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Dans les deux lamentations,
on est loin du genre convenu
de la poésie funèbre, puisque
Crétin connaît ceux qu’il
pleure avec un accent très
personnel.
La Plainte sur le trespas
de feu maistre Jehan
Braconnier dit Lourdault,
chantre
(ff.
28
r à
31
v),
pleure le chanteur favori de
Louis XII, mort peu avant
le
22
janvier
1512
. Elle donne
une liste des MUSICIENS
CONTEMPORAINS et révèle
des relations assez intimes
entre Crétin et un autre
grand musicien de la
Cour,
le
compositeur
ANTOINE
DE
FÉVIN
récemment disparu. Le poème
fourmille d’informations et de
résonances musicales : « ce fut
celuy dont la voix resonna de
telle sorte et si treshault sonna / que tuyau d’orgue onc ne fist telz accordz…» Notre version, inédite, est très proche du manuscrit de
présentation dédié à Jean duc d’Albanie (BNF, FR
12406
), mais elle lui est antérieure puisque ce dernier manuscrit est daté entre
1515
et
1517
.
La Plaincte sur le trespas du saige et vertueux chevalier…Messire Guillaume de Byssippat
(ff.
39
r à
51
r) dresse un portrait très vivant
de cet illustre soldat, tombé sous les murs de Bologne en
1512
, musicien, lettré, issu d’une famille de corsaires et marins originaires
de Byzance (Pierre-César Renet, « Les Bissipat du Beauvaisis, princes grecs exilés en France »,
Mémoires de la Société académique de
l’Oise
, t. XIV,
1889
, pp.
31
-
98
). Crétin convoque les muses et le cercle de ses amis écrivains, Jean d’Auton et Lemaire, « qui en nostre
art estes des plus expers ». Le manuscrit Burrus donne une leçon très proche de celle du Ms BNF Fr.
2283
, mais il comprend bien les
vers
521
à
540
décrivant la mort du héros. Pour les rares divergences, il est plus proche de la version imprimée à la suite de la
Concorde
des deux langages
en
1513
que du manuscrit.
Avec
L’Exil de Gennes la Superbe composée par Reverend abbé dangle frère Jehan d’authon
(ff.
31
v à
36
v), on est toujours dans le
cercle des amis de Lemaire. L’
Exil de Gennes
condamne en
1507
la révolte des Génois contre l’autorité du roi de France.
Dans
Le moine Castel à Monseigneur de Gaucourt
(
13
strophes de
8
vers, suivies de
4
vers, ff.
37
r à
38
v), le petit-fils de Christine de
Pisan « qui a bon appetit / destre prelat », demande en
1465
sur le mode plaisant à Charles de Gaucourt son aide dans l’obtention de
profitables bénéfices. « Il y a de la vivacité, même de la grâce dans ces pièces… et certains traits font déjà penser à Marot » (R. Bossuat).
LE DERNIER MANUSCRIT D’ANNE DE BRETAGNE, RESTÉ INCONNU JUSQU’ICI.
Les trois premières pièces s’adressent ou comportent des allusions directes à Anne de Bretagne, protectrice de Lemaire. Le manuscrit
Burrus a été composé pour laisser place à un enlumineur qui aurait peint les espaces laissés blancs (une pleine page en face de la
première pièce et de la
Concorde des deux langaiges
). Lemaire de Belges avait été nommé en mars
1512
indiciaire de la reine et effectua
à l’été
1512
un séjour en Bretagne. Hélas la mort de la reine Anne, le
9
janvier
1514
, mit fin à ses espoirs, et il ne dut pas survivre
longtemps à sa protectrice car on perd sa trace après cette date.
Notre manuscrit a été préparé pour la reine, dont seule la mort a empêché qu’il soit terminé et qu’il lui soit remis. Il ne figure pas dans
le recensement des manuscrits d’Anne de Bretagne dressé en dernier lieu par Cynthia Brown, qui signale
29
manuscrits ayant
certainement appartenu à la reine (
12
manuscrits religieux et
17
à sujet littéraire ou historique- dont
3
de Lemaire de Belges), presque
tous conservés dans des institutions (un seul en main privée). Par son contenu et sa date de rédaction, il est donc le dernier manuscrit
destiné à Anne de Bretagne.
Ex-libris de Maurice Burrus au contreplat.
Très petits trous de vers en haut et en bas du dos, légères griffures sur les plats.
Jean Lemaire de Belges, La concorde des deux langages. Édition critique publiée par Jean Frappier, Paris, Droz (TLF), 1947 - Lemaire de Belges, « Epistre
du roy à Hector » et autres pièces de circonstances (1511-1513), éd. A. Armstrong et J. Britnell, Paris (STFM), 2000 - F. Cornillat, « Comme ung aultre
lion : échec poétique et Renaissance lyonnaise dans la Concorde des deux langages », dans G. Defaux dir., Lyon et l’illustration de la langue française
à la Renaissance, 2003, pp. 363-390. - Œuvres poétiques de Guillaume Crétin, éd. Kathleen Chesney, 1932, pp. 210-216 et pp. 73-93 - Cynthia J. Brown,
The Queen’s library : image-making at the court of Anne of Brittany, 1477-1514, Philadelphia, 2011.