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beaux-arts

en avoir passé six à ne pas faire grand’chose

– de plus en plus la réalisation d’une idée

m’ennuie. Je n’ai probablement pas encore

atteint l’âge, où on tient une “idée” pour une

matière première précieuse, qu’on peut isoler

des autres et buriner durant de longs jours.

Aujourd’hui je la réalise un peu à la façon

des bouchers qui réalisent un agneau de

3 mois […]. Ça ne va pas sans remords. Ou

bien c’est au contraire que je suis trop vieux

pour accepter de gaspiller une idée trop

jeune »…

Mardi soir.

« Vous m’avez l’air de

faire une telle panne de dynamo ! Vous avez

les réflexes sentimentaux trop sensibles pour

faire du théâtre sans danger. […] L’homme-

de-théâtre se dresse comme un cheval de

cirque: à coups de trique, caveçon et pétard

dans les jambes. Quand il est totalement

abruti, il galope gracieusement autour de la

piste, avec l’air plus fougueux que nature, et

tous les afficionados des générales suivent

ses petits tours avec tendresse et admiration.

C’est assez écœurant »… Elle est tombée pour

ses débuts sur une brute qui s’est trompée

sur sa pièce: « il y a vu un bordel, là où il

y avait une idée – grâce à quoi il a monté

votre pièce, où le public a retrouvé l’idée

et oublié le bordel »… Il conseille de laisser

dormir

Sauveur

six mois, pour y voir clair…

Vendredi soir

. Il fait des vœux qu’elle puisse

travailler au calme, « loin des arènes litté-

raires où se disputent de singuliers lauriers.

J’ai rencontré hier Madame Rostand, un

de vos juges et lui ai parlé de votre livre,

en m’étonnant qu’il n’ait pas été couronné.

Elle m’a objecté votre figure, votre âge, votre

naturelle élégance, et que vous ne portiez

point de lunettes. Je pense bien qu’elle y

mettait quelque paradoxe, mais les causes

profondes sont toujours paradoxales ! »...

Dimanche

. « Malgré Freud et ses prophètes,

je n’avais jamais pu tirer rien de valable d’un

rêve »...

Mardi soir

. Il a reçu son « manuscrit

des perles et des badauds », qu’il va lire…

Jeudi matin

. « Je suis bien content de savoir

que votre manuscrit est entre les mains de

Baty et des Pitoëff, qui sont gens de métier et

vous donneront un avis valable, en attendant

celui du public, le seul qui compte »… Etc.

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BOFA GUS (1883 - 1968)

2 L.A.S., [vers 1935, à Lucienne FAVRE];

2 et 3 pages in-4 au crayon gras

(petite déchirure en haut de la 1

ère

lettre).

100 / 120 €

Belles lettres à la romancière Lucienne

FAVRE

(1894-1958), chantre des quartiers

populaires de l’Alger d’avant-guerre.

Jeudi soir.

« Je n’ai pas encore de nouvelles

du journal [

Marianne

]. Je crois que leurs

affaires sont assez compliquées, non qu’ils ne

sachent pas trop comment s’y débrouiller »…

Il lui suggère, selon les recommandations de

Carlo RIM, d’envoyer ses écrits à Emmanuel

BERL, « de préférence

un reportage

plutôt

qu’une nouvelle (dont leur marbre regorge).

Je crois que votre histoire de station thermale

mise sous cette forme facile et accompa-

gnée de quelques photos ferait bien l’affaire

– ou sur toute autre question d’actualité. Il

paraît qu’il y a une tension judéo-arabe à

la Casbah ? »… Rim a également mentionné

un certain Simonneau dirigeant la revue

Savez-vous

, susceptible de bien rémunérer

les nouvelles… « Au vrai, je crois tous ces

gens assez démontés par les événements et

surtout soucieux de vivre, de quelque façon

que ce soit »… RAIMU toutefois semblait

bien intéressé par l’une de ses pièces, et il

suggère de lui parler d’une adaptation ciné-

matographique, « parce qu’il préfère tourner

que jouer, et surtout que la chose sera mieux

à l’écran qu’à la scène »… —

Maupertuis

.

Il pense rester en Seine-et-Marne encore

quelques semaines: « J’y trouve un grand

bien-être: celui de ne pas penser – au moins

de penser en dehors de moi – objectivement,

comme parlent les cuistres. C’est un repos

réel »… Il se fatigue par ailleurs à « des tra-

vaux

agricoles

ou ménagers, à des sports

économiques aussi – je lis peu et travaille

moins encore. Je suis arrivé à trouver un

grand équilibre nerveux. […] C’était je crois

le parti le plus sage à prendre, et le seul but

raisonnable qu’on puisse poursuivre dans les

périodes historiques mais assez absurdes

que nous vivons. Essayer de prévoir l’avenir,

de jouer au plus fin avec des impondérables

et de profiter de cette absurdité il y faut ou

beaucoup de candeur, ou une déshonnêteté

naturelle qui me fait défaut »…

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