48
Le style des frontispices
all’antica
des Heures Ashburner-Burrus est très proche de celui du César
de la Casanatense (DLM
47
) et du Flavius Josèphe de Valence. Les portraits d’apôtres et de saints
des initiales historiées évoquent très précisément
2
manuscrits peints par Gaspare pour Giovanni
d’Aragon : le saint Cyprien dans un manuscrit copié par le scribe napolitain Giovanni Rinaldo
Mennio au début des années
1480
(Paris, BnF, ms. latin
1659
), ainsi que les images idéalisées des
Vertus du Valère-Maxime de
1482
-
1484
(New York Public Library, Spencer MS.
20
) copié par
Sinibaldi et rubriqué par Sanvito. Le motif qui orne l’intérieur du cadre de l’édicule
all’antica
encadrant le texte au f.
54
est identique à celui de « l’opening page » du Latin
1659
. Des
« aediculae » très similaires se trouvent dans un Plutarque copié par Sanvito vers
1471
pour le
Cardinal Francesco Gonzaga ou son frère Federico, le futur marquis de Mantoue ; et dans le
Flavius Josèphe de Valence, qui présente également des motifs décoratifs dans l’herbe verte du
fond très semblables aux nôtres. Les putti joueurs des
3
frontispices principaux sont tout
imprégnés de l’art de Mantegna. Enfin la palette utilisée, avec ses tons chauds et brillants, est la
même que dans les manuscrits cités (Latin
1659
et Valence).
Le binôme Sanvito-Gaspare a fonctionné étroitement à partir de la rencontre des deux artistes, vers
1469
à Rome : « la visione dell’arte
antiquario-mantegnesca di Gaspare dovette essere una sorta di folgorazione per Sanvito » (G. Toscano ). On connaît
8
autres chefs-
d’œuvre fruits de leur collaboration exclusive, sans intervenant extérieur : le plus ancien, le César de la Casanatense, c.
1469
(DLM
47
) ;
le Platina et le Calderini de la Laurenziana exécutés respectivement pour Lorenzo et pour Giuliano di Piero de’ Medici (DLM
56
et
58
), le Suétone de la BNF peut-être pour Bernardo Bembo (DLM
57
), le Martial Durazzo (DLM
66
) et l’Homère du Vatican pour le
Cardinal Gonzaga (DLM
72
), produits dans les années
70
; et, plus tardifs, l’Eusèbe de Londres, réalisé à la fin des années
1480
pour
Bernardo Bembo (DLM
87
) et les Heures de Ravenne (DLM
93
). Au début des années
1480
, au moment où il réalise le manuscrit
Sforza-Aragon, Gaspare est au sommet de son art, « un personalismo mantegnismo di luce, e che, a partire circa dei primi anno ottanta,
si arricchirà anche della ricordata componente umbro-peruginesca » (G. Toscano).
LE SEUL MANUSCRIT ENTIÈREMENT ÉCRIT PAR SANVITO POUR LA FAMILLE D’ARAGON, UN CADEAU DE LA
PUISSANTE FAMILLE ROMAINE DES ORSINI.
Qui est le commanditaire du manuscrit ? Le calendrier, très simple et suivant le rite de Rome, n’apporte pas de localisation précise (ni
Naples, ni Milan). Le parchemin utilisé et surtout la réglure des cahiers de parchemin, très inhabituelle chez Sanvito où elle est
généralement presque invisible, suggèrent que Sanvito n’était ni à Padoue ni à Rome au moment où il faisait son travail, probablement
en voyage dans la suite du cardinal Francesco Gonzaga.
La présence, remarquée par Laura Nuvoloni, de petites armes microscopiques au f.
13
, peintes sur une bannière bleue au centre de la
table qui constitue la partie inférieure de l’arc, donne la clef de l’énigme : ce sont les armes d’un membre de l’antique et puissante
famille romaine des Orsini, possessionnée à Naples, comme l’indiquent aussi les ours chevauchés par les putti. Il s’agit très
probablement de Gentile Virginio Orsini, pour lequel Sanvito a déjà produit un manuscrit vers
1473
(un dialogue de Platina,
De vera
nobilitate
, rédigé par l’humaniste pour l’archevêque Giovanni Orsini, DLM
55
). Virginio Orsini (
1445
-
1497
), qui épousa sa cousine
Isabelle, fille d’Éléonore d’Aragon, hérita de domaines qui contrôlaient le passage entre les états pontificaux et le royaume de Naples.
