C
ARNETS DE
D
ON
J
UAN
, œuvre intime où Jouhandeau
explore divers aspects et épisodes de son homosexualité. Les
Carnets de Don Juan
, « par l’auteur du
Traité de l’abjection
»,
firent l’objet d’une seule édition anonyme du vivant de l’auteur (Paris, P. Morihien, 1948).
Le présent ensemble comprend des brouillons non foliotés, et des manuscrits, certains chiffrés : on relève plusieurs séries
de numérotation lacunaires. Jouhandeau a barré au crayon rouge un grand nombre des feuillets, indiquant par là qu’il a repris
ailleurs ce qu’il avait écrit. On y trouve, par exemple, sur deux pages, une version intermédiaire du récit que l’on connaît sous
le titre « Le Centaure de Bâle ». En voici la conclusion, lourde et obscure par rapport à ce qu’on lit dans les
Carnets
: « Mais la
merveille, ce fut, levant les yeux, comme la tête du Cheval se cachait derrière la poitrine de l’Homme, d’apercevoir sur le mur
blanchi à la chaux, grâce à la complicité des ombres conjuguées de l’Homme et du Cheval, mieux qu’en imagination, en réalité
le Centaure lui-même »...
…/…