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les collections aristophil
Les trois autres parties sont restées à l’état
de plan détaillé, avec la chronologie quoti-
dienne de chaque mois, et le détail numéroté
des 150 perversions de chaque partie, et le
résumé des événements scandaleux sur-
venus au château pendant chaque période.
La «Deuxième partie» (décembre) est narrée
par la Champville, avec les 150 «passions de
seconde classe, ou doubles»; la «Troisième
partie» (janvier) est contée par la Martaine,
avec les 150 «passions de troisième classe,
ou criminelles»; la «Quatrième partie» (février)
est narrée par la Desgranges, avec les 150
«passions meurtrières, ou de quatrième
classe». Le rouleau s’achève par la macabre
comptabilité des victimes : sur les 46 per-
sonnes enfermées dans le château, «il y en
a eu 30 d’immolés et 16 qui s’en retournent
à Paris»… Sade ajoute deux notes en vue de
la rédaction future d’après ce plan, dont une
sur des «supplices en supplément»; plus une
«liste des différents objets de morale traités
dans la lettre du comte».
Ainsi s’achève ce «gigantesque catalogue de
perversions», selon Jean Paulhan. Citons
encore Maurice Blanchot: «On peut admettre
que, dans aucune littérature d’aucun temps,
il n’y a eu un ouvrage aussi scandaleux, que
nul autre n’a blessé aussi profondément les
sentiments et les pensées des hommes»; et
Jean-Jacques Pauvert : «Jamais à aucune
époque, dans aucune littérature, on n’avait
rien écrit d’aussi scandaleux, d’aussi repous-
sant, d’aussi insupportable».
Ce rouleau, rangé à l’origine dans un étui,
et caché entre deux pierres, abandonné par
Sade dans son cachot de la Bastille quand
on l’en a extrait brusquement le 2 juillet 1789
(douze jours avant la prise de la forteresse)
pour le transférer à Charenton, fut retrouvé
dans son cachot par un certain Arnoux de
Saint-Maximin, qui le vendit à la famille de
Villeneuve-Trans. Publié pour la première
fois en 1904, de façon très fautive, par son
nouveau propriétaire, le psychiatre et sexo-
logue allemand Iwan Bloch (sous le pseu-
donyme d’Eugène Dühren), racheté en 1929
par Charles et Marie-Laure de Noailles, le
manuscrit est confié à Maurice Heine qui en
donne une édition de référence (1931-1935).
À la mort des Noailles, le rouleau passe
à leur fille Nathalie. Il est volé en 1982 par
l’éditeur Jean Grouet, qui le vend illicitement
au bibliophile suisse Gérard Nordmann. Une
bataille judiciaire s’engage, menée par Carlo
Perrone, le fils de Nathalie de Noailles; la
justice suisse, contrairement à la justice fran-
çaise, valide la possession du manuscrit par
Gérard Nordmann. Un temps déposé à la
Fondation Bodmer à Genève, le manuscrit,
à la suite d’une transaction entre la famille
Nordmann et Carlo Perrone, est acquis en
mars 2014 par Aristophil et peut rentrer en
France.