Il s’en vit déposséder au profit des Colonna par Ferdinand d’Aragon. Le conflit avec les Colonna est à l’origine en
1482
de la Guerre
de Ferrare, à laquelle mit fin en décembre
1482
un traité de paix entre le duc de Calabre et le pape Sixte IV. L’une des clauses en était
le mariage de Gian Giordano, le fils de Virginio, avec une fille naturelle du souverain aragonais de Naples. Afin de sceller son
rapprochement avec Naples, Virginio accompagna à Ferrare Alfonso d’Aragon (Stefania Camilli, « Gentil Virginio Orsini d’Aragona »,
in
Dizionario Biografico degli Italiani
- Volume
79
(
2013
),
on-line
). C’est dans ces circonstances que le manuscrit a dû être commandé,
cadeau diplomatique de Virgilio Orsini à Alfonso d’Aragon, héritier du trône de Naples, et à sa fille Isabella, la jeune fiancée de Gian
Galeazzo Sforza.
Le manuscrit ne figure pas dans l’inventaire dressé en
1490
de la bibliothèque de Pavie (M.G. Albertini Ottolenghi, « La biblioteca dei
Visconti e degli Sforza: gli inventari del
1488
e del
1490
», dans
Studi petrarcheschi
, VIII,
1991
). Certes les « bijoux de dévotion »
comme le livre d’heures Aragon-Sforza sont plus souvent conservés dans des oratoires et des pièces privées. Mais il a plus probablement
été emporté par Isabella d’Aragon, veuve dès
1494
: “unica nella disgrazia” après la mort (l’assassinat ?) de son mari, elle rentra à
Naples et devint duchesse de Bari. Son unique enfant survivant (son fils le « Duchetto » Francesco avait été conduit en France par
Louis XII et y mourut en
1512
), sa fille Bona, épousa en
1517
le roi de Pologne.
Petit travail de vers n’atteignant pas la justification aux
2
premiers ff. du calendrier, limité à
3
, puis
2
trous microscopiques dans la marge
des
10
ff. suivants ; la lettre ornée du mois de novembre (f.
11
) a déchargé sur le feuillet précédent ; dernière page du calendrier tachée.
F.
13
usé et sali : Le visage de la Vierge a été repeint, les écus peut-être retouchés, et le feuillet renmargé dans la marge extérieure (ainsi
que, plus discrètement, les
9
feuillets suivants). Petite mouillure marginale ff.
77
à
101
. La miniature du f.
74
a déchargé sur le f. d’en
face. Petite piqûre de rouille dans la marge inférieure des ff.
152
-
158
. Quelques pâles rousseurs marginales aux ff.
179
-
180
. Légère
tache d’encre dans la marge inférieure des ff.
184
v-
185
. Le manuscrit a dû comporter un dernier cahier avec un « Officium Ste Crucis »
(décharge très pâle au verso du dernier f. blanc signé X), mais qui, achevé ou non, n’a pas été conservé. Le manuscrit est légèrement
rogné en tête.
Manuscrits et incunables, livres à figures, reliures : Bibliothèque Ashburner. Vente 26-27 août , galerie Fischer, Lucerne. Milan, Hoepli, 1938, lot 119 -
A. C. De la Mare, Laura Nuvoloni, Bartolomeo Sanvito, the life and work of the Renaissance scribe, Paris, AIB, 2009, n° 89, pp. 298-299 - Beatrice
Bentivoglio-Ravasio,
« Gaspare da P
adova » et « Bartolomeo Sanvito » dans Dizionario biografico dei miniatori italiani : secoli IX-XVI, éd. M. Bollati,
Milano, 2004 - D. Guernelli,
«
Su un Libro d’Ore di Bartolomeo Sanvito
»
, in L’Archiginnasio : Bollettino della Biblioteca comunale di Bologna, 103, 2008
[2011], pp. 353–93 - A. Iacobini and G. Toscano,
«
More graeco, more latino. Gaspare da Padova e la miniatura all’antica
»
, dans Mantegna e Roma.
L’artista davanti all’antico, Atti del convegno, Roma, 8–10 febbraio 2007,
é
d. T. Calvano, C. Cieri Via et L. Ventura, Rome, 2010, I, pp. 131–58 - G. Toscano,
«
Gaspare da Padova e la diffusione del linguaggio mantegnesco tra Roma e Napoli
»
, in Andrea Mantegna, Impronta del genio, Convegno internazionale
di studi, 8–10 novembre 2006,
é
d. R. Signorini, V. Rebonato et S. Tammaccaro, Florence, 2010, pp. 363–96.