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les collections aristophil

Et à partir de là, je vous demande: qu’est-ce

que vous peignez en ce moment, et comment

travaillez-vous avec de la couleur ?

Je n’ai rien vu du tout de vos études

envoyées à Théo [son frère] (

je crois

), malgré

mes exhortations à faire un échange. Est-ce

dû à Théo, qui peut-être avait d’autres préoc-

cupations, ou à la distance non négligeable

entre nous ?

Saviez-vous que Theo est fiancé, et se

mariera bientôt avec une jeune fille d’Ams-

terdam ?

Après cette question concernant votre tra-

vail, quelques mots au sujet du mien. À

l’heure actuelle j’ai en cours, ou plutôt sur

le chevalet, un portrait de femme [Augustine

ROULIN:

La Berceuse

, Museum of Fine

Arts, Boston]. Que j’ai appelé “

la berceuse

[en français dans le texte], ou comme nous

dirions en néerlandais avec Van Eeden […]

“notre berceuse”, ou la femme près du ber-

ceau. C’est une femme habillée de vert (torse

vert olive et jupe vert pâle Véronèse). La

chevelure est tout à fait orange et en nattes.

Le teint est préparé en jaune de chrome, avec

quelques nuances, bien entendu, afin de

façonner. Les mains qui tiennent le cordon

du berceau idem idem. L’arrière-plan est un

fond vermillon (représentant simplement un

plancher en carreaux ou briques). Le mur

est recouvert de papier peint, évidemment

pensé par moi par rapport aux autres cou-

leurs. Ce papier peint est bleu-jaune aux

dahlias roses, et parsemé d’orange et de

bleu d’outremer. Je crois être assez parallèle

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VAN GOGH VINCENT (1853 - 1890)

L.A.S. « Vincent », Arles [22 janvier

1889], à Arnold KONING; 4 pages

grand in-8 sur 2 ff. (papier légèrement

bruni avec petit cerne d’encadrement,

plis un peu fendus); en néerlandais.

250 000 / 300 000 €

Très belle lettre sur son hospitalisation à

Arles, et sur ses tableaux, dont

La Ber-

ceuse

et les premiers

Tournesols

, à son ami

et compatriote le peintre Arnold KONING

(1860-1944).

Il le remercie de ses « vœux de nouvel an du

nord de notre pays natal. J’ai reçu votre carte

postale à l’hôpital d’Arles, où j’étais consigné,

à l’époque, à cause d’une attaque de fièvre

cérébrale ou de quelque autre fièvre, déjà

presque disparue. Et en ce qui concerne les

causes et effets de la maladie en question,

mieux vaut les laisser à d’éventuelles dis-

cussions des catéchistes hollandais, quant à

savoir si j’ai été ou suis encore, ou non – fou,

ou fou imaginaire, ou considéré comme fou

dans une chimère consistant seulement en

sculpture. Et si non, si je l’ai été avant cette

époque, le suis ou non à présent, ou le

serai plus tard.

Vous ayant informé plus que suffisamment

de mon état mental et physique… il vous

paraîtra moins curieux que je ne vous ai pas

répondu plus tôt. Mais en attendant, nous

ne devons pas oublier de tenir bon.

à Van Eeden, en cela, et par conséquent ne

considère pas son style d’écriture comme

non-parallèle à mon style de peinture, en

matière de couleur. Quant à savoir si j’ai

réellement chanté une berceuse avec de

la couleur, je laisse cela aux critiques, en

particulier ceux mentionnés ci-dessus. Mais

nous avons assez parlé de ceci jadis, n’est-ce

pas ? De l’éternelle question de couleur qui

nous guide, dans la mesure de notre sang-

froid. En tout cas, en quittant l’hôpital j’ai

peint le portrait de mon propre médecin

[Felix REY, Musée Pouchkine, Moscou]. Et

je n’ai pas tout à fait perdu mon équilibre

comme peintre.

Mais évidemment j’ai peint beaucoup plus

d’études ou tableaux, pendant ce temps.

Parmi d’autres choses cet été, deux compo-

sitions florales avec rien que des

Tournesols

dans un pot en terre jaune. Peint avec trois

jaunes de chrome, de l’ocre jaune et du vert

Véronèse et rien d’autre. [Neue Pinakothek,

Munich, et National Gallery, Londres.]

Cependant je suis toujours à Arles, et à votre

disposition pour une correspondance épis-

tolaire ou une étude peinte. Théo est allé voir

BREITNER, récemment, et dit de son œuvre

qu’il croyait Breitner le meilleur peintre et

penseur d’entre vous, là-bas »...

http://vangoghletters.org/vg/letters/let740/

letter.html