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182

les collections aristophil

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105

NAPOLÉON I

ER

(1769-1821)

L.A.S. «Bonaparte», Nice 10 germinal [IV (30 mars 1796)],

à JOSÉPHINE : «A la citoyenne Bonaparte chez la citoyenne

Beauharnois. Rue Chantereine n° 6. Paris»; 3 pages in4,

adresse, cachet cire rouge, marque postale

Armée d’Italie

(sous chemise-étui maroquin rouge).

Signed autograph letter, signed «Bonaparte», Nice 10 germinal

[IV (30 March 1796)], addressed to JOSÉPHINE: «A la citoyenne

Bonaparte chez la citoyenne Beauharnois. Rue Chantereine n° 6.

Paris»; 3 pages in-4, address, postal mark «Armée d’Italie»,

now preserved in a red morocco folder.

60 000 / 80 000 €

Magnifique lettre d’amour à Joséphine.

C’est la cinquième lettre de Bonaparte à celle qu’il avait épousée le

9 mars. Le 11 mars, il avait quitté Paris pour rejoindre l’Armée d’Italie.

«Je n’ai pas passé un jour sans t’aimer, je n’ai pas passé une nuit

sans te serrer entre mes bras, je n’ai pas pris une tasse de thé sans

maudire la gloire et l’ambition qui me tiennent éloigné de l’âme de

ma vie. Au milieu des affaires, à la tête des troupes, en parcourant les

camps, mon adorable Joséphine est seule dans mon cœur, occupe

mon esprit, absorbe ma pensée. Si je m’éloigne de toi avec la vitesse

du torrent du Rhône, c’est pour te revoir plus vite. Si au milieu de

la nuit je me lève pour travailler encore c’est que cela peut avancer

de quelques jours l’arrivée de ma douce amie. Et cependant dans ta

lettre n° 3 du 26 ventose tu me traites de VOUS. Vous toimême. Ah !

mauvaise comment astu pu écrire la lettre mais qu’elle est froide. Et

puis du 22 au 26 reste 4 jours. Qu’astu fait puisque tu n’as pas écrit

à ton mari... A mon amie ce vous et ces 4 jours me font regretter

mon antique indifférence. Malheur à celui qui en seroit la cause !

Pûtil pour peine et pour supplice éprouver ce que la conviction et

l’évidence quil seroit ton ami me ferait éprouver. L’Enfer n’a pas de

supplice ni les furies de serpents !... Vous ! vous ! Ah ! que serace

dans quinze jours... Mon âme est triste, mon cœur est esclave et

mon imagination m’effraye. Tu m’aimes moins. Tu seras consolée.

Un jour tu ne m’aimeras plus. Dismoile. Je saurai au moins mériter

le malheur. Adieu, femme, tourment, bonheur, espérance, et âme

de ma vie, que j’aime, que je crains, qui m’inspire des sentiments

tendres qui m’appellent à la nature et des mouvements tempestueux

aussi volcaniques que l’Etna. Je ne te demande ni amour éternelle,

ni fidélité mais seulement... vérité, franchise sans borne. Le jour que

tu me diras je t’aime moins sera ou le dernier de mon amour ou le

dernier de ma vie. Si mon cœur étoit assez vil pour aimer sans retour

je le hacherai avec les dents. Joséphine, Joséphine ! Souvienstoi de

ce que je te dis quelque fois. La nature m’a fait l’âme forte et décidée,

elle t’a bâtie de dentelle et de gaze. Si tu cesses de m’aimer !! Pardon

âme de ma vie, mon âme est tendre sur de vastes combinaisons.

Mon cœur entièrement occupé par toi a des craintes qui me rendent

malheureux. Je suis ennuyé de ne pas t’appeler par ton nom. J’at-

tends que tu me l’écrives.

Adieu. Ah ! Si tu m’aimes moins tu ne m’auras jamais aimé. Je serai

alors bien à plaindre.

Bonaparte

P.S. Tu l’agonises. Cette armée n’est plus reconnaissable. J’ai fait

donner de la viande, du pain, du fourrage. Ma cavalerie armée, mes

charrois marchent bientôt. Mes soldats me montrent une confiance

qui ne s’exprime pas. Toi seule me chagrines, toi seule fais le plaisir et

le tourment de ma vie. Un baiser à tes enfants dont tu ne parles pas.

Pardi cela allongerait tes lettres et ensuite les visiteurs à 10 heures

du matin n’auroient pas le plaisir de te voir. Femme !!!»

Cette lettre a été publiée pour la première fois en 1827 dans le second

volume des

Mémoires d’une contemporaine

d’Ida Saint-Elme. Les

nombreuses éditions des lettres de Napoléon à Joséphine suivent

le texte de cette publication. Nous en donnons ici un texte conforme

à l’autographe.