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87

JOHANN MENTELIN

La Bible de 1460 et deux autres incunables imprimés à Strasbourg par Mentelin (n

os

76

,

77

,

78

).

Johann Mentelin, né vers

1410

à Sélestat (Alsace, Schlettstadt en allemand), est LE PREMIER IMPRIMEUR ACTIF EN

DEHORS DE MAYENCE ET LE PREMIER IMPRIMEUR DE STRASBOURG. Il est aussi, dix ans avant Paris,

LE PREMIER IMPRIMEUR DE L’ACTUEL TERRITOIRE FRANÇAIS (l’Alsace a été rattachée à la France sous

Louis XIV, entre

1646

et

1697

). Karl Schorbach lui a consacré en

1932

une monographie à laquelle bien peu d’éléments

biographiques nouveaux ont été ajoutés. Les archives sont silencieuses sur la formation de Mentelin (la célèbre École

humaniste latine de Sélestat à laquelle Beatus Rhenanus légue sa bibliothèque n’a été fondée qu’en

1441

) et sur la date

précise de son arrivée à Strasbourg. Il y acquit le droit de bourgeoisie le

18

avril

1447

, inscrit à la corporation des

peintres et exerçant la double profession de scribe et d’enlumineur. Il existe un seul témoignage de sa première activité,

découvert en

1977

, une copie de la

Vita Jesu Christi

de Ludolphe le Chartreux datée de

1444

dont il a signé le colophon

(British Library, Add MS

10934

-

10935

). Mentelin devint également notaire épiscopal – ce qui implique qu’il connaissait

le futur second imprimeur de Strasbourg, Henri Eggestein, qui était à la même époque garde des sceaux de l’évêque.

La Bible latine à

49

lignes est le premier livre imprimé par Johann Mentelin. Elle n’est pas datée, mais son impression était

achevée en

1460

(voir

infra

lot

76

) ce qui implique que Mentelin s’était tourné vers l’imprimerie au moins vers

1458

- date

supposée en tenant compte du temps nécessaire à la réalisation des matrices, la fonte des caractères, la fabrication des

presses etc. Pendant une dizaine d’années, Mentelin cumule les activités de notaire et d’imprimeur, ce qui permet de penser

que l’évêque Robert (Ruprecht) von Pfalz-Simmern, au service duquel était également Eggestein, aurait présidé à

l’installation de l’imprimerie à Strasbourg. Comme le feront les évêques de Bamberg avec Pfister, d’Augsbourg et d’Ulm

avec les frères Zainer (ces deux derniers, mariés en

1463

et

1465

à des strasbourgeoises, étant d’anciens employés de

Mentelin). C’est en tant que notaire épiscopal qu’il vend à Jean Kuon, curé de l’église Saint-André à Strasbourg, un

exemplaire de sa Bible en latin pour

12

florins rhénans le

14

octobre

1461

, moyennant un paiement différé en

3

fois (Arch.

Mun. Strasbourg, Chambre des contrats,

3

31

). Et dans les comptes du « Helblingzollbuch » (registre des taxes sur le

vin) de la ville, il est qualifié d’enlumineur, de notaire épiscopal et d’imprimeur.

Il s’écoula trois ans - si on excepte une lettre d’indulgence de

1461

récemment découverte - avant la publication du

volume suivant, la

Summa theologiae

de saint Thomas d’Aquin (l’exemplaire de la Bibliothèque humaniste, acquis par

Jean Fabri de Sélestat, porte la mention « Anno Domini

1463

emi praesentem librum a Johanne Menteli

notario et

scriba

,

cive Argentinensi

»). Et encore trois ans avant le premier livre portant le nom de Mentelin (dans la préface, pas

au colophon), le

De arte praedicandi

de saint Augustin, publié pas après

1466

- année où il achève l’impression de sa

Bible en allemand. Remplacé en décembre

1468

dans son office de notaire épiscopal, Mentelin se consacre exclusivement

semble-t-il à l’imprimerie pendant les dix dernières années de sa vie, imprimant plusieurs livres tous les ans jusqu’en

1477

.

Son officine était établie rue de l’Épine, où il résidait en

1466

. Sa première épouse, morte en

1460

, lui donna deux filles

qui épousèrent deux imprimeurs strasbourgeois de la seconde génération, qui exercèrent à partir de c.

1472

, Adolphe

Rusch (l’imprimeur à l’R bizarre, avec qui Mentelin aurait collaboré et qui lui succéda) et Martin Schott. Il obtint le

27

octobre

1466

de l’Empereur des lettres d’anoblissement. Ses armes et celles de sa seconde femme figuraient sur le

monument funéraire, aujourd’hui disparu, qu’il fit élever en

1473

pour sa famille.

Il mourut le

12

décembre

1478

à Strasbourg, riche et prospère à la différence de Gutenberg (« multa volumina castigate

ac polite Argentinae imprimendo factus est brevi opulentissimus », Wimpheling,

Epitome rerum Germanicarum

,

1505

).

La question de l’apprentissage typographique de Mentelin et de ses relations avec Gutenberg n’est pas résolue.

Si Mayence et Strasbourg se sont longtemps disputé l’honneur d’avoir inventé l’imprimerie, et s’il est certain que

Gutenberg, expulsé de Mayence, séjourna à Strasbourg au moins de

1434

à

1444

, il semble acquis que le procédé

technique secret auquel il travaillait à Strasbourg concernait la fabrication de miroirs pour les pèlerins et non

l’imprimerie. Mais les deux hommes ont pu se connaître. Il est vraisemblable que Mentelin a acquis ses connaissances

soit directement de Gutenberg (mais il ne semble pas s’être absenté de Strasbourg, sauf peut-être en avril

1450

), soit

par un intermédiaire. En tout cas c’est un exemplaire de la Bible à

42

lignes de Gutenberg qui a servi d’

exemplar

pour

son premier livre, la Bible à

49

lignes de

1460

.

On recense aujourd’hui

41

éditions publiées par Mentelin de

1460

à

1477

, pour la plupart non datées :

10

placards ou

ephemera

(indulgences, almanachs, publicités pour ses éditions – dont le plus ancien « Bücheranzeige » connu) et

31

livres.

Pionnier en matière typographique, Mentelin l’est également dans le choix des œuvres qu’il édite avec attention et

scrupule scientifique : une trentaine d’ouvrages seulement en

17

ans, mais un choix remarquable par la précocité et

l’exigence, autant que par le sens commercial aigu qu’il dénote. Il commença par cibler le marché ecclésiastique d’Alsace

et d’Allemagne du Sud avec sa Bible de

1460

, la seconde après celle de Gutenberg, et en

1466

la première Bible imprimée

en allemand. De ses presses sont sorties seize éditions princeps, dont le

De Arte praedicandi,

les

Confessions

et les

Epistolae

de Saint Augustin (voir son édition du

De Civitate Dei

lot

77

), la

Summa theologica (Pars 2a)

de Thomas

d’Aquin, les deux

Speculum historiale et morale

de Vincent de Beauvais et les éditions originales des deux premiers livres

imprimés « adversus Judaeos », dûs à deux écrivains espagnols, le

Scrutinium scripturarum

de Paulus de Sancta Maria

(lot

78

) et le

Fortalitium Fidei

d’Alphonsus de Spina; mais également des princeps d’auteurs classiques de

l’Antiquité (l’Éthique à Nicomaque d’Aristote et Valère-Maxime. Mentelin est également le seul imprimeur allemand à

publier la littérature chevaleresque allemande, avec l’édition princeps du

Parzival

de Wolfram von Eschenbach et du

Titurel

d’Albrecht von Scharfenberg.